Le vieillissement ne dépend pas de l’âge, mais de votre état de santé, résume le professeur Éric Boulanger. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Le vieillissement ne dépend pas de l’âge, mais de votre état de santé, résume le professeur Éric Boulanger. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Figure de proue en France du «vieillir bien», le professeur Éric Boulanger était de passage récemment à Luxembourg, à l’invitation de PwC. L’occasion d’évoquer la prise en charge de la dépendance comme enjeu sociétal, politique et économique.

«Je n’aime pas le mot ‘gériatrie’, car il fait peur, je préfère dire que je suis professeur de médecine et de biologie du vieillissement.»

En visite le 28 juin dernier au Luxembourg à l’invitation de PwC, le professeur Éric Boulanger était venu partager son approche du vieillissement, par ailleurs synthétisée dans son livre «Je décide de vieillir bien», paru chez Odile Jacob en 2021.

«La gériatrie fait très peur pour des raisons culturelles, car elle renvoie souvent à la dépendance cognitive ou physique en fin de vie, alors qu’il n’y a pas d’âge pour bien vieillir ou pas d’âge pour se sentir vieux», ajoute Éric Boulanger. «Nous nous basons plutôt sur des statuts du vieillissement qui ne dépendent pas de l’âge, mais d’un état de santé. On peut être robuste jusqu’à sa mort ou, à l’inverse, décliner dès la moitié de sa vie en état de préfragilité, de fragilité, voire de dépendance.»

La fragilité, une notion-clé dans la méthode du médecin qui est également le moteur de l’unique diplôme universitaire en «longévité et vieillissement» délivré à la faculté de Médecine de Lille. Mais qu’est-ce que la fragilité?

«Elle ne se voit pas, elle ne fait pas mal. C’est un état qui entraîne une diminution de vos réserves qui peuvent normalement vous permettre de répondre à des agressions extérieures», précise Éric Boulanger.

Mesurer la fragilité en direct et sur le terrain

Encore faut-il être capable de savoir quand des personnes deviennent préfragiles ou fragiles et leur donner les chances de recouvrer, le cas échéant, leur robustesse.

, lancé le 30 mai dernier dans les Hauts-de-France par un consortium dont le CHU de Lille fait partie, devrait permettre de disposer d’un retour terrain. L’ambition: inviter les habitants du territoire à évaluer leur état de santé via une app.

«Cette application est la porte d’entrée du programme, pour autoévaluer en quelques minutes son état fonctionnel grâce à des tests multidimensionnels basés sur des publications scientifiques», déclare Baptiste Démurger, ingénieur chez Kelindi, l’entreprise qui a développé l’application. «Un algorithme établit in fine un score et une présuspicion de votre état de santé fonctionnel que vous pouvez télécharger et montrer à votre médecin.»

Baptiste Démurger, ingénieur chez Kelindi, l’entreprise qui a développé l’application Tempoforme et son environnement digital. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Baptiste Démurger, ingénieur chez Kelindi, l’entreprise qui a développé l’application Tempoforme et son environnement digital. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Une interface originale entre des fragiles qui s’ignorent peut-être et des experts en vieillissement, aussi disponible pour les médecins référents. Un site internet adossé au programme distille d’ailleurs des conseils pratiques pour rester acteur de sa forme.

Cette application traduit l’ambition de transiter à terme du «curatif par défaut» en médecine vers une prévention renforcée et un ciblage accru de la nature de l’intervention avec la maîtrise des coûts afférents. Un exemple à suivre pour le Luxembourg?

«Cette initiative nous intéresse, car elle permet de s’adresser, non pas uniquement aux patients, mais à une population plus large dans une optique de prévention», note Guy Brandenbourger, associé et healthcare leader chez PwC Luxembourg. «Or, si la durée de vie au Luxembourg, tout comme en France, est de 80 ans pour les hommes et de 85 ans pour les femmes, l’espérance de vie en bonne santé n’est que de 63 ans, contre 75 à 80 ans dans les pays nordiques.»

Le départ à la retraite coïnciderait donc avec l’accumulation de maladies chroniques et une diminution de l’espérance de vie en bonne santé. Un thème qui pourrait figurer parmi les éléments définissant la qualité de vie au Grand-Duché?

«Cette ambition pourrait être belle pour une future coalition gouvernementale, à savoir de considérer qu’au terme d’un mandat, on se rapproche de 68 ans d’espérance de vie en bonne santé, un des meilleurs en Europe», ajoute Guy Brandenbourger. «En France, chaque année gagnée d’espérance de vie en bonne santé représente un gain économique de 1,5 milliard d’euros. Nous l’estimons pour le Luxembourg à 15 millions d’euros par an par année de vie en bonne santé gagnée.»

Guy Brandenbourger, associé chez PwC Luxembourg. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Guy Brandenbourger, associé chez PwC Luxembourg. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Vers un nouveau parcours remboursé

Sachant que de nombreuses maladies peuvent être évitées en adaptant des comportements ou grâce à des diagnostics ad hoc, Éric Boulanger plaide pour une considération à 360 degrés du vieillissement.

«Il faut être acteur de sa santé et considérer son vieillissement comme actif pour avoir un vieillissement réussi», résume le professeur qui indique que les signaux, parfois faibles, de la fragilité peuvent se repérer au quotidien comme la diminution de la vitesse de marche, des chutes ou une baisse de la force. «Je ne supporte plus d’entendre ‘il est tombé, mais c’est normal, il est vieux’, non, ce n’est pas normal. Il y a forcément des éléments – réversibles ou non – à rechercher pour l’expliquer.»

Si certains gènes permettent de détecter des pathologies comme la maladie d’Alzheimer, l’état général du vieillissement dépend bien d’une série de facteurs qui influent sur votre état.

«Les critères qui emmènent à un vieillissement réussi ou non commencent très tôt. Je fais référence au concept des ‘1.000 premiers jours’ de la vie de l’enfant porté par l’OMS, des 270 jours de la grossesse aux deux premières années de son existence et qui ont une importance pour le restant de sa vie», ajoute Éric Boulanger.

Loin de culpabiliser les parents dans certains cas et les patients dans d’autres, Éric Boulanger sensibilise activement au vieillissement pour que son pays aborde cette question en disposant du maximum d’atouts nécessaires.

«Une prochaine étape pourrait être le remboursement d’un parcours, des conseils reçus via l’application jusqu’à la prise en charge du patient», ajoute Éric Boulanger. Une vision qui pourrait devenir réalité si le programme Tempoforme, en phase de test, est reconnu pour entrer dans le champ d’application de  dans la loi de financement de la sécurité sociale de 2018 pour «expérimenter de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financement inédits», selon le ministère de la Santé.

La fragilité sera-t-elle vulgarisée d’ici 10 à 15 ans comme l’est aujourd’hui l’hypertension artérielle? C’est en tout cas le vœu du Professeur Boulanger. Ce qui passera certainement par d’autres expérimentations et la création d’un écosystème d’intervenants concernés par un sujet qui touche en premier lieu les personnes en situation de précarité sociale.

En attendant, chacun peut se référer à des conseils prodigués par des organismes et autorités de référence comme le ministère de la Santé au Luxembourg, . Et suivre un conseil partagé par Éric Boulanger dans son livre: considérer l’activité physique comme locomotive qui conduit au bien vieillir.