Raoul Gerend est instituteur le jour, et entomologiste à ses heures perdues. (Photo: Mike Zenari/Maison Moderne)

Raoul Gerend est instituteur le jour, et entomologiste à ses heures perdues. (Photo: Mike Zenari/Maison Moderne)

Il n’y a pas que les humains qui migrent vers le Luxembourg. La région de la Minette au Grand-Duché regorge d’espèces d’insectes venues d’ailleurs, comme la mante religieuse, qui prospèrent dans cet environnement. L’entomologiste Raoul Gerend connaît bien ce phénomène.

Situé au cœur de l’Europe du Nord, le Luxembourg n’est pas réputé pour son beau temps. Et pourtant, les insectes subméditerranéens trouvent de plus en plus leur chemin vers les prairies ensoleillées et les collines herbeuses du sud du pays.

«Un bon exemple est la mante religieuse», explique Raoul Gerend, instituteur et entomologiste passionné. «Elle a été observée sporadiquement au Luxembourg dans les années 50 et 60. Puis, il y a 10 ans, elle a commencé à surgir partout dans le sud. J’ai même eu, une fois, une grosse femelle adulte assise sur le pas de ma porte.»

Vous êtes complètement immergé dedans. Vous devez être tellement concentré pour obtenir l’information.
Raoul Gerend

Raoul Gerend entomologiste

Je rencontre Monsieur Gerend sur le Roudebierg, une colline calcaire exposée plein-sud qui domine la ville de Dudelange et l’hôpital où sont nés ses enfants. Le site, qui appartenait autrefois au géant de l’acier Arbed, appartient aujourd’hui à Natur&Ëmwelt,  qui s’efforce de préserver sa biodiversité.

C’est le lieu de prédilection de Raoul Gerend pour le travail de science citoyenne qu’il effectue pour identifier les espèces d’insectes afin d’enrichir les dossiers nationaux. «Au niveau des araignées, en trois ans, j’ai trouvé 120 espèces. Les coléoptères, nous en sommes déjà à 400, pareil pour les papillons. Dans les groupes que j’ai étudiés, j’ai identifié 1.300 espèces, sans compter les guêpes ou les mouches.»

L’entomologiste Raoul Gerend, à Roudebierg, avec un filet pour ramasser les insectes à la surface des plantes. (Photo: Mike Zenari/Maison Moderne)

L’entomologiste Raoul Gerend, à Roudebierg, avec un filet pour ramasser les insectes à la surface des plantes. (Photo: Mike Zenari/Maison Moderne)

Aujourd’hui, Raoul Gerend concentre son attention sur les papillons de nuit – pas le plus joli des insectes mais, comme il le dit, «la beauté est dans l’œil du spectateur». Les nuits d’été, lorsque la température reste supérieure à 17°C, il passe des heures sur la colline avec sa tente légère, identifiant et documentant ses découvertes. «Cela signifie s’éloigner de votre vie quotidienne normale, de votre travail», dit-il à propos de ces voyages. «Vous êtes complètement immergé dedans. Vous devez être tellement concentré pour obtenir l’information.»

Cette année, les nuits comme celles-ci ont été rares. Le Luxembourg a connu son deuxième mois de juillet le plus humide jamais enregistré et, bien qu’aucun chiffre ne soit encore disponible, il s’annonce comme l’un des plus froids. Ce qui aura eu certainement un impact sur les populations d’insectes. «La plupart de ces espèces ne sont là que pour quelques semaines. Les individus doivent être capables de trouver des partenaires, de se reproduire, de survivre pendant ce court laps de temps. Si, pendant ce court laps de temps, il pleut presque tous les soirs, ce n’est pas bon», explique-t-il.

La tente légère que Gerend utilise pour attirer les mites.  (Photo: DR)

La tente légère que Gerend utilise pour attirer les mites.  (Photo: DR)

Des espèces plus fragiles, comme la fritillaire des marais, autrefois un papillon courant au Luxembourg et aujourd’hui au bord de l’extinction, pourraient avoir du mal à se rétablir de ces aléas climatiques. «Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des parcelles d’habitat isolées avec des populations insulaires plus petites, sans contact avec d’autres populations qui ont tendance à être génétiquement plus pauvres. Lorsqu’ils sont confrontés à quelque chose qui les stresse, ils peuvent ne pas être en mesure d’agir d’une manière qui soit bonne pour leur survie», explique encore Raoul Gerend.

Outre les intempéries, l’intervention humaine sous forme de pratiques agricoles intensives met également en danger les populations. «Nous n’avons pas de prairies comme celle-ci (Rodebierg) dans les campagnes agricoles», dit-il. Les fermes coupent souvent l’herbe jusqu’à cinq fois par an pour faire de l’ensilage, perturbant ainsi le cycle de vie des insectes. Dans le même temps, le drainage des champs et l’utilisation d’engrais rendent certains sols trop riches en nutriments pour que certaines plantes survivent. «Vous avez un grand nombre d’espèces qui n’utilisent qu’une seule espèce de plante pour compléter leur cycle de vie», poursuit l’entomologiste.

La fritillaire des marais était autrefois un papillon courant au Luxembourg. Aujourd’hui, il est au bord de l’extinction.  (Photo: DR)

La fritillaire des marais était autrefois un papillon courant au Luxembourg. Aujourd’hui, il est au bord de l’extinction.  (Photo: DR)

Cela signifie qu’il y a des espèces qui ont été identifiées au Luxembourg entre les années 50 et 70 qui sont maintenant rares ou disparues. La sensibilisation et le partage des connaissances sont un des moyens par lesquels le public peut lutter pour la biodiversité. Pour ceux qui ont des pelouses, Raoul Gerend conseille de les tondre moins fréquemment et de laisser des parcelles intactes pour les fleurs sauvages.

Les personnes qui n’ont pas de jardins peuvent, pour leur part, trouver des opportunités de volontariat avec Natur&Ëmwelt.

Cet article a été écrit pour , traduit et édité pour Paperjam.