Michel-Edouard Ruben est économiste à la Fondation IDEA. (Photo: Simon Verjus/Maison Moderne)

Michel-Edouard Ruben est économiste à la Fondation IDEA. (Photo: Simon Verjus/Maison Moderne)

Encore mal perçue par le grand public, cette caté­gorie d’actifs s’avère séduisante. Pour ses défenseurs, elle présente l’avantage d’être un investissement simple à comprendre, qui contribue directement à l’économie réelle et à la pro­motion de l’innovation. Si des dérives peuvent être relevées, le private equity pourrait bien s’avérer être un atout pour la relance de l’économie dans le monde de demain.

La première vertu que l’on prête au private equity est de remettre une notion de durée à long terme dans les perspectives d’investissement. Dans un monde boursier où la notion de court terme et la quête du rendement immédiat sont devenues la norme, cette affirmation est devenue un véritable slogan. Dont il faut se méfier. Car le private equity a de multiples facettes, comme le rappelle Michel-Edouard Ruben, économiste à laD’un côté, il y a le capital-développement et le capital-­risque, et, de l’autre, le LBO (leverage buy-out). Cette dernière facette a plutôt mauvaise presse. On l’a même accusée de participer à la financiarisation du monde. Il est vrai que cette technique use – voire abuse – de l’effet de levier et endette souvent les entreprises ciblées par un investissement. Qui, par conséquent, voient souvent leur cash flow prioritairement réorienté vers le paiement des intérêts de la dette. Le LBO est également décrié parce qu’il participe souvent à des opérations de restructuration. Au nom de la compétitivité, certes, mais toujours avec un coût social.

Si sa finalité reste la croissance, le private equity façon LBO n’est pas forcément très politiquement correct. Il a même été, au début des années 2000, vu comme une menace macro­économique. On parlait alors d’un «mur de la dette». Si le marché du LBO s’est effondré en 2008, cela n’a pas eu d’effet systémique, grâce surtout à la faiblesse récurrente des taux d’intérêt de ces dernières années. Une chance.

Le niveau de dette lié au private equity redevient d’ailleurs un problème aujourd’hui. Selon un rapport de la firme américaine Bain, le capital stocké par les fonds de capital-­inves­tissement a franchi en 2020 un nouveau record, à 2.900 milliards de dollars (+ 11,5%). Réputé pour ses rendements, le capital-investissement est un refuge pour les investisseurs qui fuient les taux bas. Mais cette abondance d’argent fait flamber les valorisations et, corrélativement, le montant de dette injecté pour racheter des entreprises. Les régulateurs des deux côtés de l’Atlantique n’excluent pas une nouvelle crise comme en 2008.

Le premier intérêt du capital-­risque, c’est justement sa capacité d’aller repérer, accompagner et financer un certain niveau de risque, qui ne le sera pas par les banques.
Michel-Edouard Ruben

Michel-Edouard RubenÉconomisteFondation Idea

Les financiers de l’innovation

Mais le private equity, c’est également le capital-­risque et le capital-investissement. «Des outils taillés sur mesure pour le financement de l’innovation», estime Michel-Edouard Ruben, pour qui le principal intérêt du private equity réside dans sa partie dévolution du capital vers des centaines d’entreprises, et plus particulièrement vers les start-up. Des entreprises qui, à cause de leur niveau de risque, sont assurées de ne trouver aucun financement du côté du secteur bancaire. «Le premier intérêt du capital-­risque, c’est justement sa capacité d’aller repérer, accompagner et financer un certain niveau de risque, qui ne le sera pas par les banques. Le capital-risqueur va apporter des fonds propres, alors que le financement bancaire classique n’apportera que des dettes.» Pas idéal pour améliorer son bilan…

Le private equity, via le capital-­investissement­, c’est aussi, pour les entreprises financées, un accompagnement, un actionnaire investi — au sens premier du terme. En résumé, le private equity finance aussi bien l’activité que le risque. Que du positif, a priori, pour l’investi. Attention, cependant: les intentions ne sont pas toujours bonnes dans le capital-investissement. C’est souvent le cas dans les activités des fonds de capital-investissement d’entreprises (corporate venture capital). Beaucoup d’entreprises établies possèdent leurs fonds de capital-­investissement. Les banques, bien sûr, mais aussi des sociétés industrielles ou de services. Pour ces dernières, tout l’intérêt est de pouvoir se tenir au courant de ce qui se passe sur leurs marchés et de découvrir le futur compétiteur avant qu’il ne devienne dangereux. Pour Michel-Edouard Ruben, on est dans ce cas de figure plus proche d’opérations de rachat que d’investissement. Voire d’étouffement de l’innovation. L’exemple qui vient à l’esprit est celui des Gafam, très actifs sur ce créneau et qui rachètent à tour de bras des entreprises qui sont intégrées – noyées – dans des services préexistants. Avant, de temps en temps, de disparaître totalement.

Les financiers de la croissance

Ceci posé, le private equity joue un rôle en matière de croissance. Comme se plaît à le répéter Invest Europe, l’organisation représentative du secteur à Bruxelles, celui-ci «contribue à la mise en place d’activités qui réussissent. Les entreprises qui réussissent investissent davantage dans la croissance. Et la croissance mène à la création d’emplois.»

Globalement, le lien fait entre private equity et croissance passe par trois canaux: l’innovation, la productivité et la compétitivité. «Le capital-investissement a été pensé justement pour financer la croissance des activités innovantes. Les entreprises qui font la quatrième révolution industrielle sont très souvent accompagnées par des fonds de capital-investissement dédiés ou des fonds de capital-investissement d’entreprises.»

Une nouvelle opportunité semble s’ouvrir aujourd’hui pour le secteur: la crise économique engendrée par la pandémie de Covid-19 fait la part belle à la dette. «Les entreprises ont pu bénéficier de prêts garantis par l’État, d’avances remboursables, à tel point que leurs bilans vont être mis sous pression. Et le métier du capital-­investissement, c’est aussi d’apporter des fonds propres.» Pour Michel-Edouard Ruben, le private equity peut être un instrument – il ne sera pas le seul – susceptible de permettre une bonne gestion de la sortie de crise.

À au moins deux niveaux. D’abord, les professionnels du private equity ont, ces deux dernières années, collecté plus que ce qu’ils ont investi. On estime actuellement qu’à l’échelle mondiale, ce sont 1.700 milliards de dollars qui sont en attente d’investissement. On parle de dry money. Toute la difficulté sera de les investir dans les bonnes entreprises. Le marché pourra-t-il absorber ce flux? Beaucoup en doutent. Sauf pour voir les valorisations flamber, et les investisseurs assouplir leurs critères de risque. Le secteur peut également aider à canaliser le surplus d’épargne issu de la crise. «On parle beaucoup du fait qu’en Europe, et singulièrement au Luxembourg, il y a une masse d’épargne supplémentaire. Cette épargne-là, on sait qu’elle peut très facilement se diriger de façon totalement naturelle vers l’immobilier. Si, au lieu d’aller vers l’immobilier, elle traversait le capital-investissement pour se retrouver dans les entreprises, ce serait une bonne chose.» Un appel est lancé.

Et les investisseurs, dans tout ça? De prime abord, investir dans des actifs non cotés contraint à une immobilisation longue des fonds – souvent plusieurs années –, alors que les marchés permettent à peu de frais d’arbitrer entre les différents titres de son portefeuille, voire de sortir complètement très rapidement. Mais en termes de rendement, les performances sont, sur une longue période, jusqu’à deux fois supérieures à celles des marchés actions. Avec, en prime, la satisfaction de participer au succès de jeunes pousses. Autre atout: la diversification des portefeuilles. Tous ces avantages ont très bien été compris par les investisseurs institutionnels. Et ils pourraient bientôt profiter aux investisseurs lambda. La tendance est à la démocratisation. Une tendance de fond. En attendant que les tickets d’entrée baissent dans ces fonds, certains établissements financiers jouent un rôle de grossiste en souscrivant à un fonds institutionnel à hauteur de plusieurs millions d’euros, cette participation étant apportée à un fonds nourricier dont les parts seront souscrites par ses clients. C’est un nouveau marché qui s’ouvre.

Le lexique du private equity

Private equity

Terme générique désignant l’opération par laquelle un investisseur achète des actions d’une société non cotée en bourse à la recherche de fonds propres. L’investissement s’effectue par l’achat de titres auprès d’actionnaires qui souhaitent sortir du capital de la société ou par le biais d’une augmentation de capital et de la souscription à des parts nouvel­lement créées. Pour l’investisseur, qu’il soit une personne privée ou une société, l’avantage est de permettre d’acheter une entreprise pour la revendre à terme, tout en ayant remboursé une partie de l’emprunt contracté pour financer l’acquisition grâce aux bénéfices réalisés par la société. Pour l’entreprise, ce type de finan­cement est une alternative au traditionnel financement par voies bancaires. On peut y recourir aussi bien au moment de la création et du lancement de la société que pour en financer le développement ou son redressement financier.

Public equity

Terme générique désignant l’investis­sement dans des sociétés cotées en bourse. Sur le terrain, on distingue plusieurs types d’investissements en private equity:

-Le capital-risque (venture capital) et le capital-investissement: Ce terme vise l’investissement dans des entreprises jeunes ou des start-up. Les fonds de venture capital sont souvent spécialisés dans une activité spécifique où ils ont développé une connaissance industrielle et commerciale favorisant une valeur ajoutée importante au niveau stratégique et opérationnel.

-Les fonds de capital-croissance (growth capital): Ils interviennent auprès d’entreprises plus mûres en recherche de financements pour soutenir leurs projets de développement.

-Les fonds de buy-out: Il s’agit ici d’opérations de rachat de la totalité des actions d’une société. Si le fonds acheteur emprunte pour financer l’opération, on parle d’un leverage buy-out (LBO). Si la reprise s’effectue pour le compte du management de l’entreprise, on parle de management buy-out (MBO).

Le corporate venture capital (CVC), ou capital-risque d’entreprise

Ce terme désigne l’investissement de fonds provenant d’une entreprise directement dans une entreprise extérieure souvent innovante et en phase de démarrage. Le CVC fournit une expertise en gestion et en marketing en contrepartie d’un avantage concurrentiel sur son marché.

Fonds alternatifs

Le développement du private equity est passé par sa démocratisation. Pour être mis à la portée de – presque – toutes les bourses, des fonds d’investissement «thématiques» se sont créés. Ces fonds dits de private equity, en référence à leur stratégie d’investissement, sont classés dans la grande famille des fonds alternatifs. Historiquement, le terme «fonds alternatif» renvoyait aux sulfureux hedge funds. Depuis la directive AIFM de 2011, les fonds alternatifs sont tous les fonds non régis par la directive Ucits. On trouve donc, dans cette catégorie, outre les fonds de private equity et les hedge funds, les fonds immobiliers, les fonds d’infrastructures et les fonds de dette privée.

Shadow banking

Il s’agit de l’ensemble des activités et des acteurs contribuant au financement non bancaire de l’économie. Le private equity appartient à cette famille — une famille dont la mauvaise réputation est liée à la crise financière de 2008. Ses risques étaient importants: opacité, un effet de levier souvent démesuré, une structure de financement de type défaut pouvant faire l’objet de désengagements massifs brutaux et un niveau de risque systémique.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de  qui est parue le 24 mars 2021.

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