Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg, voit poindre le retour de l’inflation depuis les États-Unis. (Photo: Maison Moderne)

Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg, voit poindre le retour de l’inflation depuis les États-Unis. (Photo: Maison Moderne)

La crise économique liée au Covid-19 fut dans un premier temps déflationniste à cause des mesures de restriction qui ont fait baisser les prix pétroliers et la consommation. Mais les aides prises par les autorités fiscales et monétaires pour limiter les effets économiques de la récession pourraient avoir des répercussions sur le prix des biens et des services à moyen terme. Cela est d’autant plus le cas aux États-Unis qu’en zone euro. Explications.

Les déficits budgétaires colossaux s’enchaînent aux États-Unis. Après une balance fiscale déficitaire de près de 15% du PIB en 2020, l’État américain ne compte pas en rester là. Les démocrates tentent de faire passer au Congrès un énième plan de soutien qui se chiffre à 1.900 milliards de dollars, ce qui accroîtra le déficit budgétaire américain aux alentours de 20% du PIB cette année.

Cette proposition a comme priorité d’octroyer des aides financières aux Américains, sous forme d’un paiement unique et d’une augmentation des allocations de chômage. Suite aux différentes mesures prises par le gouvernement américain, le revenu des ménages a augmenté durant la pandémie. Ces derniers ont donc accumulé une épargne importante, qui pourra être dépensée une fois que les restrictions en place seront levées.

À la différence de la crise financière de 2008, lorsque les plans de sauvetage des États visaient avant tout à renflouer le capital des banques et des institutions financières, cette fois-ci, les aides de l’État ont un impact direct sur les finances des ménages. Une hausse de la demande est de nature à faire augmenter les prix, toute chose étant égale, par ailleurs. Cette situation potentiellement inflationniste sera moins apparente en zone euro, où les aides fiscales n’ont pas compensé entièrement la perte des revenus de la population.

En zone euro, les aides fiscales n’ont pas compensé entièrement la perte des revenus de la population.

Alexandre GauthymacroéconomisteDegroof Petercam Luxembourg

En plus de cet aspect budgétaire, un autre élément pourrait faire renaître l’inflation. Suite à la redéfinition des objectifs de la Réserve fédérale américaine, les nouvelles conditions pour resserrer la politique monétaire sont devenues plus exigeantes que lors des cycles précédents. Non seulement la Fed vise dorénavant une inflation supérieure à 2% pour un certain temps, mais sa définition du plein emploi a été également revue. Ce dernier élément est primordial.

Si, auparavant, le taux de chômage global de l’économie américaine était l’indicateur prémonitoire, dorénavant, la Fed tiendra compte du taux de chômage des tranches de la population américaine les plus vulnérables. La Fed a donc ajouté une dimension d’inclusion dans son objectif de plein emploi. Si l’objectif d’inflation devrait être atteint cette année sous l’effet d’une reprise économique vigoureuse suite aux aides budgétaires importantes, il faudra sans doute compter une période beaucoup plus longue avant que la condition de plein emploi ne soit remplie.

Par conséquent, la Fed devrait maintenir sa politique monétaire extrêmement souple, alors même que l’inflation dépassera la cible de 2%. Le risque de surchauffe de l’économie américaine à moyen terme est donc bel et bien réel.

Ces nouveaux critères d’inclusion sur le marché de l’emploi et de tolérance pour une inflation plus élevée ont des répercussions importantes sur l’économie et le prix des actifs. Le statu quo de la Banque centrale devrait supporter les valorisations élevées des actions et pourrait alimenter des excès de marché, dont certains s’observent déjà aujourd’hui. À ce sujet, la Fed ne semble pas alarmiste. Lors de sa réunion monétaire qui s’est déroulée après la survenance de la hausse spéculative de Gamestop et d’autres titres, le président de la Fed a souligné que des mesures macroprudentielles étaient plus appropriées que les outils de politique monétaire traditionnels (taux directeurs, achats d’actifs) pour éviter ces déséquilibres de marché.

La Fed ne semble pas alarmiste.

Alexandre GauthymacroéconomisteDegroof Petercam Luxembourg

Un dernier élément qui plaide en faveur d’un retour modéré de l’inflation à moyen terme est le phénomène de déglobalisation, qui s’est accéléré sous l’administration Trump. Les politiques protectionnistes et le souhait de rapatrier une partie de la production qui avait été externalisée dans certains pays émergents devraient conduire à une hausse des coûts de production dans les pays développés.

Alors que la crise sanitaire aura temporairement tari les pressions inflationnistes aux États-Unis, certains indicateurs du marché du travail américain suggèrent que les pressions inflationnistes sur les salaires n’ont pas disparu pour autant. Hors secteur de l’horeca, qui, à lui seul, est responsable de 40% des pertes d’emplois depuis février 2020, les hausses salariales annuelles dans la plupart des autres secteurs dépassent 3%. Le manque de main-d’œuvre qualifiée reste la première préoccupation des petites entreprises américaines. Enfin, les aides généreuses de l’État américain, ainsi que la redéfinition l’année dernière des objectifs de la Fed, pourraient bien faire réapparaître l’inflation ces prochaines années.