Le renforcement des pouvoirs de l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma) est présenté comme le corollaire de l’achèvement de l’Union des capitaux. Un achèvement que veut au plus vite Emmanuel Macron, le président de la République française qui rêve de faire de Paris la première place de la finance européenne, rôle abandonné par la City. Et le fait que l’Esma ait son siège à Paris est pour lui un plus pour cette stratégie.
L’empressement du président français à aller dans le sens d’une centralisation de la supervision financière en Europe suscite beaucoup de suspicions. Des suspicions relatives au fait qu’en demandant plus de pouvoir par rapport aux superviseurs nationaux, l’Esma ferait le jeu des grands États membres en général et de Paris en particulier.
Les adversaires à ce renforcement, les petits pays européens, le Luxembourg en tête, main dans la main avec l’Irlande, mais aussi l’Allemagne, estiment qu’un cadre réglementaire unique n’a pas besoin d’une autorité de surveillance centrale puissante, mais plutôt de règles cohérentes qui pourraient être contrôlées plus efficacement au niveau national.
L’Esma est avant tout une autorité de surveillance européenne.
Une crainte de parti pris que balaie la présidente de l’Esma, Verena Ross, qui souligne que «l’Esma est avant tout une autorité de surveillance européenne».
«Elle est véritablement européenne par nature et le document de synthèse avec 20 propositions que nous avons publiées, il y a quelques semaines, sur la création de marchés de capitaux plus efficaces a été soutenu par l’ensemble du conseil d’administration de l’Esma. Il s’agit donc de l’ensemble des 27 autorités de surveillance nationales. Pour moi, il s’agit de créer le bon marché des capitaux dont l’Europe a besoin collectivement. Et c’est à cela que nous devons travailler. Et pour y arriver, nous avons besoin du soutien des gouvernements nationaux et des ministres des Finances. Tous doivent réfléchir non seulement à ce qu’ils doivent faire au niveau national – oui, il est important de développer les marchés nationaux –, mais aussi à ce qu’ils doivent faire ensemble pour créer un véritable marché commun européen des capitaux qui rendra l’Europe en tant que telle attrayante pour les investisseurs mondiaux, il faut créer des secteurs paneuropéens réglementés. Et pour cela, nous devons travailler ensemble.»
L’objectif que poursuit l’Esma est avant tout «de faire converger les contrôles dans le système actuel et donc de réunir toutes les autorités de contrôle nationales pour s’assurer que les résultats que l’on cherche à atteindre sont alignés». Et de poursuivre: «Il faut s’assurer d’avoir une base commune que tout le monde respecte. Il faut éviter les arbitrages réglementaires. Les entreprises qui veulent faire des affaires en Europe doivent respecter ces règles de base.»
Un superviseur unique mais pas omnipotent
Rassurante encore, Verena Ross insiste sur le fait qu’un cadre réglementaire unique nécessite un superviseur unique. Mais pas omnipotent.
«Aujourd’hui, une grande partie du cadre de surveillance européen est très axée sur les entreprises locales qui fournissent effectivement des services dans leur État membre national. Et il est tout à fait logique, pour la majorité du système financier, qu’il y ait une supervision au niveau de l’État membre national. Ce que nous disons cependant, c’est que si vous voulez vraiment changer d’échelle, si vous voulez créer un marché unique européen des capitaux, vous devez aussi au moins considérer que, dans certains domaines qui sont généralement paneuropéens, vous pouvez obtenir plus d’efficacité, un plus grand alignement réglementaire et de supervision en cherchant également quel est le cadre de supervision le plus efficace pour aller de l’avant. Cela ne signifie pas que la supervision de tout doit être transférée au niveau européen. Il s’agit plutôt d’examiner des domaines spécifiques où, au cas par cas, cela pourrait avoir du sens.»
Verena Ross cite comme exemple de centralisation pertinente les infrastructures de marché paneuropéennes ou la surveillance des fournisseurs de services d’actifs cryptos.
La nécessité de disposer de règles et d’une supervision plus simples et plus efficaces.
Une autre critique à la centralisation des contrôles tient au risque de surréglementaiton qui en découle.
Une crainte dont s’est fait l’écho à Paperjam le ministre des Finances, (CSV). «Les principaux obstacles à la libre-prestation de services financiers et à l’investissement par les citoyens européens sont de nature réglementaire et ne relèvent pas de la compétence des autorités de surveillance», explique-t-il. Un argument que comprend Verena Ross. «Gilles Roth a raison de dire qu’il y a encore beaucoup à faire pour créer un véritable cadre réglementaire commun en Europe. Pour l’instant, nous avons encore très souvent des directives et non des règlements. La mise en œuvre au niveau national crée donc des cadres réglementaires différents. Mais ce que nous constatons également, c’est que même lorsque les cadres réglementaires sont alignés, le fait d’avoir une supervision dans 27 marchés nationaux différents crée encore des barrières et de la fragmentation. Je pense que la réglementation en elle-même n’est probablement pas suffisante. Il est important de modifier le cadre pour le rendre plus agile, plus efficace et plus efficient. Mais il faut aussi se demander comment poursuivre l’alignement de la surveillance, la convergence et, dans certains cas, s’il est nécessaire d’aller encore plus loin.»
Quant au risque de déréglementation en lui-même, «nous sommes conscients à l’Esma que l’un des domaines auxquels nous devons également être très attentifs est la nécessité de disposer de règles et d’une supervision plus simples et plus efficaces afin de s’assurer que l’Europe reste un endroit attrayant pour les entreprises et les investisseurs. C’est pourquoi nous cherchons également à réduire la charge administrative des entreprises et à faire en sorte que le système soit simple et facile à utiliser. Ceci est absolument essentiel.»
Main dans la main avec le marché
La troisième critique faite à l’Esma est celle d’un régulateur distant, enfermé dans sa tour d’ivoire et loin des réalités du terrain.
Une argumentation que balaie encore Verena Ross. «Pour l’Esma, il est important d’avoir un système réglementaire qui soutienne le développement des entreprises. Un système de réglementation et de surveillance fort, clair et bien adapté peut en effet soutenir le développement des entreprises. Pour nous, l’importance de créer un meilleur marché des capitaux est exactement cela, essayer de s’assurer que les entreprises puissent se développer et qu’elles puissent trouver le financement nécessaire à leur développement. Pour moi, un système de réglementation et de surveillance bon et efficace est ce dont nous avons besoin pour stimuler et soutenir le développement des entreprises en Europe. Le régulateur et le superviseur doivent être très ouverts aux discussions avec les parties prenantes, avec le marché. C’est ce que nous faisons dans le cadre de nos travaux. Nous devons trouver un équilibre entre les intérêts du secteur et ceux des consommateurs et des investisseurs. Il s’agit donc d’un engagement très collectif des parties prenantes, qui, selon nous, doivent travailler main dans la main avec le régulateur et l’autorité de surveillance pour parvenir à une solution commune. Nous voulons être très ouverts. Nous essayons de tendre la main, nous organisons beaucoup de consultations, d’ateliers et d’auditions publiques afin d’obtenir des informations, car, en tant que régulateurs, nous ne voulons pas rester dans une tour d’ivoire, nous voulons être sur le terrain, comprendre le fonctionnement des entreprises et ne pas entraver l’innovation.»