Rare moment de pause pour Corinne Kox en cette période de vendanges. Seul l’état du ciel, crucial dans la production annuelle de 80.000 bouteilles, décide du calendrier. (Photo: Maison Moderne)

Rare moment de pause pour Corinne Kox en cette période de vendanges. Seul l’état du ciel, crucial dans la production annuelle de 80.000 bouteilles, décide du calendrier. (Photo: Maison Moderne)

Au Domaine Kox, à Remich, où l’on exploite quinze cépages sur onze hectares, les vendanges ont démarré tôt. Elles sont prévues pour durer un mois. La gérante, Corinne Kox, raconte la gestion de cette séquence cruciale dans l’année commerciale.

Elle dit que c’est une période de «loterie». Un défi de chaque matin pour la maniaque du détail qu’elle est, attentive à tout, tout le temps, malgré elle souvent. Hier, ses équipes ont longuement charbonné dans les vignes, dos et nuque courbés, les sens aux aguets. En ce vendredi, c’est relâche, ou à peu près. Tout le monde se retrouvera au sortir du week-end, dans l’aube du lundi matin.

Le ciel est clair pourtant, le soleil vif, mais les températures plus frisquettes que les normales. Autant d’éléments ayant concouru à la décision d’appuyer, 24 heures durant, sur la touche «pause». Sans parler de l’organisation opérationnelle des équipes. Les vendanges, de toute manière, sont synonymes d’imprévus et d’adaptation en continu.

«Il faut utiliser son cerveau»

Chaque été finissant, à Remich, Corinne Kox préside au boulot de douze à quinze paires de bras durant la récolte. Dont une moitié de saisonniers aux profils variés. Étudiants, retraités… «Certaines personnes reviennent depuis plusieurs années, notamment les retraités. Ça, c’est la situation idéale pour la qualité du travail effectué. On explique les choses une première fois, ensuite on peut s’installer dans une forme de continuité», déroule la gérante – depuis 2019 – , dont onze sont exploités actuellement (le douzième vient d’être replanté, merci de patienter quelques années).

Quand, tout à l’heure, elle a parlé de «loterie», c’est à cela que Corinne Kox faisait allusion. «Mettre des gens ensemble, cela y ressemble, oui. Comme dans tout travail en équipe, la cohésion est importante. Mais l’atmosphère peut être positive comme négative. Certains sont là pour rigoler, d’autres se présentent pour le job en s’imaginant que c’est tout bête, qu’il suffit de couper du raisin. Je ne suis pas d’accord, il faut aussi utiliser son cerveau. Il y a une sélection des raisins à opérer. Chacun est en charge d’une forme de contrôle qualité.»

«Un exercice méditatif»

À notre arrivée sur place, on lui avait fait remarquer, tout benoît, que ses mains ne dévoilaient aucun stigmate du labeur dans les rangs de vigne. Zéro griffure, pas même une éraflure. Ça nous avait surpris. Les mains, c’est pourtant l’instrument de travail le plus sollicité, non? «Non, le plus important, c’est ça», avait-elle rétorqué, désignant d’un geste immédiat son nez et son palais, classés à égalité. «Pour contrôler le raisin, c’est tout simple, il suffit de goûter», explique-t-elle en conséquence. Puis d’illustrer: «Dans une vigne avec un cépage rouge, on peut avoir une maturité hétérogène. Mais ça, on le repère à l’œil. Pour le blanc, les choses peuvent être plus complexes question coloration. Si on a un doute, il faut donc goûter. En soi, ce n’est pas compliqué. Mais il faut vouloir raisonner.»

Le silence, la pleine nature, nue, le vent frais sur les joues, le sucre du raisin (ou son acidité) à pleine bouche… Corinne Kox l’assure, un brin mystique: «Si l’on est dans le ‘flow’, cela peut être un exercice méditatif.» 

Sprint et marathon

Ici, les vendanges ont démarré dès les premiers déclins du mois d’août. «Le 22», se remémore à l’aide de son smartphone la patronne, qui, depuis quelques années, a remis au goût du jour le verjus, ce jus de raisin encore vert utilisé en cuisine pour remplacer l’utilisation du vinaigre ou du citron. À partir de ce fameux verjus, la parenthèse est prévue pour s’étirer sur un mois. Une durée particulièrement longue par comparaison avec d’autres exploitations du vignoble luxembourgeois (environ 1.200 hectares), se justifiant par l’imposante variété de cépages plantés. «Quinze», calcule Corinne Kox, «c’est énorme. De fait, tous ces cépages ont une maturité différente. Dans d’autres régions, comme la Champagne, où l’on ne travaille qu’avec deux ou trois cépages, les vendanges sont davantage condensées.»

Sprint ou marathon? «Les deux», tranche-t-elle. La faute aux aléas des cieux – encore eux. Elle relate: «L’année dernière, on n’a pas eu le temps de se ‘reposer’, il a fallu vendanger pratiquement tous les jours. Il y avait eu beaucoup d’humidité en juillet et en août, les sols étaient trempés et les raisins en train de pourrir à une vitesse incroyable. Plus que jamais, il a fallu faire une sélection.»

Été 2024, même topo: «C’est compliqué. Je dors sous les toits, j’entends la pluie. Oui, dès qu’il y a trois gouttes, je les entends… On travaille en agriculture biologique, la fréquence des pluies a énormément joué sur le développement des vignes et sur celui des maladies fongiques.» Le champignon, c’est l’ennemi numéro un.

«Trois milliards de scénarios dans la tête»

D’août à septembre, Corinne Kox vit ainsi avec un chrono à la place du crâne. Et pas mal d’obsessions pour escorter tout ça. «Je suis très mauvaise pour gérer toutes les émotions pendant les vendanges», sourit-elle. «D’autres savent rester cool, calmes. Pas moi. Dès le lever, je pense à tout ce qui s’est passé et à tout ce qui va arriver. J’ai trois milliards de scénarios dans la tête quant aux heures à venir. C’est ça qui génère du stress.»

Elle s’analyse: «Je suis d’une nature qui m’incite à tout vouloir contrôler. Je la tiens de mon père [Corinne Kox a succédé à ses parents, Laurent et Rita], très porté sur le micro-management. Quand lui-même a repris le domaine de ses grands-parents, il était seul. Il ne pouvait donc rien déléguer. Moi, j’ai un parcours différent. J’ai fait des études de biologie moléculaire à l’étranger, j’ai grandi dans une entreprise avec des employés et même travaillé en tant qu’employée pour des entreprises. Quand je mets en place des nouveautés, j’instaure des protocoles. Mais ensuite, je tâche de laisser de la liberté. Il faut savoir reconnaître que l’on ne sait pas tout faire. Être humble. Pouvoir se dire: ‘D’autres savent mieux que moi.’ À l’arrivée, c’est un équilibre à trouver.»

Cette même humilité la conduit à refuser tout pronostic quant à la qualité d’un millésime: «Je ne dis jamais rien à ce sujet, je n’ai pas l’expérience de mon père, ni celle de vignerons comptabilisant une trentaine de millésimes derrière eux. De toute façon, tout peut changer jusqu’à la dernière minute. Les conditions peuvent avoir été favorables durant toute la saison, rien ne dit que cela ne va pas être gâché sur la fin.» Elle a cette formule pour résumer la difficulté de l’entreprise: «C’est le raisin qui a le dernier mot.» Pour 2024, l’histoire ne fait que commencer.