Le «value-based healthcare» sera au cœur de la première Healthcare week Luxembourg, organisée par la FHL et ses partenaires du 20 au 22 septembre. Mais de quoi s’agit-il concrètement? Première difficulté: ce concept, développé par l’économiste Michael Porter et la médecin chercheuse Elizabeth Teisberg n’a pas de traduction française. Différents pays utilisent l’anglicisme, mais la traduction la plus proche serait «les soins de santé axés sur la valeur». Mais encore?
«Quand on parle de valeur, en français, il y a d’abord la notion de valeur économique. On peut aussi parler de valeurs qui sont plus éthiques et morales. Il faut différencier les deux. Ici, on parle vraiment de la création de valeur», amorce le président de la FHL, Philippe Turk, qui schématise ce concept autrement. «On voit aujourd’hui le système de soins comme des contraintes de dépenses à court terme, alors que la notion de Value-based healthcare (VBHC) est une inversion de paradigme, c’est-à-dire qu’on veut considérer que le système de santé est un investissement sur le long terme.»
Le «value-based healthcare» est avant tout une réflexion sur ce que doit être un système de santé plus efficient et efficace. «Il s’agit de mesurer des résultats et non pas juste des dépenses. L’exemple de la polémique sur les IRM montre cela. Nous avons ce que j’appelle une pénurie programmée, avec des machines qui ne tournent pas le week-end, car la Caisse de maladie est dans une logique de maîtriser les finances et ne finance pas les personnels pour les faire tourner. VBHC, c’est déjà se poser les questions de quelles dépenses est-on prêt à assumer.»
Cette approche disruptive, en cela qu’elle veut rompre avec le schéma actuel du système de santé, a vocation à mesurer, quantifier la prise en charge du patient dans sa globalité. Selon l’économiste Michael Porter, cette valeur, c’est celle qui est délivrée au patient, et elle se calcule en divisant les résultats des soins bénéfiques par rapport aux coûts par patient.
Ce qui change pour le patient
Le patient, justement, se retrouve partie prenante de ce système et n’est plus seulement passif. Et c’est d’ailleurs là que la notion de «patient partenaire» qu’évoque très régulièrement le président de la FHL prend tout son sens. L’idée avec le VBHC est de l’inclure au centre du système et d’évaluer les bénéfices qu’il a pu en tirer tout au long de son parcours de soin.
Prenons l’exemple d’un patient touché par le diabète. «Dans la démarche actuelle, le diabétique va être diagnostiqué, on va vérifier son taux régulièrement. Dans le même temps, on lui dit qu’il faut maigrir, on l’envoie chez le diététicien, mais on le laisse se débrouiller pour le trouver. Un an après, on se rend compte qu’il faudrait l’envoyer chez l’ophtalmologue car il a une atteinte à ce niveau à cause du diabète. On parle de prise en charge sur dix ans, parfois plus. Pendant ce temps, il va changer plusieurs fois de traitements, il va passer d’un médecin à l’autre, voir des spécialistes pour plein de complications qui sont prévisibles, mais évitables. En appliquant le principe de VBHC, quand on diagnostique le diabète, on prévoit déjà tout cela dans la prise en charge, dès le départ. En évaluant son parcours et celui d’autres dans des cas similaires, on va accumuler un certain nombre de données qui permettront de définir un parcours de soins plus adapté», illustre le secrétaire général de la FHL, Sylvain Vitali.

L’équation du concept de Value-based healthcare. (Visuel: Maëlle Hamma)
«On va aussi s’intéresser à la qualité de sa prise en charge, comment il la vit sur un temps long. Mais cela ne fonctionne que si on introduit cette notion de patient partenaire», poursuit-il. Dans le modèle actuel, on mesurerait son état de santé en se basant sur des critères plutôt basiques tels que la survie ou les taux biologiques habituellement observés. «En appliquant la logique du VBHC, on va distinguer deux types d’indicateurs, d’abord les PROMs qui sont les effets produits pour la santé du patient (combien de temps a-t-il passé à l’hôpital? Quand a-t-il pu repratiquer une activité physique, etc.), mais aussi les PREMs qui sont basés sur son expérience: comment a-t-il vécu les délais? L’annonce du diagnostic? L’accompagnement? La douleur et sa prise en charge?», explique Sylvain Vitali.
En plus de ces indicateurs PROMs et PREMs, sont aussi scrutés les CROMS, c’est-à-dire des données mesurées sur les patients, mais avec un aspect clinique (comme les scores chirurgicaux, l’imagerie).
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Une fois les indicateurs posés, pour mesurer et créer de la valeur, il faudra aussi définir des objectifs, encore une fois avec l’implication du patient. «Prenons l’exemple de deux patients qui ont tous les deux un problème à la hanche et qui prennent déjà des antidouleurs depuis deux mois pour aller faire leurs courses au Cactus à 500 mètres. On leur propose une opération pour une prothèse de la hanche. Le premier pourrait estimer que l’objectif est atteint s’il peut retourner faire ses courses sans antidouleur en marchant normalement. Mais le second, lui, pourrait attendre de cette opération qu’elle lui repermette de courir un marathon. Les deux n’ont pas la même attente et l’objectif à fixer sera différent. Il faut que patient et médecin(s) soient d’accord sur l’objectif fixé, sinon on ne pourra pas mesurer le résultat et la valeur créée», détaille Philippe Turk.
Le dialogue entre soignant et patient laisse-t-il à désirer aujourd’hui? «Il existe déjà, mais dans certaines urgences, il n’y a pas toujours le temps de discuter. Aujourd’hui, je dirais que cela dépend plutôt de l’empathie de chaque professionnel, il y a aussi des patients qui ne veulent pas trop de détails», répond le médecin.
Ce que ça changera pour les médecins et l’hôpital
Mesurer des indicateurs, évaluer, noter… Un nouveau système qui pourrait faire grincer des dents dans les rangs des médecins réticents à l’idée d’un classement, d’une sanction. Le président de la FHL, lui-même médecin, y voit plutôt les bases d’un cercle vertueux: «Chaque professionnel sera amené à questionner le sens de son travail. En cela, je crois que cette mesure de résultat fait du sens pour les professionnels aussi.»
Ils devront repenser leur façon de travailler, loin du modèle du médecin savant et du patient inculte avec le premier qui diagnostique et prescrit, et le second qui subit sans poser trop de questions.
«Cette approche fonctionne aussi bien pour le privé que pour le public, mais aussi ailleurs en Europe. J’ai par exemple vu que cela se faisait au Portugal dans un système de santé qui repose davantage sur le privé», précise Sylvain Vitali.
Aujourd’hui, les travailleurs de la santé sont payés pour ce qu’ils font, pas pour ce qu’ils atteignent.
Un des bénéfices majeurs de cette approche serait les répercussions positives en termes de santé publique. Car toutes les données recueillies via les mesures d’indicateurs, si elles sont correctement gérées et exploitées, pourront être utilisées pour soigner d’autres patients, mettre en place de nouveaux traitements, cesser certaines pratiques ou examens envahissants, peu utiles et coûteux. Cette approche devrait aussi ouvrir la voie à une médecine plus personnalisée et présente d’autres intérêts, notamment en termes de recherche et d’innovation, en mesurant des effets à long terme de nouveaux traitements.
Certes, ces derniers sont testés et contrôlés avant leur mise sur le marché, mais la vie quotidienne diffère souvent des contextes des essais cliniques, encore plus quand les patients ont des facteurs de comorbidités. «La santé est beaucoup plus large que ce qu’on croit voir aujourd’hui avec un médecin, un ministère un peu poussiéreux, une sécurité sociale pas très sexy et une CNS qui embête les gens. On change de perspective», s’amuse Philippe Turk.
À terme, un impact sur le financement du système
Au-delà du patient, du médecin et des soins, l’objectif de VBHC est bien de «révolutionner» le système de santé, et ce en profondeur. En guise d’aboutissement, il s’agit de repenser le financement du système de santé. «Aujourd’hui, les travailleurs de la santé sont payés pour ce qu’ils font, pas pour ceux qu’ils atteignent», schématise Philippe Turk.
Les fervents défenseurs du VBHC y voient un moyen d’assurer la soutenabilité des systèmes de santé au niveau économique et financier, à l’heure où de nombreux pays atteignent ou sont sur le point d’atteindre la limite de leurs capacités de dépenses en termes de soins de santé. Et pourtant, la population vieillit, les cancers ont tendance à se chroniciser et les prises en charge sont plus longues dans le temps. Autrement dit: ces dépenses ont bien peu de risque de diminuer à l’avenir, au contraire! L’objectif de VBHC est donc de conditionner le système de soins en finançant des soins qui ont un réel impact sur l’état de santé du patient.
On est ici en opposition complète avec la vision de l’AMMD qui dit que la digitalisation c’est le patient transparent.
«On passerait dans une logique tout à fait différente d’un paiement à l’acte. C’est compliqué et on ne pourra pas changer ces énormités systémiques du jour au lendemain. D’ailleurs, les gens n’y comprennent rien et il n’y a pas de volonté de transparence», lance Philippe Turk. «On ne peut pas changer d’un jour à l’autre les systèmes de financement, le VBHC n’est pas un modèle en soi qui remplace un système, mais disons que c’est la cerise sur le gâteau. Mais il ne peut pas être le seul moyen de financer un système de santé», nuance Sylvain Vitali. Pourquoi? «Parce que dans le système de santé, il y a non seulement la maladie et le parcours de soins, mais il y a aussi l’enseignement et la recherche, deux éléments qui ne peuvent pas être financés par VBHC de la même façon», répond-il.
La digitalisation d’abord
Le gouvernement actuel semble se saisir de cette perspective. «Le (dévoilé cet été ndlr) reprend cette terminologie. Maintenant comme le système est d’une grande complexité, le prochain gouvernement aura la tâche de mettre tout le monde autour d’une table pour lancer concrètement cette transformation progressive», espère le président de la FHL qui évoque un enjeu de «démocratie sanitaire».
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Avant cela, d’autres chantiers majeurs doivent être conduits, comme la mise en place d’une stratégie forte de data-management relative à toutes ces données de santé mesurées selon le value-based healthcare. Le développement de l’IA pourrait aider. «On est dans une époque de capacity building, c’est-à-dire que l’on est en train de créer toute l’infrastructure et les institutions nécessaires au développement d’une digitalisation qui tient la route, avec l’agence e-santé ou le LNDS. On est ici en opposition complète avec la vision de l’AMMD qui dit que la digitalisation, c’est le patient transparent. Je dis le contraire, les données de santé sont utiles pour l’intérêt général».
La matinée du 21 septembre sera dédiée à la thématique du Value-based healthcare. et toutes les informations pratiques de la Healthcare week Luxembourg sont disponibles sur le site dédié.