Armand Kantar, director valuation advisory services chez Kroll, explique que les méthodes et modèles de valorisation doivent s’adapter pour faire face aux futures crises. (Photo: Kroll)

Armand Kantar, director valuation advisory services chez Kroll, explique que les méthodes et modèles de valorisation doivent s’adapter pour faire face aux futures crises. (Photo: Kroll)

Les actifs alternatifs tels que le private equity, la dette privée ou le capital-risque, massivement présents sur la Place, requièrent des méthodes de valorisation spécifiques, mises à rude épreuve d’une crise à une autre. Armand Kantar, director Valuation advisory services chez Kroll, fait le point.

Kroll, anciennement Duff & Phelps, a lancé sa pratique de valorisation au Luxembourg en décembre 2021. Quelles en ont été les raisons?

Armand Kantar. – ««Kroll a historiquement soutenu nos clients luxembourgeois à travers notre pratique globale de portfolio valuation basée à Londres et qui compte 300 professionnels de la valorisation sur l’ensemble de l’Europe. Toutefois, Kroll a inauguré en 2021 sur le simple constat qu'il y a une forte densité de fonds au Luxembourg, notamment des fonds alternatifs, les AIF (Alternative investment funds), en forte croissance, faisant du Luxembourg une Place importante pour des activités de conseil en valorisation. En effet, les AIF détiennent des actifs non liquides et souvent difficiles à valoriser, communément appelés ‘hard to value assets’. Ils nécessitent par conséquent des méthodologies de valorisation rigoureuses et spécifiques à chaque actif.

Les AIF intègrent donc ce que les professionnels appellent communément les «hard to value assets». Qu’est-ce qui les rend si difficiles à valoriser?

A.K. – «Ce sont des actifs pour lesquels il n’existe pas de lecture directe du prix dans le marché, a contrario des actifs cotés en bourse, par exemple. Les ‘hard to value assets’ sont aussi des actifs non liquides. Certains de ces actifs sont d'autant plus difficiles à valoriser qu'ils ne génèrent pas encore de revenus, tels les ‘early stage investments’ dans le domaine du capital-risque. De plus, des investissements touchent parfois à de nouvelles industries ou à des niches technologiques qui les rendent difficiles à comparer avec d'autres entreprises semblables.

Les ‘hard to value assets’ sont aussi des actifs non liquides. Certains de ces actifs sont d’autant plus difficiles à valoriser qu’ils ne génèrent pas encore de revenus, tels les ‘early stage investments’ dans le domaine du capital-risque.
Armand Kantar

Armand Kantardirector Valuation advisory servicesKroll

Quelle est l’approche de l’industrie vis-à-vis de la valorisation des «hard to value assets»?

A.K. – «En raison des défis qu’ils représentent, les ‘limited partners’ poussent de plus en plus leurs ‘investment advisors’ ainsi que leurs AIFMs qui sont souvent basés au Luxembourg  à faire valider leur NAVs (net asset values) par des parties tierces indépendantes réputées telles que Kroll. Cette pratique apporte une crédibilité indépendante aux NAVs, instille la confiance auprès des régulateurs et des investisseurs quant à la gouvernance des valorisations et permet aux AIFMs de réduire leur propre risque lié aux valorisations.

C’est donc là que vous intervenez en tant que société de conseil. Comment vous insérez-vous dans les processus de vos clients?

A.K. – «Notre rôle est d’être un vérificateur indépendant du processus de valorisation du client, que ce soit dans le format d’une valorisation indépendante intégrale à des fins de corroboration ou d’une opinion de ‘positive assurance’. Notre modèle d’affaires consiste donc à soutenir les processus de valorisation des fonds, en étant en dialogue permanent avec eux. Ils nous fournissent leurs informations pour que nous puissions ensuite effectuer les valorisations. Ce n’est pas un exercice unique, il nécessite plusieurs itérations. Pour ce faire, nous disposons d'un savoir-faire méthodologique et technique qui nous permet de valoriser toute la gamme d’actifs détenus par les fonds alternatifs, ce qui inclut notamment du private equity, du private debt, du venture capital ou des produits dérivés.

Dans la pratique, comment vous y prenez-vous pour valoriser ces types d’actifs?

A.K. – «Nous mettons en place une approche méthodologique et un cadre de valorisation qui intègre les ‘best practices reconnues et les cadres de référence IPEV (International private equity and venture capital valuation guidelines) et IFRS (International financial reporting guidelines). Notre analyse technique comprend une analyse financière sur la base de modèles financiers complétée par une vision d’ensemble du business visant à identifier tout élément ayant un impact sur la valeur. Notre point de départ est naturellement le prévisionnel ou « business plan » qui reflète les attentes futures des entreprises analysées. Notre méthodologie doit être suffisamment robuste pour pouvoir prendre en compte tous les éléments qui affectent la valeur d’une entreprise. Il est en outre indispensable qu’aussi bien le cadre que la méthodologie soient flexibles pour s’adapter aux chocs et volatilités d’une crise, par exemple.

Notre méthodologie doit être suffisamment robuste pour pouvoir prendre en compte tous les éléments qui affectent la valeur d’une entreprise.
Armand Kantar

Armand Kantardirector Valuation advisory servicesKroll

Comment les crises traversées au cours des deux dernières années ont-elles justement affecté les méthodologies et les modèles de valorisation en place?

A.K. – «En fonction des industries, certaines approches de valorisation ont été mises à rude épreuve au cours des deux dernières années en raison de la volatilité des marchés. Si nous prenons l’exemple de l'année 2020, cela pourrait concerner des industries comme le tourisme, la restauration ou le transport, où les fonds ont dû remettre en question le prévisionnel des entreprises. Notre rôle consiste alors à accompagner nos clients dans la mise en place d’un cadre de valorisation adapté à ce défi, et une approche méthodologique qui doit  rester  cohérente dans le temps.

Si l’importance est de maintenir une cohérence des cadres et des méthodologies dans le temps, comment relever le défi de l’anticipation et du changement?

A.K. – «En cas d’incertitude importante du prévisionnel, plusieurs approches méthodologiques sont possibles, y compris la création de plusieurs scénarios par les fonds en fonction de leur compréhension des états futurs possibles du monde. Il peut s'agir, par exemple, de la sortie de la période de la pandémie de Covid-19, et de la formulation d’hypothèses sur le timing d’un retour à la normale de l’activité industrielle. D’autres approches plus complexes, simulant un grand nombre de scénarios comme, par exemple, la modélisation Monte Carlo (Ndlr : une méthode d’analyse pouvant atténuer l’incertitude et la complexité par l’intégration de multiples sources de données), sont aussi possibles.

En fonction des industries, certaines approches de valorisation ont été mises à rude épreuve au cours des deux dernières années en raison de la volatilité des marchés.
Armand kantar

Armand kantardirector Valuation advisory servicesKroll

Avec quels types d’information alimentez-vous vos modèles?

A.K. – «Nos valorisations sont toutes sur mesure, à la fois pour chaque client et chaque investissement. Celles-ci intègrent les éléments qualitatifs et quantitatifs fournis par notre client et ayant un impact sur la valorisation. Notre approche n’est pas simplement un exercice de ‘desktop valuations’, car ,en effet, nous discutons avec nos clients sur leurs réflexions autour de sujets parfois qualitatifs et subjectifs comme par exemple les aspects ESG. Nous conseillons dès lors à nos clients de prendre en compte de pareils éléments qualitatifs, car ils peuvent devenir un risque de valorisation. L’entreprise n’en sera que plus résiliente, en cas de crise, si elle a préalablement identifié ces éléments et les a intégrés à son modèle de valorisation.

Comme vous l’évoquez, les éléments qualitatifs comportent une part de subjectivité. N’est-ce pas la porte ouverte à une trop grande marge d’erreur?

A.K. – «La subjectivité est inhérente à la valorisation des ‘hard to value assets’. Le fait d’essayer d’éliminer cette subjectivité aurait inévitablement pour résultat des valorisations erronées. Ceci créée un risque réputationnel, non seulement pour nos clients, mais pour nous aussi, ainsi que pour l’ensemble de l’industrie. L'essentiel de notre travail est de faire en sorte que les fonds aient un processus de valorisation robuste, flexible et qui prenne en compte les éléments clés affectant la valeur. Bien que rigoureuses et exigeantes, les approches de la valorisation peuvent en effet sembler parfois être plus un art qu'une science exacte. Mais pour Kroll c’est alors un art qui prend appui sur une forte expertise technique et sectorielle, un savoir-faire de professionnels de la valorisation dont l’expérience couvre l’ensemble des actifs et des secteurs industriels.»

Cette interview est issue de la newsletter Paperjam + Delano Finance, le rendez-vous hebdomadaire pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.