Max Leners: «La crise du logement au Luxembourg nécessite plus d’échange d’idées, plus de coopération entre acteurs privés, politiques et publiques.» (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Max Leners: «La crise du logement au Luxembourg nécessite plus d’échange d’idées, plus de coopération entre acteurs privés, politiques et publiques.» (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne)

Afin d’ouvrir le débat en cette période préélectorale, Paperjam offre des cartes blanches à des professionnels et des personnalités de la société civile qui ont des idées à partager pour contribuer à améliorer l’écosystème de l’immobilier et de l’architecture. La première a été donnée à David Syenave, strategy and transactions partner en real estate chez EY Luxembourg. Max Leners a souhaité lui répondre.

Dans sa carte blanche du 7 novembre 2022,  , plus précisément selon l’auteur «un projet de réforme autour de la fiscalité concernant les investissements immobiliers pourrait être un levier efficace et peu complexe à mettre en place» afin de lutter contre la crise du logement au Luxembourg. Une thèse qui nécessite analyse, car elle apparait plus que discutable, surtout d’un point de vue d’équité fiscale.


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Pour commencer, permettez-moi de livrer un bref aperçu sur la «TVA Logement» au Luxembourg, afin d’éclairer les lecteurs sur cette thématique technique et rébarbatif.

En règle générale, les livraisons et prestations se rapportant à la construction de logements au Luxembourg sont soumises au taux normal de la TVA, qui se situe actuellement à 17%. En 1992, afin de relancer le secteur du bâtiment, le législateur prévoyait que la création d’un logement et les travaux de rénovation seraient soumis au taux super-réduit de 3%. Afin de pouvoir profiter de ce taux super-réduit, il fallait uniquement que le logement en question servait in fine de résidence principale, donc dans le chef tant du propriétaire que d’une autre personne comme un locataire.

Le montant total de cet avantage fiscal a été plafonné dès le départ. En 1992, le montant total à rembourser par logement créé a été limité à la somme de 1,5 millions LUF. Par le Règlement grand-ducal du 1er août 2001 et en vue du basculement en euro, ce montant a été apporté à 38.000 euros. En 2008, l’avantage fiscal maximal par logement a été augmenté à 60.000 euros ; puis en 2012, pour des raisons budgétaires, réduite à 50.000 euros.

À partir du 1er janvier 2015, les différents taux de TVA au Luxembourg ont été augmentés de 2%, à l’exception du taux super-réduit de 3%, lequel a connu une limitation dans son champ d’application dans le secteur de la construction de logements. Ainsi, depuis 2015, les travaux de création de logements ne servant pas d’habitation principale dans le chef du propriétaire, ne bénéficient plus de cette faveur fiscale. Le taux de TVA sur l’acquisition d’un logement destiné à la location, donc en cas d’acquisition immobilière en vue d’un investissement, la TVA a été relevée de 3% à 17%.

Donc, actuellement les contribuables construisant un logement servant d’habitation principale dans leur chef, ainsi que ceux qui rénovent des logements utilisés comme résidence principale, sont soumis au taux super-réduit de 3%. Le montant total de cette faveur fiscale résultant de l'application du taux super-réduit ne peut pas excéder 50.000 euros par logement créé ou rénové.

Autant afin d’expliquer brièvement le contexte historique et le système actuel en vigueur.

Le maintien têtu de ce plafond par le législateur ne tient ni compte de l’augmentation de l’évolution des prix en général, ni de l’augmentation des prix de la construction en particulier depuis son introduction en 2012.
 Max Leners

 Max Leners Avocat, activiste et membre du comité directeur du LSAP

Dans sa carte blanche, David Syenave, propose tout d’abord que les primo-accédants, dont je suppose qu’il s’agit des primo-acquéreurs d’un logement, devraient au futur «bénéficier d’un taux de TVA de 3% sur l’ensemble du coût de la démolition, construction et rénovation d’une habitation servant de résidence principale, sans une limite fixée à 50.000 € par logement (...). Au vu des prix du logement actuels, il me semble nécessaire de supprimer ce seuil.»

Tout d’abord je partage l’avis exprimé par l’auteur que ce plafond nécessite une réforme. Le maintien têtu de ce plafond par le législateur ne tient ni compte de l’augmentation de l’évolution des prix en général, ni de l’augmentation des prix de la construction en particulier depuis son introduction en 2012. Ce plafond devrait clairement être revu à la hausse. Un plafond se situant entre 100.000 euros à 150.000 euros, serait à mon avis un plafond justifiable.

Personnellement, je suis assez sceptique vis-à-vis d’une abolition pure et simple de tout plafond, comme proposé par monsieur Syenave. L’abolition de tout plafond risquerait que l’intégralité des coûts de constructions des nouvelles villas seraient subventionnés par la collectivité au taux super-réduit de 3%. Dans les temps actuels, il faudrait accorder des faveurs fiscales à toutes les personnes et entreprises qui en sont en besoin réel et éviter de distribuer des cadeaux fiscaux à des personnes qui n’ont aucun besoin et aucune nécessité financière à les recevoir. Je plaide donc en faveur d’un relèvement sensible de ce plafond, au lieu de son abolition pure et simple.

En outre, Monsieur Syenave, propose pour les investisseurs «d’implémenter une baisse du taux de TVA actuel qui est de 17%», donc de revenir au système avant 2015, où toutes les constructions de logements d’habitation ont été soumises au taux super-réduit.

Ce propos à ce moment ne me choque pas du tout et doit être mis dans le contexte des dernières loi budgétaires et des changements fiscaux que celles-ci ont apporté.

Il faut absolument se rappeler que le cumul de toutes ces «petites» faveurs fiscales destinées à la stimulation de l’investissement immobilier au Luxembourg a créé un système pervers!
Max Leners

Max LenersAvocat, activiste et membre du comité directeur du LSAP

Afin d’atténuer la demande sur le marché de l’immobilier, la proposition de loi pour le budget 2023 prévoit de limiter – une nouvelle fois après une première limitation par la loi budgétaire de 2021 – le dispositif fiscal de l’amortissement accéléré. Depuis des années, le maintien de l’amortissement accéléré a été vu comme un élément déterminant en faveur d’un investissement continu dans le domaine de l’immobilier et ainsi le changement de ce dernier fait rebondir la revendication à la ré-implémentation d’anciennes faveurs fiscales;

Or, il faut absolument se rappeler que le cumul de toutes ces «petites» faveurs fiscales destinées à la stimulation de l’investissement immobilier au Luxembourg a créé un système pervers!

Le Managing and Founding Partner d’ATOZ,  a bien illustré la perversité des iniquités fiscaux créés par le biais des différentes stimulations fiscales en faveur de l’investissement immobilier. Dans le Lëtzebuerger Land, il a proclamé: «Si j’achète un appartement d’une valeur de 750.000 euros pour le louer, le gouvernement va me donner des “ubsides” fiscaux en tant que bailleur qu’on chiffre à plus de 110.000 euros. En revanche si on veut acheter le même appartement et l’habiter, l’État n’en donne que 70.000. C’est une concurrence déloyale.»

C’est exactement cette concurrence déloyale, entre d’une part l’investisseur achetant son nième bien immobilier en tant qu’investissement pour le donner à la location par la suite, et d’autre part une famille voulant acheter simplement leur berceau familial pour y habiter avec leurs enfants, qu’une diminution du taux de la TVA pour les investisseurs stimulera certainement, mais malheureusement dans la mauvaise direction.

Finalement, même si je ne partage pas les propos, je salue la direction que Paperjam a pris en offrant «des cartes blanches à des professionnels et des personnalités de la société civile qui ont des idées à partager pour contribuer à améliorer l’écosystème de l’immobilier et de l’architecture».

À mon avis, toutes les questions et surtout les questions fiscales entourant le logement nécessitent une étude d’impact avant réforme, tant sur leur impact sur l’accessibilité au logement pour les primo-acquéreurs, qu’au niveau de la répercussion sur les prix immobiliers, tout comme sur l’investissement dans le bâtiment neuf, sans oublier dans tout ceci l’urgence climatique dans laquelle nous nous trouvons, afin de pouvoir discuter ouvertement et honnêtement sur cette thématique.

Une approche sérieuse serait de mettre en place une commission nationale qui rassemblerait sous la direction politique du ministre du Logement, différents experts: promoteurs, constructeurs, banquiers, syndicalistes, fonctionnaires, chercheurs, architectes, fiscalistes…
 Max Leners

 Max Leners Aocat, activiste et membre du comité de direction du LSAP

De même, une approche sérieuse serait de mettre en place une commission nationale qui rassemblerait sous la direction politique du ministre du Logement, différents experts (promoteurs, constructeurs, banquiers, syndicalistes, fonctionnaires, chercheurs, architectes, fiscalistes…). Cette commission serait chargée avec l’analyse de plusieurs pistes, afin de pouvoir présenter, dans un laps de temps de cent jours, un paquet de mesures ambitieux, mais réalistes pour surpasser cette crise du logement.

Bien sûr, afin d’assurer une transparence au niveau des différents intérêts en cause, il serait évident que toutes les personnes impliquées dans ce processus déclareraient publiquement leur patrimoine immobilier et foncier.

La crise du logement au Luxembourg nécessite plus d’échange d’idées, plus de coopération entre acteurs privés, politiques et publiques, car uniquement ensemble on peut surpasser la situation d’impasse et d’inaction dans laquelle la politique du logement au Luxembourg se trouve actuellement!