Le docteur Danielle Perez-Bercoff a rejoint le LIH en 2008. (Photo: Miikka Heinonen/Luxembourg Institute of Health)

Le docteur Danielle Perez-Bercoff a rejoint le LIH en 2008. (Photo: Miikka Heinonen/Luxembourg Institute of Health)

Il est beaucoup question des dernières mutations du coronavirus Sars-CoV-2 qui cause le Covid-19 et de leur dangerosité. Virologue et chercheuse au Luxembourg Institute of Health, Danielle Perez-Bercoff fait le point par rapport à différentes questions.

La mutation d’un virus est-elle normale? Est-elle habituellement observée?

Danielle Perez-Bercoff. – «Oui, tous les virus dont le génome est un ARN mutent, mais pas tous à la même fréquence. Ceux qui ont un génome ADN mutent peu ou pas. Ceux qui ont un génome ARN mutent plus facilement. Le Sars-CoV-2, pour sa part, mute peu, car la protéine qui lui permet de se répliquer a une activité de correction. Ce n’est pas le cas du HIV ou de l’hépatite C, qui mutent donc plus facilement.

Qu’est-ce qui provoque une mutation du virus?

«Les mutations peuvent être le fruit du hasard, ou des erreurs de copie lors de la réplication du virus. Beaucoup passent inaperçues, notamment si le nouveau variant n’est pas avantagé par rapport à l’original. En réalité, on ne voit un variant avec une mutation que si la mutation procure un avantage au nouveau virus, sinon il disparaît. Dans le cadre du coronavirus, les variants ont peu de mutations par rapport à l’original. 

Le virus n’a pas d’intérêt à tuer son hôte, il en a besoin. Son avantage est de se transmettre le mieux possible. 
Dr Danielle Perez-Bercoff

Dr Danielle Perez-Bercoffchercheuse et virologueLuxembourg Institute of Health

Le virus peut-il muter seul, par exemple dans l’air?

«Non, c’est un parasite intracellulaire. Pour se multiplier, il doit entrer dans une cellule. Et c’est là qu’il mute. Et c’est de là qu’il ressort pour se propager. Le virus entre par exemple dans les cellules des poumons, mute, puis est expulsé via les sécrétions bronchiques.

Pourquoi un nouveau virus avec une mutation peut-il très vite remplacer un virus original?

«Si la mutation présente un avantage pour le virus, elle favorisera le virus qui porte la mutation par rapport au virus qui ne la porte pas. Ainsi, le nouveau virus muté remplace naturellement la version précédente. Par exemple, si la mutation lui permet de se fixer plus facilement sur les cellules. Le virus n’a pas d’intérêt à tuer son hôte, il en a besoin. Son avantage est de se transmettre le mieux possible. Si la mutation donne au variant un avantage, cela peut aller très vite.

Les virus mutent-ils sur les animaux?

«La plupart des virus viennent des animaux et se sont transmis aux humains. Mais la condition nécessaire de transmission n’est pas une mutation, mais un contact. S’il n’y a pas de contact, il n’y a pas de transfert. Si l’animal infecte un seul Homme, cela peut en rester là. Mais pour que le virus se transmette ensuite d’un Homme à un autre Homme, il faut généralement au moins une nouvelle mutation. Dans le cas du Sars-CoV-2, il y a au départ la chauve-souris: le virus est passé à une autre espèce animale et a alors muté, puis à l’Homme via au moins une seconde mutation. C’est la plasticité virale.


Lire aussi


Quelles sont les spécificités des nouvelles mutations dont on parle beaucoup?

«La mutation N501Y est présente dans les variants dits britannique, sud-africain, japonais, brésilien… On pense qu’elle peut augmenter l’adhérence du virus à son récepteur et ainsi faciliter l’infection. Il existe d’autres mutations dans Spike, la protéine qui permet au virus d’infecter des cellules, qui pourraient également jouer un rôle semblable. Dans un tel cas, le virus pourrait probablement ensuite se transmettre plus vite, ce qui pourrait expliquer la rapidité de propagation dans certains pays.

D’autres mutations dans Spike agissent via d’autres mécanismes. Elles pourraient permettre au virus de résister à certains anticorps qui bloquent l’interaction entre la protéine Spike et son récepteur. Ce sont notamment certains anticorps qui sont concernés, ce qui ne veut pas dire que tous les anticorps sont concernés. C’est le même principe qu’un vaccin qui stimule la création d’une multitude d’anticorps différents. Ce n’est pas parce que le virus résiste à un anticorps qu’il résiste à tous les autres anticorps induits par un vaccin. Ainsi, le vaccin peut rester efficace malgré une mutation ponctuelle. Il ne faut pas paniquer, car les études ne montrent rien pour l’instant qui remette en cause l’efficacité des vaccins.

Peut-on facilement adapter le vaccin face aux mutations?

«Si cela s’avérait nécessaire, ce serait en effet le cas en adaptant une partie déterminée de la séquence du vaccin au nouveau variant.

Chacun doit protéger les autres, via le masque, les gestes barrières... Il faut aussi se faire vacciner, car c’est cela qui va faire baisser le nombre de personnes hospitalisées. 
Dr Danielle Perez-Bercoff

Dr Danielle Perez-Bercoffchercheuse et virologueLuxembourg Institute of Health

L’épidémiologiste britannique Adam Kucharski a mis en avant qu’un virus très contagieux était beaucoup plus dangereux qu’un virus hautement mortel. Qu’en pensez-vous?

«Sur base de calculs, qui ne sont que des calculs, c’est un raisonnement qui est juste (pour une population de 10.000 personnes sur une période de 30 jours, un virus comme le Sars-CoV-2 ferait 129 morts avec une mortalité de 0,8% et un taux de reproduction de 1,1; si le taux de mortalité passe à 50% de plus, on aura 193 morts; mais si on augmente la contagiosité de 50%, on calcule alors 978 morts, ndlr). Ensuite, quand un virus hautement mortel circule, on s’inquiète pour soi, pour ses proches… Quand il est moins pathogène, mais plus transmissible, c’est un peu différent, car la responsabilité est à l’échelle d’une grande population. La propagation peut alors être exponentielle, avec une situation comme celle du mois de mars 2020, avec des hôpitaux saturés, avec des personnes qui souffrent d’autres pathologies graves qui ne peuvent être soignées de manière idéale, et tout cela fait augmenter le nombre de décès.

Le défi est collectif. La responsabilité de la lutte contre l’épidémie est-elle cependant individuelle?

«Chacun doit protéger les autres, via le masque, les gestes barrières… Il faut aussi se faire vacciner, car c’est cela qui va faire baisser le nombre de personnes hospitalisées.

Combien de temps faudra-t-il pour bloquer le virus?

«Je pense que l’on en a encore pour un an et demi, ou deux ans à niveau mondial. Le Luxembourg est un petit pays, cela pourrait aller plus vite pour avoir une immunité collective, comme une étude de l’Université du Luxembourg le montre. Mais ce n’est pas une île, il y a des contacts avec les voisins, des frontaliers… Plus la couverture vaccinale est grande et rapide, plus vite on le bloquera.

Pourquoi les effets de la vaccination prendront-ils autant de temps?

«Le vaccin protège contre l’infection. Les études sur les vaccins Pfizer/BioNTech et Moderna semblent montrer qu’il y a 95% moins d’infections chez les personnes vaccinées, ce qui montre que le vaccin est très efficace. Et cela est une bonne nouvelle. De plus, les quelques personnes vaccinées qui ont quand même été infectées n’ont pas développé de symptômes graves, ce qui est une deuxième bonne nouvelle.

Néanmoins, si une personne vaccinée était infectée, elle pourrait probablement transmettre le virus. Le problème est qu’il faut vacciner tout le monde, et cela prendra du temps. Dans cette fenêtre de temps, il faut continuer à se protéger et à protéger les autres avec les gestes barrières et le masque. 

Lors des premières études cliniques, seule l’efficacité du vaccin contre l’infection chez les individus vaccinés a été évaluée, basée sur la mesure des symptômes et non pas sur la présence du virus. L’essai clinique de phase 3 de Moderna a lancé des tests PCR et suggère également un certain degré de protection chez les personnes vaccinées par rapport au placebo, mais toutes les données ne sont pas encore disponibles, et il est trop tôt pour pouvoir tirer des conclusions. Il est envisageable que le virus infecte un peu les cellules avant que les anticorps ne le bloquent, mais la réponse immunitaire intervient ensuite très vite. En conclusion, nous savons que le vaccin stoppe efficacement la maladie au niveau des poumons, mais pas forcément l’entrée du virus au niveau des voies aériennes pour qu’il empêche la transmission.

Au LIH, nous avons développé des tests viraux pour étudier la neutralisation du virus par les anticorps et tester des molécules qui bloquent la réplication ou la transmission du virus, comme le Molnupiravir. Ce médicament est à l’origine un antiviral qui lutte contre la grippe et a réussi à arrêter la transmission du coronavirus chez un furet en l’espace de 24 heures. Il y a donc encore espoir de trouver d’autres outils pour lutter contre le coronavirus Sars-CoV-2 en complément du vaccin.»