«Dans notre équipe, nous nous intéressons également aux technologies qui ont le potentiel de perturber le secteur», commente Yannick Huchard. «L’informatique quantique en fait partie, tout comme l’intelligence artificielle et la blockchain. Le monde a également beaucoup parlé du metaverse l’année dernière, ce qui fait également partie de notre travail.»
Pouvez-vous expliquer en quelques mots ce que sont les ordinateurs quantiques?
«Dans les grandes lignes, aujourd’hui les ordinateurs travaillent sur du binaire. Le binaire c’est le langage de base qui utilise uniquement le 0 et 1. Le quantum computing va complètement changer cette approche-là dans le sens où on va se baser sur les propriétés quantiques. Il faut savoir que le langage de base ne sera plus 0 et 1, mais des nombres qui vont osciller entre 0 et 1 – des nombres virgules, si on veut. Mathématiquement, ceci permet d’avoir un potentiel exponentiel par rapport aux ordinateurs binaires et traditionnels.
Cela va nous permettre de faire des calculs beaucoup plus compliqués, beaucoup plus variés et plus puissants par rapport à ce que l’on a aujourd’hui. Cependant, cela ne veut pas dire que demain on arrêtera d’utiliser les ordinateurs qu’on a aujourd’hui. Les deux sont complémentaires dans les formes de calculs.
Les ordinateurs quantiques sont utilisés pour résoudre des problèmes trop complexes pour les ordinateurs traditionnels. Dans la finance, de quels problèmes s’agit-il?
«Il faut regarder les problèmes qui vont avoir une multivariable multidimensionnelle. Par exemple, la sécurité informatique d’aujourd’hui se base sur ce qu’on appelle le PKI (public key infrastructure). La cybersécurité est toujours une course par rapport à la puissance de calcul que l’on a et la facilité de casser les algorithmes de cryptage. Plus les ordinateurs sont puissants, plus on peut faire des chiffrements qui vont être complexes – mais en même temps on aura plus de puissance pour craquer ces codes, vu que les hackers ont les mêmes outils. L’idée de base est de faire des chiffrements qui sont très difficiles à craquer.
Le problème est que le jour où les ordinateurs quantiques seront davantage communs, on va casser ces algorithmes de chiffrement. Nous devons donc anticiper le moment où les ordinateurs quantiques seront là et créer des chiffrements qui sont ‘post-quantum resistant’ et donc tellement sûrs qu’ils résisteront aux ordinateurs quantiques.
Il y a beaucoup d’attentes sur l’intelligence artificielle aussi parce que les ordinateurs quantiques sont déjà adaptés au mode de fonctionnement de l’IA.
En plus d’améliorer la cybersécurité bancaire, quels autres avantages cette technologie peut-elle apporter?
«Il y a tout ce qui est la gestion dynamique de portefeuille d’investissements. Typiquement, une personne normale n’a pas beaucoup de produits dans son portefeuille, mais une entreprise comme Blackrock ou ING va avoir une gestion avec des milliers de variables à équilibrer pour avoir une bonne gestion du risque, mais aussi une maximisation des gains par rapport aux risques qu’ils sont prêts à tenir. Il y a beaucoup de différents risques, et tous ces risques sont des variables et c’est très difficile de capter toutes ces relations et de contrebalancer ces variables-là dans un ordinateur traditionnel. Un ordinateur quantique permet de gérer cela parce que c’est pensé pour.
Il y a beaucoup d’attentes sur l’intelligence artificielle aussi parce que les ordinateurs quantiques sont déjà adaptés au mode de fonctionnement de l’intelligence artificielle.
Les ordinateurs quantiques peuvent-ils aussi contribuer à la lutte contre le blanchiment?
«Ce qu’on demande aux banques aujourd’hui, c’est de pratiquer un anti-money laundering qui est permanent et qui est accru. C’est comme avec le hacking – les techniques de blanchiment sont de plus en plus élaborées. Ce qui a changé ces dernières années est que la finance ne fait que se diversifier. La façon dont on gère les flux financiers ne fait donc que devenir plus complexe. On a énormément de paiements qui passent, et dans ces paiements il y a une partie qui peut provoquer des ‘hits’ de fraude. Et plus on traite de transactions, plus il est difficile de voir lesquelles sont potentiellement ou réellement frauduleuses. On a besoin de plus en plus de modèles d’IA pour gérer cela.
Dans 5 à 10 ans, nous aurons les premiers ordinateurs quantiques exploitables.
Le quantum computing appartient principalement au domaine de la recherche. Quand seront-ils utilisés au sein des entreprises?
«Ça reste difficile à dire parce que ça reste effectivement de l’ordre de la recherche, même de la physique quantique elle-même. On comprend par l’observation, mais c’est complexe. On pense que dans 5 à 10 ans nous aurons les premiers ordinateurs quantiques exploitables – mais à mon avis, ils seront plutôt exploitables de la même façon que le cloud l’est aujourd’hui.
Ces ordinateurs pourraient avoir un impact positif sur le monde de la finance, les simulations en circuit fermé confirment-elles cette théorie?
«Pour la grande majorité, oui, mais ce n’est pas encore parfait. Il reste encore des choses à découvrir, c’est pour ça que ça pourrait encore prendre 5 à 10 ans. Les algorithmes de correction sont encore un frein; dans le quantum computing, il y a des interactions qui ne suivent pas les règles de la physique comme on les entend aujourd’hui. Ensuite, l’observateur influe les résultats, c’est-à-dire que dès que l’on observe un résultat, cela perturbe le résultat quantique. Ça peut encore évoluer, bien sûr.
Au début de notre interview, vous avez mentionné le metaverse. Est-ce qu’il y a un risque que le quantum computing tombe un peu dans l’oubli comme le metaverse actuellement?
«C’est possible, si les recherches prennent plus longtemps que prévu. Quand on prend l’exemple de l’intelligence artificielle, au départ on ne savait pas trop quand et où elle serait applicable, et vingt ans plus tard, on voit son utilisation concrète au quotidien. D’ailleurs, le croisement de l’intelligence artificielle avec le quantum computing présente un potentiel de révolution du secteur exponentiel.»
Cet article a été publié pour la newsletter Paperjam+Delano Finance, la source hebdomadaire d’informations financières au Luxembourg. . Il a été écrit pour Delano, traduit et édité pour Paperjam.