«Aujourd’hui, les dirigeants européens connaissent les problèmes créés par la fragmentation des marchés de capitaux et sont prêts à agir. Mais jusqu’à présent, nous n’avons ni appliqué ni agi», a averti Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne. (Photo:   Angela Morant Casanova/ECB)

«Aujourd’hui, les dirigeants européens connaissent les problèmes créés par la fragmentation des marchés de capitaux et sont prêts à agir. Mais jusqu’à présent, nous n’avons ni appliqué ni agi», a averti Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne. (Photo: Angela Morant Casanova/ECB)

La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, a appelé à des réformes urgentes pour débloquer les marchés de capitaux européens, en proposant une «norme d’épargne européenne» et des mesures visant à rationaliser les investissements transfrontaliers, dans le but de débloquer jusqu’à 8 milliards d’euros de flux de capitaux et de stimuler le financement du capital-risque.

La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, a souligné qu’il était urgent de s’attaquer aux principaux blocages des marchés de capitaux européens et a appelé à une action plus décisive pour stimuler la croissance, l’innovation et l’investissement dans l’ensemble de l’Union. S’exprimant lors du 34e Congrès bancaire européen à Francfort le 22 novembre 2024, Mme Lagarde a que, bien que plus de 55 propositions réglementaires et 50 initiatives non législatives aient été faites depuis 2015 pour faire progresser l’Union européenne des marchés de capitaux (UMC), ces efforts ont souvent manqué de la profondeur nécessaire pour réaliser de réels progrès. Elle a souligné que l’approche générale et fragmentée a permis aux intérêts nationaux d’entraver les réformes indispensables, ce qui a entraîné la poursuite de la fragmentation des marchés financiers européens.

Mme Lagarde a identifié trois problèmes centraux qui bloquent le flux efficace des capitaux à travers l’Europe: les étapes d’entrée, d’expansion et de sortie du «pipeline» des marchés de capitaux. Selon elle, ces inefficacités se renforcent d’elles-mêmes et contribuent à la stagnation du potentiel économique de l’Europe.

Entrer sur les marchés des capitaux

Les Européens épargnent une part importante de leurs revenus – environ 13% en 2023 – contre seulement 8% aux États-Unis. Cependant, une part importante de cette épargne, environ 11,5 milliards d’euros, est détenue dans des «produits d’épargne liquides à faible risque», représentant environ un tiers des actifs financiers des ménages. En revanche, les ménages américains ne détiennent qu’un dixième environ de leurs actifs sous forme de liquidités et de dépôts.


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Mme Lagarde a souligné que cette mauvaise répartition de l’épargne en Europe a deux conséquences majeures. Premièrement, elle a entraîné une baisse de la richesse des ménages. Depuis 2009, la richesse des ménages américains a augmenté environ trois fois plus que celle des ménages européens. Deuxièmement, elle a limité le flux d’épargne vers les marchés de capitaux, restreignant ainsi les investissements à long terme.

Selon l’analyse de la BCE, si les ménages européens devaient atteindre le ratio dépôts/actifs financiers des États-Unis, jusqu’à 8.000 milliards d’euros pourraient être réorientés vers des investissements à long terme sur les marchés, ce qui représenterait un flux annuel d’environ 350 milliards d’euros. L’une des principales raisons de ce faible investissement en Europe est l’environnement fragmenté, opaque et coûteux de l’investissement de détail. Les produits financiers sont souvent complexes et 45% des consommateurs déclarent ne pas avoir confiance dans les conseils financiers qu’ils reçoivent.

Pour relever ces défis, Mme Lagarde a appelé à l’introduction d’une «norme européenne en matière d’épargne», un ensemble de produits financiers simples, transparents et abordables qui pourraient être proposés dans l’ensemble de l’UE. Selon elle, de tels produits permettraient d’accroître la concurrence, de réduire les frais et d’encourager l’épargne à se diriger vers des investissements plus productifs et à long terme.

Développer les flux de capitaux

Le deuxième obstacle évoqué par Mme Lagarde est la difficulté d’étendre les flux de capitaux à travers l’Europe. Elle a fait remarquer que plus de 60% des investissements des ménages en Europe restent à l’intérieur des frontières nationales et que les investisseurs institutionnels ont tendance à privilégier les marchés américains par rapport aux marchés de l’UE. Cette fragmentation des flux de capitaux est en grande partie due à l’infrastructure financière très fragmentée de l’Europe. En 2023, l’UE comptait 295 plateformes de négociation, 14 contreparties centrales (CCP) et 32 dépositaires centraux de titres (CSD), contre seulement deux CCP et un CSD aux États-Unis.

Cette fragmentation entraîne des coûts de transaction plus élevés pour les opérations transfrontalières et accroît la «préférence nationale», les investisseurs préférant les actifs nationaux à ceux des autres pays de l’UE. Selon l’analyse de la BCE, cette inefficacité se traduit par une liquidité moindre sur les marchés européens, les sociétés américaines enregistrant des volumes d’échanges quotidiens nettement supérieurs à ceux de leurs homologues européennes.

Mme Lagarde a identifié la divergence des cadres juridiques comme l’un des principaux moteurs de cette fragmentation, qui a empêché la création d’un marché financier véritablement intégré. Elle a proposé une approche à deux niveaux pour harmoniser les marchés financiers européens, similaire à celle utilisée pour l’application des règles de concurrence et la supervision bancaire. Dans un tel système, les entités répondant à certains critères pourraient relever de la juridiction de l’UE tout en respectant les cadres juridiques nationaux.

Elle a également réitéré son appel en faveur d’une «SEC européenne» (équivalente à la Securities and Exchange Commission des États-Unis), une entité qui pourrait rationaliser les processus réglementaires et contribuer à faire tomber les barrières nationales qui étouffent la croissance des marchés financiers transfrontaliers.


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Sortir vers des secteurs innovants

Le troisième obstacle évoqué par Mme Lagarde est la difficulté de canaliser les capitaux des marchés financiers vers les secteurs innovants et les entreprises à forte croissance. Les investissements en capital-risque en Europe ne représentent actuellement qu’un tiers des niveaux américains et les entreprises européennes financées par le capital-risque ne reçoivent en moyenne que la moitié du financement de leurs homologues américaines. En outre, plus de 50% des investissements de fin de cycle dans les entreprises technologiques européennes proviennent de l’extérieur de l’UE, principalement des États-Unis.

Mme Lagarde a mis en garde contre le fait que les entrepreneurs technologiques européens pourraient finalement choisir de coter et de développer leurs entreprises aux États-Unis, un phénomène qu’elle a décrit comme une «sortie involontaire». Pour y remédier, elle a insisté sur la nécessité de résoudre le problème de la demande en réduisant les barrières bureaucratiques qui étouffent les entreprises à forte croissance en Europe. Elle a souligné que les rapports d’ et de sur l’achèvement du marché unique étaient essentiels pour faciliter l’augmentation des investissements en capital-risque en Europe.

Pour renforcer l’offre de financement, Mme Lagarde a recommandé trois mesures-clés: premièrement, les fonds de pension de l’UE, qui n’allouent actuellement que 0,02% de leurs actifs au capital-risque (contre 2% pour les fonds de pension américains), devraient être encouragés à allouer davantage de capitaux à l’innovation. Deuxièmement, les banques publiques de développement, telles que la Banque européenne d’investissement, devraient être habilitées à mutualiser les risques et à attirer des capitaux privés. Mme Lagarde a souligné le succès de l’initiative «European Tech Champions», qui a mobilisé 10 milliards d’euros de ressources pour soutenir 16 entreprises technologiques à grande échelle, comme un exemple de ce qui pourrait être réalisé avec un financement plus important.


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Enfin, Mme Lagarde a proposé que l’Europe explore de nouvelles méthodes de soutien à l’innovation par le biais du financement par l’emprunt. Si le capital-risque reste la solution idéale, le système bancaire européen devrait être mis à contribution pour fournir de la dette à risque, une source croissante de financement pour les jeunes entreprises. En 2022, environ 24 milliards d’euros ont été alloués à la dette à risque, contre seulement 1 milliard d’euros en 2014. Mme Lagarde a souligné que les banques de l’UE prêtent plus de 600 milliards d’euros aux sociétés immobilières, mais moins de 100 milliards d’euros aux entreprises technologiques, alors que ces deux secteurs contribuent de manière similaire à la valeur économique.

Appel à l’action

Mme Lagarde a conclu en citant Léonard de Vinci: «Il ne suffit pas de savoir, il faut appliquer. Il ne suffit pas de vouloir, il faut faire.» Elle a souligné que, si les dirigeants européens reconnaissent les problèmes causés par la fragmentation des marchés de capitaux, ils doivent encore prendre des mesures décisives pour les résoudre. L’approche incrémentale et fragmentée de la réforme réglementaire a permis à des intérêts particuliers de diluer les progrès, entraînant la «mort par mille coupures» du projet de l’UMC.

Mme Lagarde a conclu son discours en appelant à un changement d’approche: «Un changement de perspective pour passer d’un grand nombre de petits pas à un petit nombre de grands pas – et choisir ceux que nous pouvons réellement faire et qui feront la plus grande différence.»

Cet article a été rédigé initialement , traduit et édité pour le site de Paperjam en français.