Il y a un an, Thomas Kallstenius quittait le List. Depuis le départ du souriant directeur général de l’institution de recherche, aujourd’hui à la tête de Tradtöpp («la cime des arbres», en suédois), activité de conseil en deeptech finalement basée en Belgique, le daily business est assuré par un «directeur général ad interim», le Flamand , qui fait grincer de plus en plus de dents, selon des rumeurs et autres courriers anonymes dans lesquels il faut trier et qui ne sont pas sans rappeler les pires heures des centres de recherche, il y a un peu plus de dix ans.
«L’arrivée de Dirk Fransaer au poste de directeur général ad interim va notamment permettre au List de chercher sereinement son nouveau directeur général et son directeur général adjoint, comme le prévoit la nouvelle loi qui organise la recherche publique au Luxembourg», affirmait la présidente du conseil d’administration du List, Eva Kremer, dans l’annonce du départ de son directeur général, en juin 2023.
Pas de doctorat, pas de nomination
Un an plus tard, confirme l’institution et alors que se profile son dixième anniversaire, il est toujours en recherche de la perle rare… qui ne peut pas être son directeur général intérimaire, faute d’un doctorat. La nouvelle loi de 2023 exige en effet du prétendant qu’il soit à la fois «titulaire d’un doctorat», qu’il puisse «se prévaloir d’une renommée internationalement reconnue sur base de la qualité de ses travaux de recherche et d’innovation» et «avoir des compétences en matière de gestion et de gouvernance».
La loi prévoit également que le List poste officiellement une offre d’emploi, que nous n’avons pas pu retrouver et que le List ne nous a pas non plus envoyée. La section du site internet du List consacrée aux offres d’emploi propose 38 jobs mais pas celui de directeur général, ce qui paraît quand même être la base. Ni l’Adem, ni la plateforme GovJobs n’ont retrouvé cette offre.
Troisième point qui n’a pas suscité de réponse non plus: la loi prévoit que l’institution doit mettre en place «un comité de recrutement composé d’au moins six membres, dont au moins un tiers sont externes et indépendants du centre de recherche public». Qui sont-ils? Comment sont-ils actifs à ce recrutement crucial? «Le conseil d’administration prévoit bien de recruter et de nommer dès que possible un directeur général», fait savoir le List, sans répondre aux deux questions.
Entendons-nous bien: il ne s’agit pas d’une question de personne. M. Fransaer n’est pas le premier venu, loin de là, puisqu’il a dirigé pendant 20 ans l’Institut flamand de recherche technologique (Vito), le plus grand institut de recherche de Belgique dans le domaine de la durabilité et des technologies propres (énergie, chimie, santé et matériaux) et a publié, selon la dernière mise à jour de son CV sur le Vito, plus de 30 articles scientifiques.
Au List, il cumule les fonctions de directeur général ad interim avec celles de directeur financier et administratif, ce qui est permis par la nouvelle législation. Si on peut aisément comprendre que les profils qui pourraient diriger le centre de recherche ne sont pas si faciles à trouver, le recrutement du directeur financier et administratif doit obéir à des règles similaires à celles du poste de directeur général, même si un master et de l’expérience suffisent. Plus difficile de croire qu’on ne puisse pas trouver de bon candidat.
Unity, le gros projet de 2024
Mais ce qui ne passe vraiment pas, c’est le plan de transformation que lui a confié le conseil d’administration en décembre dernier. À lui et à une société externe, Delaware Consulting, reconnaît le List. «Le List mène actuellement avec cette société et une centaine d’employés un exercice participatif de réflexion sur ses missions en vue des discussions à venir sur le prochain plan multi-annuel du List.»
«Ce projet, baptisé «Unity», sera mis en œuvre à partir de 2024. Il repose sur trois piliers: une organisation adaptée avec un plan de développement de carrière pour chaque employé sur base d’une approche collaborative de création de valeur entre les unités, un exercice inclusif sur la mission et la vision du List et une infrastructure informatique efficace avec de nouveaux outils et une attention particulière à l’introduction de l’IA dans tous les aspects de l’activité du List», dit d’ailleurs M. Fransaer dans l’introduction du rapport annuel, présenté mardi dernier, introduction qu’il cosigne avec Mme Kremer. C’est la seule fois, dans le rapport, où il est question d’Unity, le projet ayant été présenté aux employés et chercheurs en avril.
«La présentation de la vision de M. Fransaer appelée ‘Unity’, avec la participation des représentants de Delaware, a eu lieu en avril et sans même prévoir une séance de questions-réponses, ce qui souligne le peu d’intérêt de M. Fransaer pour les opinions des employés», dit un de ces employés.
Autre paradoxe: M. Fransaer devait quitter le Vito belge en août dernier; il est parti en mai pour permettre à celle qui lui a succédé, Inge Neven, de s’accorder avec le gouvernement flamand sur le plan de financement du centre de recherche et de mettre en œuvre cette stratégie. Soit l’exact positionnement contraire à celui qui l’anime aujourd’hui puisque d’Unity naîtra le prochain plan de financement quinquennal 2026-2030 avec l’État.
La nouvelle organisation se traduit-elle par la suppression de trois départements, comme le disent certains de nos interlocuteurs? «Cela passe par la nomination récente d’un directeur scientifique et, prochainement, d’un directeur général adjoint en charge de la valorisation. Les activités de recherche de nos unités et groupes ne sont ni supprimées, ni impactées négativement. Cette modification a pour but d’améliorer les échanges entre les chercheurs, de favoriser la multidisciplinarité du List et d’augmenter l’impact de la recherche du List dans l’intérêt général du pays», explique le List. Ce directeur scientifique est Lucien Hoffmann.
Des départs? Quels départs?
Des chercheurs commencent à quitter l’institution, assurent deux interlocuteurs, sans vouloir mettre des noms sur les partants. Là encore, ce n’est pas évident au regard des chiffres: le staff est passé de 662 en 2021 à 676 en 2022 avec 114 recrutements, ce qui signifie que 100 personnes ont quitté le List cette année-là; le même calcul pour 2023 donne 76 départs.
Dernier point, la santé financière du List se dégrade-t-elle? Si l’année 2023 s’est terminée avec un bénéfice de 2,79 millions d’euros, cela est dû en partie à la cession de Tao à Uchida Yoko, qui ajoute une ligne à 4,8 millions d’euros dans le bilan. Sans cette ligne, le bénéfice annuel serait passé de 4,4 millions en 2021 à des pertes de 336.500 euros en 2022 et de deux millions l’an dernier. Mais là encore, la vente a été signée le 16 mai 2023 et pas après le départ du précédent directeur général. Si les statistiques sur les brevets, les licences, les spin-off, les articles scientifiques et autres thèses de doctorat sont relativement stables, il faudra porter attention à un dernier chiffre: les autres charges d’exploitation, qui passent de 2,9 millions d’euros en 2022 à 6,16 millions d’euros en 2023. Il faut apporter une autre nuance d’importance: un RTO (Research & Technology Organisation) comme le List n’a pas vocation à dégager des bénéfices mais de l’impact sur la société. Et de l’impact, le List en a.