Plus de neuf colis sur dix viennent de Chine, où se trouvent les principaux centres logistiques de géants de la vente en ligne comme Shein, Temu ou AliExpress. (Photo: Shutterstock)

Plus de neuf colis sur dix viennent de Chine, où se trouvent les principaux centres logistiques de géants de la vente en ligne comme Shein, Temu ou AliExpress. (Photo: Shutterstock)

À partir du 2 mai, les États-Unis mettront fin à la franchise sur les colis de moins de 800 dollars. L’Europe, qui a déjà reçu 4,6 milliards d’envois d’une valeur inférieure à 150 euros l’an dernier (plus de 145 chaque seconde), se prépare à un tsunami, majoritairement originaire de Chine (91% des colis). 

2028. Donc trois ans après les États-Unis, l’Europe abolira l’exonération de taxe douanière sur les colis d’une valeur inférieure à 150 euros qui entrent sur le territoire européen, soit 4,6 milliards de colis l’an dernier ou 145 par seconde (!). Ce chiffre est deux fois plus élevé qu’en 2023 et trois fois plus élevé qu’en 2022. Plus de neuf sur dix viennent de Chine, où se trouvent les principaux centres logistiques de géants de la vente en ligne comme Shein, Temu ou AliExpress. Au-delà de ce montant, il faut s’acquitter de 12% de leur valeur en taxes.

Des préjudices s’accumulent et entraînent des pertes importantes pour plusieurs secteurs industriels: l’industrie de l’habillement enregistre près de 12 milliards d’euros de pertes de chiffre d’affaires par an (soit 5,2% de son chiffre d’affaires), l’industrie des cosmétiques 3 milliards d’euros (4,8% des ventes) et l’industrie du jouet 1 milliard d’euros (8,7% des ventes). Selon l’analyse d’impact de l’Union européenne, lorsqu’une PME est victime, par exemple, de contrefaçon ou de piraterie, elle a 34% de chances en moins de survivre par rapport aux PME qui n’ont pas été confrontées à des atteintes à la propriété intellectuelle.

Ce mardi, sans attendre l’Europe, la France a annoncé introduire «l’instauration rapide au niveau européen d’un mécanisme de frais de gestion sur chaque petit colis entrant en Europe» pour financer les contrôles, a dit la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, évoquant «quelques euros» par colis.

Parmi ces plateformes, Shein et Temu se sont imposées en quelques années comme des poids lourds de l’e-commerce en France et en Europe, où elles comptent 75 millions d’utilisateurs. Shein, entreprise à l’origine chinoise mais désormais basée à Singapour, s’est spécialisée dans la mode ultra-tendance à bas coût, tandis que Temu (lancée par le groupe Pinduoduo) écoule un large éventail de produits – du textile aux jouets, en passant par la high-tech – à des prix imbattables. À elles deux, et aux côtés d’Amazon, Shein et Temu représentent environ un quart des ventes de mode en ligne en France.

Preuve de leur percée, près d’un colis sur quatre géré par La Poste en France provient désormais de Shein ou Temu (soit cinq fois plus qu’il y a cinq ans)​. Le public français est massivement client: 70% des Français de plus de 15 ans déclarent avoir acheté au moins un article sur l’une de ces plateformes dans les 12 derniers mois​. Et selon le cabinet d’études Circana, c’est sur Shein et Temu que les consommateurs français ont le plus augmenté leurs dépenses en 2024, illustrant la quête de bas prix sur fond de pouvoir d’achat contraint​.

Vers la fin de l’exemption douanière en 2028 en Europe

La proposition française s’inscrit dans une évolution plus large du cadre douanier européen. En mai 2023, la Commission européenne a lancé un chantier de réforme profonde de l’Union douanière, présentée comme la plus ambitieuse depuis la création de l’Union douanière en 1968​. L’une des dispositions phares de cette réforme est précisément la suppression de la franchise de droits de douane pour les colis de moins de 150 euros, actuellement programmée pour 2030 au plus tard dans le projet initial (la France évoque 2028 comme objectif)​. Depuis 2010, l’Union européenne exemptait de droits de douane les envois de faible valeur afin de faciliter la fluidité des échanges. Mais ce régime dérogatoire est jugé obsolète et néfaste au vu des volumes colossaux désormais en jeu.

En février 2024, la Commission a officiellement proposé de supprimer cette franchise douanière sur les petits envois, mettant en avant plusieurs justifications: la lutte contre l’entrée de produits dangereux ou ne respectant pas les normes européennes, la nécessité de rétablir une équité fiscale entre commerce local et importations, et la prise en compte de l’impact environnemental de ces milliards de colis transportés sur de longues distances​.

65% des paquets de faible valeur arrivant en Europe seraient aujourd’hui sous-évalués pour éviter les droits de douane à l’importation, estime la Commission européenne – un manque à gagner important pour les États. Dès lors, mettre fin à l’exemption de droits dès le premier euro importé permettrait de tarir les abus et de mieux taxer les flux sans pénaliser indûment les entreprises locales.

Plusieurs voix à Bruxelles appellent à accélérer la mise en œuvre de cette mesure, sans attendre 2028 ou 2030. Certains suggèrent de dissocier la fin de la franchise de 150 euros du reste de la grande réforme douanière pour l’appliquer plus tôt, bien que la manœuvre juridique soit complexe​.

Des initiatives similaires à l’étranger, notamment aux États-Unis

La France n’est pas la seule à chercher des parades face au raz-de-marée des petits colis en provenance de Chine. Aux États-Unis, les autorités ont engagé un tour de vis réglementaire sans précédent sur ce dossier. Traditionnellement, les États-Unis bénéficiaient d’un seuil d’exemption très élevé: toute importation d’une valeur inférieure à 800 dollars pouvait entrer sur le territoire sans droits de douane ni procédures complexes, selon la règle dite  «de minimis». Ce régime a largement profité aux e-commerçants chinois qui envoyaient en direct aux consommateurs américains des marchandises en petites quantités pour éviter taxes et tarifs douaniers. Shein, Temu et AliExpress ont ainsi construit une part de leur succès aux États-Unis sur ce modèle d’envois éclatés.

Désormais, cette brèche est en train d’être refermée. Le 2 avril 2025, le président américain Donald Trump a signé un «executive order» supprimant purement et simplement la franchise pour les colis originaires de Chine et de Hong Kong. À partir du 2 mai 2025, plus aucun paquet en provenance de ces pays, quelle que soit sa valeur, n’est exonéré de taxes à l’importation sur le sol américain. Officiellement, cette mesure choc a été présentée comme un moyen de lutter contre l’entrée illicite d’opioïdes de synthèse (comme le fentanyl), souvent expédiés par courrier​. Mais elle porte surtout un coup sévère au modèle économique de Shein, Temu ou AliExpress, qui voyaient les États-Unis comme leur premier marché jusqu’alors. En parallèle, Washington a augmenté drastiquement les droits de douane sur les produits chinois: les surtaxes qui étaient de 30% ont été portées à 90% sur les petits colis en provenance de Chine​. Autant dire que la porte d’entrée américaine se referme brutalement pour les colis à bas coût.

Conséquence directe: les plateformes chinoises risquent de redoubler d’efforts sur le marché européen, où la réglementation est encore jugée plus clémente. «C’est certain, il va y avoir une invasion en provenance de la zone indo-pacifique», prévient par exemple Michel-Édouard Leclerc, dirigeant du groupe de distribution éponyme, anticipant un report massif des flux vers l’Europe face à la fermeture du marché américain​. Le commissaire européen au Commerce, Maros Sefcovic, parlait dès février 2025 du risque d’un véritable «tsunami» de petits colis déferlant sur le Vieux Continent si aucune mesure n’était prise. L’Union européenne a d’ailleurs mis en place une «task force» de surveillance pour détecter toute explosion suspecte des importations de ce type et se tenir prête à activer des clauses de sauvegarde commerciales si nécessaire.

La conformité des produits en question

Parallèlement aux mesures fiscales et douanières, les autorités scrutent de près les pratiques de Shein, Temu et consorts sur le terrain de la réglementation produit et de la sécurité des consommateurs. La Commission européenne a ainsi ouvert des enquêtes sur ces deux plateformes vedettes de l’e-commerce chinois. Shein fait l’objet d’une enquête de Bruxelles, car elle est soupçonnée de laisser vendre des articles ne respectant pas les normes européennes (que ce soit en matière de sécurité des produits, de propriété intellectuelle ou de conformité réglementaire).

De son côté, Temu est dans le viseur de la Commission depuis octobre dernier pour des motifs similaires, liés à la mise sur le marché européen de produits potentiellement non conformes​.

Ces investigations s’inscrivent dans la volonté de l’UE de responsabiliser les plateformes quant aux produits qu’elles diffusent, un enjeu renforcé par l’entrée en vigueur du Digital Services Act et d’autres législations récentes sur la surveillance des marchés en ligne. Les résultats de ces enquêtes ne sont pas encore connus, mais elles témoignent de la montée en vigilance des régulateurs vis-à-vis de ces nouveaux acteurs.