«Il ne s’agit pas ici de stigmatiser ces travailleurs qui sont une composante essentielle de la vitalité de nos territoires», se défend la ministre française chargée du Travail et de l’Emploi Astrid Panosyan-Bouvet. (Photo: Shutterstock)

«Il ne s’agit pas ici de stigmatiser ces travailleurs qui sont une composante essentielle de la vitalité de nos territoires», se défend la ministre française chargée du Travail et de l’Emploi Astrid Panosyan-Bouvet. (Photo: Shutterstock)

Contraindre les frontaliers français au chômage de postuler à des offres d’emploi moins bien rémunérées que leurs postes luxembourgeois, suisses, ou allemands. C’est l’idée de l’État français avec la publication d’un nouveau décret.

Si la France , elle a quand même réussi à publier un décret qui contraint les frontaliers français au chômage à postuler à des offres d’emploi moins bien rémunérées que leurs postes luxembourgeois, suisses, ou allemands.

Concrètement, le décret précisant les nouveaux éléments constitutifs de l’offre raisonnable d’emploi (ORE), publié le 21 mars dernier, «prévoit que ce sera désormais le salaire habituellement pratiqué en France qui sera l’un des éléments constitutifs de l’ORE et non plus les salaires pratiqués à l’étranger. (…) Les demandeurs d’emploi restent naturellement libres de chercher un emploi dans le pays de leur choix», explique le communiqué du ministère français du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, diffusé le 22 mars.

Pour rappel, l’ORE est une offre qui correspond, pour un demandeur d’emploi donné, à son niveau de qualifications et de compétences, à sa localisation géographique et au niveau de salaire normalement pratiqué dans la zone géographique de sa recherche d’emploi. Elle détermine, en cas de refus répété, le maintien des droits à l’Assurance chômage. La réglementation européenne prévoit actuellement que les demandeurs d’emplois transfrontaliers soient indemnisés par leur pays de résidence alors qu’ils ont cotisé dans un autre pays où ils ont travaillé, ce qu’ont, par ailleurs, toujours défendu les gouvernements luxembourgeois successifs, alors que l’Union européenne et l’État français également, , qui prenne en charge ses indemnités de chômage.

Un déficit de 800 millions d’euros

Sauf que «ce système d’indemnisation a engendré en France un déficit de près de 800 millions d’euros par an pour l’Assurance chômage pour environ 77.000 demandeurs d’emploi, du fait des salaires plus élevés dans les pays voisins (Suisse, Luxembourg, Allemagne) et d’un temps plus long de recherche d’un nouvel emploi (les demandeurs d’emploi transfrontaliers consomment davantage leurs droits que les autres demandeurs d’emploi: 41% contre 37% en moyenne en 2023)», ajoute le communiqué du ministère français.

Les frontaliers français au chômage sont donc désormais contraints de postuler à des offres d’emploi moins bien rémunérées que leurs postes, au risque de perdre leurs indemnités en cas de refus répétés. Il est à noter que, «contrairement à ce qui a été relayé par certains médias ces dernières semaines, une réduction du montant ou de la durée de l’indemnisation des demandeurs d’emploi transfrontaliers par l’Assurance chômage n’a jamais été à l’ordre du jour pour le gouvernement», insiste le communiqué.

Comme il s’agit d’un décret français, seule la CGT française aurait un intérêt à agir en justice, soit devant les juridictions françaises compétentes, soit devant la CJUE.
Guy Castegnaro

Guy Castegnaroavocat

En réponse à ce nouveau décret, plusieurs acteurs ont réagi, notamment les syndicats CGT côté français et OGBL côté luxembourgeois, qui ont annoncé envisager des recours juridiques, au niveau national, voire européen si nécessaire. Mais est-ce faisable? «Comme il s’agit d’un décret français, seule la CGT française aurait un intérêt à agir en justice, soit devant les juridictions françaises compétentes, soit devant la CJUE», répond l’avocat spécialiste du droit du travail, Me , interrogé par Paperjam.

«Un argument qui pourrait être invoqué est celui de la conformité d’un tel décret par rapport au droit européen et notamment par rapport au principe de la liberté de circulation des travailleurs au sein de l’UE. L’autorité qui est à l’origine du décret, c’est-à-dire l’État français, serait attaqué.» Mais est-ce aux syndicats de mener cette «bataille» juridique ou cela aurait-il plus de chances d’aboutir si elle était menée par des particuliers? «Probablement les deux, à condition qu’en France les syndicats aient le droit d’ester en justice et que les syndicats et les particuliers concernés aient un intérêt légitime d’agir en justice contre ce décret», ajoute Guy Castegnaro.

Si on propose à un chômeur un emploi, c’est dans son intérêt de le prendre.
Xavier Bettel

Xavier BettelMinistre des Affaires étrangères et du commerce extérieurDP

Il n’y a pas que les syndicats qui sont montés au créneau. Les membres de la Confédération européenne des frontaliers — créée début mars dernier — se sont réunis le 24 mars et ont décidé de créer une cellule juridique assurant la coordination de la défense des travailleurs frontaliers, «d’interpeller la ministre du travail, les parlementaires nationaux et européens quant aux actions réellement initiées, visant la révision du règlement européen 883/2004 et l’établissement d’accords bilatéraux avec les pays voisins, dans le cadre du financement des indemnités de chômage des travailleurs frontaliers, tels que proposés par le Sénat Français; et d’interroger les mandataires locaux et régionaux quant à l’impact de ce décret sur l’attractivité économique de leur commune, de leur région», appuie le communiqué de presse.

Pas de stigmatisation pour la France

Selon la ministre française chargée du Travail et de l’Emploi Astrid Panosyan-Bouvet (parti Renaissance, centre-droit): «Ce décret est une première étape du plan d’action que nous portons pour réformer l’indemnisation du chômage des frontaliers. Il ne s’agit pas ici de stigmatiser ces travailleurs qui sont une composante essentielle de la vitalité de nos territoires et qui seront toujours libres de chercher un emploi dans le pays de leur choix. (…) Il s’agit enfin de réformer les règles européennes d’indemnisation du chômage des frontaliers, qui induisent aujourd’hui un déséquilibre financier de près de 800 millions d’euros par an au détriment de notre assurance chômage.»

Interrogé sur le sujet par Paperjam, le ministre des Affaires étrangères et du commerce extérieur  (DP) a de son côté répondu: «je vais vous le dire honnêtement et cela ne va pas plaire à tout le monde, mais si on propose à un chômeur un emploi, c’est dans son intérêt de le prendre. Il faut encourager l’emploi plutôt que d’encourager le non-emploi. Je comprends que les disparités sociales et salariales soient problématiques par rapport à un chômage qu’il peut percevoir, mais pour moi, on se porte mieux quand on a un emploi.»