Depuis son atelier à Brooklyn, dans le Navy Yard, Umberto Bellardi Ricci a vue sur les gratte-ciels de New York. (Photo: Anna and Maria Ritsch)

Depuis son atelier à Brooklyn, dans le Navy Yard, Umberto Bellardi Ricci a vue sur les gratte-ciels de New York. (Photo: Anna and Maria Ritsch)

Italo-germano-luxembourgeois. Architecte-designer-sculpteur. Décryptage du parcours singulier d’Umberto Bellardi Ricci, fondateur d’UBR Studio.

Actuellement, vous vivez à New York avec votre famille. Mais vous venez de Luxembourg. Quel est votre parcours?

Umberto Bellardi Ricci. – «Il n’est pas du tout linéaire. Mon père, Italien, est arrivé au Luxembourg en 1952 et a travaillé toute sa vie aux communautés européennes. Ma mère est Allemande et travaillait en Suisse avant de venir au Luxembourg. Ils se sont rencontrés au golf et la famille a commencé comme cela. Une romance européenne, typiquement luxembourgeoise. J’ai donc grandi au Luxembourg, où j’ai suivi l’enseignement luxembourgeois.

Quelle est la nationalité inscrite sur votre passeport alors?

«Bonne question! Je n’ai jamais été un ‘local’ dans mon pays, car mes passeports étaient allemand et italien jusqu’à mes 18 ans. À ma majorité, pour éviter les obligations militaires, j’ai renoncé à ces deux nationalités pour devenir Luxembourgeois. Mais c’est à cette époque que j’ai quitté le Luxembourg.

Pour faire vos études?

«Oui, en sciences sociales. Je suis parti à Londres pendant trois ans. Puis j’ai travaillé pour Amnesty International. J’ai aussi fait un stage aux Communautés européennes à Luxembourg pendant six mois et je suis parti avec l’Onu en Afrique. Mais j’ai renoncé à tout ceci pour faire de la musique et m’installer à Paris où j’ai aussi un peu travaillé dans la mode et le monde de la pub.

C’est effectivement un parcours éclectique, mais cela signifie aussi qu’à partir de Luxembourg, vous avez eu la possibilité d’être ouvert au monde et à différentes disciplines.

«Absolument! En ayant grandi à Luxembourg, j’avais ce background international. Pas toujours cosmopolite, mais international. Ce qui est une très bonne préparation pour la vie. Du coup, à 26 ans, j’ai repris un master en sciences politiques, avant de décider que je voulais apprendre l’architecture. Je suis alors allé à l’Architectural Association School of Architecture (AA) à Londres où j’ai fait mon parcours de six ans d’études. À la suite de quoi, l’AA School m’a demandé de rester pour donner des cours, car mon parcours éclectique intéressait justement cette école assez expérimentale.

Mais vous n’êtes pas resté à Londres, vous êtes allé au Mexique…

«Oui, après le Brexit, pour un programme satellite de l’AA School, dans le jardin de sculptures de Las Pozas, jardin conçu par Edward James, poète britannique, artiste et mécène du mouvement surréaliste. J’y ai donné des cours avec Carlos Matos qui est un architecte et sculpteur mexicain et Kanto Iwamura qui est un artiste et architecte japonais. Ce workshop a duré cinq ans. Au Mexique, l’identité est très fluide, plus mélangée. On a voyagé avec les étudiants, organisé des visites préhispaniques, modernistes et étudié comment les deux styles se sont mélangés, les cultures ont été réappropriées. C’est aussi pendant ce séjour que j’ai rencontré ma femme qui est d’origine serbe, mais qui habitait à New York, après avoir habité en Pologne et à Berlin.

C’est donc à travers elle que vous avez pris la direction de New York?

«Après avoir hésité entre rester au Mexique, retourner à Londres ou partir à New York, nous nous sommes finalement installés à New York en 2018. J’ai trouvé un poste à la Cornell University à Ithaca où j’ai donné des cours pendant un an. Cela a été un choc pour moi, car je suis passé de très grandes mégalopoles à une petite ville de 30.000 habitants… C’est à cette époque que j’ai commencé à regarder les objets avec plus de distance. Quand je suis revenu à New York, j’ai poursuivi ma recherche sur les objets, pris un atelier à Brooklyn, dans le Navy Yard.

Umberto Bellardi Ricci derrière un bureau de sa création et des objets et New York. (Photo: Matthew Williams)

Umberto Bellardi Ricci derrière un bureau de sa création et des objets et New York. (Photo: Matthew Williams)

Et que vous vous êtes donc intéressé au design.

«Dès 2021, j’ai exposé mes créations à la Matter Gallery. Ce sont des objets qui sont à l’intersection du design et de la sculpture, qui mélangent des matériaux qui contrastent comme le métal ou l’aluminium issu de l’univers industriel et la pierre, le tissu ou le verre qui sont des matériaux plus raffinés, plus fragiles. La critique m’a alors rapidement placé dans la tradition américaine du minimalisme, mais c’était aussi intéressant de voir la lecture qu’ils ont faite de mon parcours. Comme ils ont tendance à tout aplatir, ils ont tout raccourci en architecte et sculpteur italien, à cause de mon nom.

Et vous, comment vous définissez-vous?

«Je me sens Luxembourgeois. J’aime le pays, la langue. Culturellement, je me sens proche de ce pays. Mais ma famille est aussi hétérogène : de père italien et de mère allemande, je suis Luxembourgeois ; ma femme est Serbe, mais a un passeport américain ; mes enfants sont Américains et ont aussi un passeport luxembourgeois. Je vois aussi que je m’adapte beaucoup en fonction du lieu où je vis : quand j’étais au Mexique, j’étais plus Italien et quand je suis à New York, je suis plus Allemand, plus organisé.

Donc cette dualité de cultures, entre le caractère latin et le caractère germain, vous sert au quotidien.

«En fait, je me définis entre le chaos et l’ordre. Quand j’ai fait de la musique expérimentale, du free-jazz, ces qualités m’ont beaucoup apporté. J’ai aussi l’habitude de travailler de manière rapide et brouillonne en maquette, tout en devenant précis, détaillé et structuré par la suite quand cela devient nécessaire.

Et l’architecture, vous l’avez laissée de côté?

«Non, pas du tout. Mes objets d’ailleurs sont très architecturaux. On parle de sculptures parce que je joue avec la forme, la non-échelle. Mais c’est aussi du design puisqu’ils sont fonctionnels. C’est un collectible design. Mais j’aime encore travailler sur des projets d’architecture.

Il y a une forme d’ambigüité dans votre travail alors, de glissement, de porosité, comme dans vos cultures.

«Oui, vous avez absolument raison! C’est comme de venir de plusieurs endroits en même temps. Il y a cette ambigüité dans mes cultures et dans les disciplines que je travaille. Ce mélange est intéressant, quand l’un touche à l’autre, crée une porosité de disciplines qui se nourrissent mutuellement.

Est-ce que la ville de New York, avec son rapport d’échelle si singulier, a influencé d’une manière ou d’une autre vos créations?

«Tout à fait. Et je trouve d’ailleurs que l’échelle de la ville ne fonctionne pas dans bien des cas, car il n’y a pas de rapport entre la rue et les gratte-ciels. Ce sont des bâtiments qui nécessitent d’être vus à distance. J’ai cette chance d’avoir cette vue des gratte-ciels depuis mon atelier. Donc je peux travailler en ayant cette vue sur la ville. Par conséquent, j’expérimente au quotidien ce rapport entre la petite échelle de mes maquettes ou des objets, dans mon espace, et cet arrière-plan théâtral de la grande ville. Je suis aussi influencé par la matérialité de la ville. Au Mexique, je faisais beaucoup de béton, mais ici, toute la ville est en verre et métal plié. C’est pourquoi je me suis intéressé au métal, un matériau que l’on trouve facilement, qui n’est pas cher et qui a encore un savoir-faire artisanal, dans les ateliers de quartier.

Actuellement, vous réalisez un projet avec l’ambassade du Luxembourg aux États-Unis. Pouvez-vous nous en dire quelques mots?

«Je suis très content de pouvoir retravailler aujourd’hui avec le Luxembourg, après avoir fait ces voyages et séjours ailleurs. Parfois, il faut faire le Grand Tour (voyage initiatique et culturel que faisaient les jeunes aristocrates en Europe aux 17e et 18e siècles, ndlr) pour apprécier sa propre culture. C’est très important pour les Luxembourgeois, car le pays est petit et ce n’est pas si évident de reconnaître la valeur de cette culture, qui existe pourtant bel et bien. Pour ce projet, il s’agit d’intervenir dans les intérieurs de l’ambassade à Washington. L’ambassadrice actuelle est très sensible au design et a envie de mettre en avant le travail autour de l’acier. La résidence est assez chargée, et mon idée est de créer un contraste fort, une approche minimale, contemporaine.

Avez-vous souffert à un moment donné de votre vie de ces multiples identités et origines?

«Franchement… non, pas vraiment. Au Luxembourg, j’étais toujours l’enfant italien. Ce qui m’a apporté de la confusion, c’est plutôt d’avoir été élevé dans la religion protestante. Ce qui est inhabituel pour un Italien… Sinon, non, car mon cas n’était pas du tout exceptionnel au Luxembourg. Et par ailleurs, j’ai découvert l’enrichissement d’être un étranger dans un pays où vous vivez pour une longue période. Cela permet d’avoir une distance avec sa propre culture.

Est-ce que vous avez rencontré des obstacles pour vous intégrer dans les pays où vous avez vécu?

«Non, pas vraiment. Mais j’ai eu un choc lors de mes études à Londres, quand un professeur m’a demandé mon avis sur un sujet. Jamais au Luxembourg mes professeurs ne m’avaient demandé mon avis, et encore moins de l’argumenter. L’apprentissage des langues était fantastique, mais il n’y avait pas de dialectique dans notre enseignement. J’ai découvert aussi un esprit beaucoup plus compétitif. Et leur sens de l’humour m’a donné du fil à retordre! Je ne comprenais jamais leurs blagues pleines de sarcasme. En allemand, la langue est tellement précise qu’il n’y a pas de place pour l’humour.

D’autres étonnements?

«New York m’a offert des opportunités professionnelles vraiment extraordinaires, mais culturellement, c’est un désert. En tant qu’Européen, on n’est pas habitué à cela. Le marché est ici, mais la création est ailleurs.

Le fait de prendre de la distance avec l’Europe vous a-t-il aidé dans votre processus créatif, modifié votre rapport à l’héritage culturel?

«Je travaille beaucoup avec le métal, qui est un matériau traditionnel au Luxembourg, et les immeubles de New York ont été construits avec ce métal. Mais j’ai aussi cette tradition des arts raffinés d’Europe, les magnifiques pierres italiennes, les textiles français et italiens… Je pense que le contraste entre le high and low, l’industriel et le raffiné, que je mets en œuvre dans ma production, vient de cette distance culturelle. Il est vrai que c’est parfois encombrant de rester dans sa culture. C’est libérant d’un point de vue créatif d’avoir une distance, pour réinventer. Et les États-Unis sont parfaits pour cela. Il y a une forme de naïveté et d’enthousiasme qui est rafraîchissante. Le Mexique m’a aidé aussi dans cette approche, car les Mexicains sont beaucoup plus joueurs dans leurs créations et ne craignent pas la réappropriation.

Le rêve américain existe-t-il encore?

«C’est difficile de répondre à cela, car c’est très chargé. Mais il y a cette liberté dans une société méritocratique. Et l’économie, qui se porte plutôt bien, permet aussi un certain enthousiasme, avec des personnes qui sont prêtes à prendre des risques.

Est-ce que vous avez conservé des habitudes ou des traditions luxembourgeoises?

«Récemment, on a fêté Kleeschen (Saint-Nicolas) au Consulat avec les enfants. Sinon, non, pas vraiment, même si mon cœur reste à Luxembourg.

Est-ce que vous vous sentez ambassadeur de votre pays à l’étranger?

«Absolument. Et je suis aussi très content de rencontrer d’autres Luxembourgeois expatriés. Comme c’est un petit pays, on a souvent des connaissances en commun. C’est sympa.

Est-ce que vous envisageriez un jour de revenir vivre en Europe?

«Oui, on y pense souvent, pour être franc. Je pense à Luxembourg, mais aussi à l’Italie. Mais j’essaie de ne pas faire trop de plans, de contrer mon caractère allemand qui prévoit tout et rationalise…»

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de , parue le 26 mars. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

 

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