Les plateformes respecteront-elles strictement le modèle social luxembourgeois? L’examen de leur situation se fera au cas par cas, répond le ministre du Travail. (Photo: Shutterstock)

Les plateformes respecteront-elles strictement le modèle social luxembourgeois? L’examen de leur situation se fera au cas par cas, répond le ministre du Travail. (Photo: Shutterstock)

Il n’y aura pas de troisième statut entre «employé» et «travailleur indépendant», dit le ministre du Travail, Georges Mischo (CSV), dans une réponse parlementaire, face à l’inquiétude des syndicats et de certains politiques sur les conditions dans lesquels travailleront les chauffeurs et livreurs des plateformes.

Les chauffeurs des plateformes de transport de personnes ou de marchandises sont-ils assez protégés contre les tentatives de ces mêmes plateformes d’en tirer «le meilleur parti», s’interrogent en substance les députés du LSAP et ou encore l’OGBL et le LCGB. .

«Moins de deux mois après qu’Uber ait annoncé son partenariat avec Webtaxi, une deuxième plateforme multinationale annonce son arrivée au Luxembourg. Tout comme Uber, Bolt est connu pour ses pratiques de dumping social et de faux indépendants», s’emporte l’OGBL dans un communiqué. «Bolt affirme être déjà en contact avec des chauffeurs et n’a certainement pas l’intention de s’implanter en respectant le droit du travail luxembourgeois et la convention collective du secteur des taxis. Cette annonce est certainement aussi le résultat de l’arrivée d’Uber qui a été ouvertement célébrée par le gouvernement libéral-conservateur et la ministre de la Mobilité.»

Des indépendants… trop dépendants?

«Alors que les chauffeurs qui roulent pour la plateforme Uber sont tous salariés du partenaire luxembourgeois, il apparaîtrait que selon le modèle économique prévu par Bolt, leurs chauffeurs seraient visiblement tous des indépendants», complète le LCGB. «Ceci est d’autant plus inquiétant, puisque la plateforme leur demande des commissions moins élevées que la concurrence. Ainsi, cette pratique de tarification agressive pourrait se faire au détriment de l’existence de ces chauffeurs.»

Dans une réponse parlementaire, le ministre du Travail, (CSV), apporte quelques clarifications, qui devront être regardées à l’aune de la nouvelle directive européenne sur les travailleurs de plateformes. «La directive devrait assurer un équilibre entre la protection des personnes qui travaillent sur des plateformes numériques et qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité, et le développement de nouveaux modèles commerciaux qui tirent parti des opportunités offertes par la numérisation», avait-il déclaré le 12 mars lorsqu’un accord a été trouvé en Europe, contre l’avis de la France et de l’Allemagne.

«Les plateformes numériques de ce type implantées au Luxembourg doivent disposer d’une autorisation d’établissement en bonne et due forme correspondant à leur offre de services. Le type d’autorisation nécessaire est à considérer au cas par cas selon les activités d’une entreprise, sachant qu’une entreprise peut également avoir plusieurs activités différentes faisant l’objet d’une autorisation d’établissement.»

UberEats, mentionnée dans la question parlementaire, opère au Luxembourg depuis son entité néerlandaise et n’est donc pas «implantée au Luxembourg», pas plus qu’Uber, qui s’appuie sur son partenaire luxembourgeois, Voyages Emile Weber, ni même que Bolt dont le siège social est à Paris et qui devrait faire appel à des chauffeurs de taxi professionnels eux-mêmes déjà soumis à tous les enregistrements nécessaires.

Une législation à venir

Le ministre assure aussi que «le gouvernement s’oppose à la création d’un troisième statut intermédiaire susceptible de créer plus de précarité pour les personnes exécutant un travail via une plateforme numérique. Ces personnes ne peuvent donc avoir que le statut du salarié ou bien le statut d’indépendant», la différence venant du contrat de subordination entre la plateforme et le chauffeur-livreur. «Pour apprécier s’il existe un lien de subordination dans un cas où ils doivent qualifier une relation contractuelle, les juges se fondent sur un faisceau d’indices pour former leur conviction», précise encore M. Mischo.

Et après, on rentre dans la «subtilité» de la jurisprudence. Outre la notion d’établissement stable – très connue dans les contextes de fiscalité et de place financière, les fameuses «boîtes aux lettres» toujours une spécialité luxembourgeoise – le ministre limite la prestation de services à «une absence de participation stable et continue à l’économie de l’État membre d’accueil», ce qui invite à comprendre que ceux qui n’ont pas de structure ni de partenaires devront, un jour, passer à une autre organisation. Sauf, précise-t-il enfin, que cette participation stable et continue s’apprécie au cas par cas, toujours selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne citée dans sa réponse.

La directive européenne que le législateur luxembourgeois devra «améliorer» – au bénéfice du travailleur s’entend – prévoit une présomption de contrat de travail que la plateforme devra contester à la lumière de la manière dont se passent les relations entre la plateforme et le chauffeur-livreur.

En fin d’année, MoveEU, organisation des acteurs, dont Uber et Bolt, s’était plainte que deux critères sur cinq suffisaient à requalifier la relation entre elles et un chauffeur-livreur. Les cinq conditions étaient alors: plafonner le montant d’argent que les travailleurs peuvent recevoir; superviser leurs performances, y compris par voie électronique; contrôler la distribution ou l’attribution des tâches; contrôler les conditions de travail et imposer des restrictions sur le choix des horaires de travail; imposer des restrictions à la liberté des travailleurs d’organiser leur travail et imposer des règles sur l’apparence ou la conduite des travailleurs.

Il n’est pas inintéressant de regarder les deux autres acteurs du marché cités dans la question: elles ne font pas la même interprétation de la loi. WeDely dispose de deux autorisations, une pour «activités et services commerciaux» et l’autre pour «transport de marchandises par route» tandis que Goosty n’en a qu’une pour «activités et services commerciaux».

Les conditions qu’un livreur doit remplir pour être le mieux payé. (Source: site internet de WeDely)

Les conditions qu’un livreur doit remplir pour être le mieux payé. (Source: site internet de WeDely)

Dans sa rubrique en ligne, le candidat à la livraison pour Goosty doit être indépendant ou enregistré comme une entreprise. Pour WeDely, le candidat doit avoir une autorisation d’établissement selon la liste des documents nécessaires et promet jusqu’à 20 euros de l’heure pour peu que le livreur remplisse un certain nombre de conditions (nombre de livraisons, disponibilité dans les heures de pointe différentes selon les jours de semaine et les jours de week-end).