L’administration Trump a envoyé une lettre à certaines grandes entreprises de l’UE les avertissant de se conformer à un décret interdisant les programmes de diversité, d’équité et d’inclusion. (Photo: Shutterstock)

L’administration Trump a envoyé une lettre à certaines grandes entreprises de l’UE les avertissant de se conformer à un décret interdisant les programmes de diversité, d’équité et d’inclusion. (Photo: Shutterstock)

L’executive order de l’administration Trump, qui entend mettre fin aux politiques de diversité et d’inclusion, touche aussi des entreprises luxembourgeoises. Une trentaine d’entre elles ont reçu un courrier de l’ambassade des États-Unis, avec qui elles sont sous contrat, pour les «inviter» à se conformer à la nouvelle politique américaine. 

On connaissait l’extra-territorialité qui interdit la corruption d'agents publics étrangers… même par des entreprises étrangères si elles ont un lien avec les États-Unis, celles des sanctions économiques américaines contre l’Iran ou la Russie qui s’appliquent à des entreprises non-américaines utilisant des dollars ou ayant une présence aux États-Unis ou encore celle née du RGPD qui s’applique à des entreprises américaines et autres sur le sol européen. Au cours des premiers jours de son second mandat, le président américain, Donald Trump, en a ajouté une nouvelle forme: celle qui concerne les politiques d’entreprise liées à la diversité et l’inclusion.

Une «certification concernant la conformité à la loi fédérale anti-discrimination applicable» a été envoyée fin mars par l’administration Trump à certaines grandes entreprises de l'UE qui doivent promettre qu’elles vont s’y conformer, selon le Financial Times.

«De notre côté, nous avons aussi été informés que des cabinets d’avocats luxembourgeois avaient été contactés pour signer ce document», commente le bâtonnier , joint par Paperjam, après le papier de nos confrères du Land qui se consacre à ce sujet. «J’ai donc envoyé un mail à tous les avocats du Barreau au début du mois d’avril pour savoir combien avaient été contactés. Seuls deux cabinets m’ont dit avoir reçu le document», poursuit Maître Moro, qui ne souhaite pas divulguer le nom des deux entités.

35 entreprises contactées par l’ambassade

«Pour nous, un avocat doit rester indépendant par rapport aux clients, cela implique donc qu’il ne peut pas se laisser influencer par une entité externe, que ce soit maintenant une autorité américaine, une autorité européenne ou de façon générale un client. Ce n'est pas au client de dicter à l'avocat comment il doit s'organiser, fonctionner parce que nous avons un grand principe d'indépendance», insiste Albert Moro.

Contactée par Paperjam, l’ambassade des États-Unis au Luxembourg confirme avoir envoyé «à nos entrepreneurs et bénéficiaires actuels, soit environ 35 bénéficiaires à ce jour», ce document. «Les ambassades des États-Unis, y compris l'ambassade des États-Unis au Luxembourg, examinent tous les contrats et subventions afin de s'assurer de leur conformité avec les récents décrets de la Maison Blanche.»

«Dans le cadre de cet examen, il est demandé aux entrepreneurs et bénéficiaires actuels de fournir la certification requise par le décret présidentiel visant à mettre fin à la discrimination illégale et à rétablir les opportunités fondées sur le mérite (EO 14173). Cet effort concerne uniquement les fournisseurs ou autres organisations qui ont ou souhaitent obtenir des contrats ou des subventions avec nos ambassades, y compris l'ambassade des États-Unis au Luxembourg», explique Meghan Dean, porte-parole de l'ambassade des États-Unis au Luxembourg.

Sont visées les entreprises sous contrat

«Pour une entreprise étrangère opérant hors des États-Unis, aucune loi fédérale américaine anti-discrimination ne s'applique généralement à elle, sauf si elle est contrôlée par un employeur américain et emploie des citoyens américains. Aucune ‘vérification’ n'est requise, si ce n'est une auto-certification de conformité par les entrepreneurs et les bénéficiaires», ajoute la porte-parole, sans dévoiler le nom des 35 entités luxembourgeoises contactées.

Ce ne sont donc pas forcément des entreprises qui ont un lien direct – filiale, succursale, etc. –  avec les États-Unis qui sont visées, mais bien celles qui ont un contrat avec les ambassades américaines.

A&O Shearman était par exemple une des cinq entreprises à avoir annoncé avoir signé des accords avec l'administration Trump, le vendredi 11 avril, «pour ne pas subir ces restrictions», explique un article du Land paru le 18 avril. Joint par Paperjam, le service communication d’A&O Shearman au Luxembourg ne donne pas plus d’information. Une communication interne du groupe avait pour autant fuité sur le site law.com le 11 avril. Sur ce site spécialisé dans le domaine juridique, la direction d'A&O Shearman explique avoir «identifié et comparé les avantages et les risques de toutes les approches concernant l'EEOC (Commission américaine pour l'égalité des chances en matière d'emploi, ndlr) avant de prendre une décision raisonnée, mais difficile».

«Aujourd'hui, nous avons pris la décision, aux côtés d'autres cabinets de premier plan, dont Kirkland&Ellis, Latham&Watkins et Simpson Thacher, de conclure un accord collectif afin de mettre un terme définitif à l'enquête en cours de l’EEOC sur la DEI et l'éthique de 20 grands cabinets d'avocats, sans aucune reconnaissance de responsabilité ni de faute de la part du cabinet. Tout au long de ce processus, notre principe directeur a été de positionner au mieux le cabinet pour une réussite à long terme, tout en restant fidèles à notre engagement en faveur de l'inclusion et à nos valeurs fondamentales, tout en restant attachés à l'État de droit.»

Les principaux éléments de l'accord et des ententes comprennent notamment: «un engagement à ne pas refuser de représenter les clients qui n'ont traditionnellement pas été représentés par de grands cabinets d'avocats en raison de leurs opinions politiques; un engagement à fournir jusqu'à 125 millions de dollars de services juridiques bénévoles et gratuits pendant la période actuelle et au-delà, dans de vastes domaines d'activité, notamment pour garantir l'équité au sein du système judiciaire, la représentation des anciens combattants, des premiers intervenants et des forces de l'ordre, et la lutte contre l'antisémitisme, entre autres.»

Plus de 200 grands groupes s’exécutent

Selon CNBC, début février, Amazon a supprimé toute référence à la diversité et à l’inclusion de son dernier rapport annuel, alors que le précédent mentionnait  «l’inclusion et la diversité» dans une section intitulée «capital humain», un terme qui n’apparaît plus dans le dernier rapport. Le rapport précédent indiquait: «Alors que nous nous efforçons d’être le meilleur employeur de la planète, nous nous concentrons sur l’investissement et l’innovation, l’inclusion et la diversité, la sécurité et l’engagement pour embaucher et développer les meilleurs talents.»

Également joint par Paperjam, le service communication d’Amazon au Luxembourg commente par ces mots: «Nous restons déterminés à bâtir une entreprise diversifiée et inclusive qui sert notre large gamme de clients», expliquant que cette déclaration «est liée à la diversité et à l’inclusion en général, et ne doit pas être interprétée comme un commentaire/une réaction aux lettres signalées des ambassades américaines aux fournisseurs locaux.»

Des changements et des résistants

Les médias américains font état tous les jours de ceux qui abandonnent, comme Bank of America qui a supprimé les objectifs de recrutement axés sur la diversité et a remplacé les termes «diversité» par «talent» et «opportunité»; BlackRock qui a effacé toutes les références à la DEI de ses communications officielles; Deloitte qui a demandé à ses employés de retirer les pronoms de leurs signatures électroniques et a cessé de produire des rapports sur la diversité ou Google qui a enterré ses objectifs de recrutement axés sur la diversité et a retiré les références à des événements culturels de son calendrier.

Dans le sens inverse, Apple a rejeté une demande de ses actionnaires de changer ses plans ou le CEO de JPMorgan Chase, Jamie Dimon, a défendu les efforts DEI de sa banque, affirmant qu'ils contribuent à l'innovation et à de meilleurs résultats financiers. ​