Bruxelles serre la vis sur les importations d’acier: c’est l’une des principales mesures du plan d’action pour l’acier et les métaux, ce secteur à la base de la construction européenne. Tout un symbole. La Commission prévoit de limiter les importations d’acier de 15% à partir du 1er avril. Après l’instauration, par les États-Unis, de droits de douane à hauteur de 25%, l’Europe craint une hausse des importations, avec des produits précédemment destinés aux États-Unis qui pourraient être réorientées vers l’UE. D’où la réduction des quotas d’importation, pour réduire les flux entrants de 15%. En 2024, l’UE a importé environ 60 millions de tonnes d’acier.
«Nous donnons un signal fort aux investisseurs et aux travailleurs de ce secteur, pour une meilleure prévisibilité», disait le vice-président exécutif de la Commission européenne à la Prospérité et à la Stratégie industrielle et commissaire européen à l’Industrie, Stéphane Séjourné, lors de la présentation du plan d’action pour l’acier et les métaux.
Il en va aussi de la survie de ce secteur clé de l’UE, qui représente 7 à 8% de la production mondiale d’acier. «Le plan est mis en œuvre à un moment où des mesures faussant le marché, telles qu’un soutien non commercial aux surcapacités mondiales et des droits de douane injustifiés sur l’acier et l’aluminium de l’UE, peuvent avoir une incidence négative sur notre économie», indiquait la Représentation de la Commission européenne au Luxembourg il y a quelques jours.
Le Clean Industrial Deal lancé en février 2023 était, selon les acteurs du secteur, trop généraliste et pas assez adapté aux réalités. Il manquait de mesures ciblées, notamment sur les prix de l’énergie et la protection face au dumping social. C’est précisément pour combler ces lacunes que la Commission a lancé ce plan d’action spécifique pour l’acier et les métaux, qui se veut «plus opérationnel et stratégique».
Le secteur souffre de l’explosion des coûts de l’énergie depuis la guerre en Ukraine et la pression environnementale – puisque l’UE veut atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Aux États-Unis, par exemple, les prix de l’électricité sont deux à trois fois moins chers que dans l’UE. Pour le gaz, c’est quatre à cinq fois moins.
Plus d’acier qu’il n’en faut
Des règles du jeu qui pénalisent les 500 sites de production dans l’UE (environ 2,6 millions d’emplois) qui contribuent à hauteur d’environ 80 milliards d’euros au PIB de l’UE. Au Luxembourg, pays qui reste un acteur historique et stratégique du secteur, on compte environ 4.300 emplois directs dans la sidérurgie et plus de 6.000 en ajoutant les services connexes.
Face aux prix de l’énergie, le nouveau plan invite les États membres «à utiliser toutes les marges de manœuvre pour réduire les coûts supportés par les industries à forte intensité énergétique, notamment par la modulation des tarifs de réseau ou en appliquant une taxation à taux zéro à l’électricité».
Sous pression, le secteur est en situation de surcapacité mondiale et d’une concurrence déloyale, en majorité venue de Chine. Le pays maintient à la hausse sa production, malgré une demande stagnante, et exporte à des prix inférieurs, mettant les producteurs européens en difficulté. La surcapacité mondiale signifie que l’offre dépasse largement la demande mondiale, ce qui entraîne une chute des prix, une concurrence féroce et des risques de fermeture d’usines dans les zones les moins compétitives. L’Europe est inondée par des importations à bas coût, souvent non conformes aux normes environnementales ou sociales européennes.
Rien que pour l’acier, en 2024, la surcapacité mondiale était estimée à plus de quatre fois et demi la consommation annuelle de l’UE. Face à ce phénomène, le plan d’action veut adapter l’actuelle mesure de sauvegarde sur l’acier qui impose des droits de douane lorsque le volume d’importation dépasse le niveau des flux commerciaux historiques. La Commission proposera aussi, d’ici la fin de l’année, une nouvelle mesure à long terme pour protéger le secteur sidérurgique de l’UE une fois que la mesure de sauvegarde actuelle expirera à la mi-2026.
Réduire la dépendance et tirer les leçons du gaz russe
Il en va de la souveraineté de l’Europe, mais aussi de la sécurisation de ses chaînes d’approvisionnement, alors que la surcapacité causée par la Chine et d’autres pays qui contournent les mesures de défense commerciale et les sanctions de l’UE sont une menace grandissante. Sans parler des leçons à tirer sur la guerre en Ukraine qui a mis en lumière la fragilité des chaînes d’approvisionnement et le danger d’une dépendance massive à certains fournisseurs, notamment avec l’exemple du gaz russe.
Pour réduire la dépendance aux importations, il faut accroître la production locale et réduire le besoin en importation. La Commission explique dans son plan d’action que «le recyclage des déchets générés dans l’UE permet également de réduire la dépendance de l’industrie de l’UE à l’égard des matières premières primaires importées telles que la bauxite/alumine/aluminium, reconnues comme matières premières stratégiques de l’UE et où la demande devrait augmenter considérablement.»
Bruxelles envisage aussi de fixer des objectifs de contenu recyclé pour l’acier et l’aluminium dans certains secteurs clés. Il est aussi question d’instaurer des critères de résilience et de durabilité dans les marchés publics et les programmes de soutien.
L’Europe doit être un joueur de l’acier mondial, et non un terrain de jeu.
Pour encourager la production locale et filtrer les importations déguisées, la Commission évaluera également l’introduction de la règle du fondu-coulé, avec l’ambition d’empêcher certains acteurs de contourner les mesures de défense commerciale. Elle signifie que pour qu’un produit métallique soit considéré comme européen, il doit avoir été transformé mais aussi produit en Europe.
Le plan d’action veut aussi lutter contre le phénomène de «fuite de carbone»: ces entreprises qui déplacent leur production où la règlementation environnementale est moins stricte. La Commission veut ainsi adapter son mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), qui permet de fixer un prix équitable sur le carbone émis lors de la production de biens qui entrent dans l’UE. Il sera notamment question d’exempter les exportateurs d’acier et autres métaux de la taxe carbone pour des règles du jeu plus équitables.
«L’Europe doit être un joueur de l’acier mondial, et non un terrain de jeu», disait encore l’ancien ministre et député français Stéphane Sejourné lors de la présentation du plan d’action.
Objectif défense
Si l’acier et les métaux sont essentiels pour les secteurs de l’énergie, des transports, de l’automobile ou encore de la construction, ils le sont encore plus actuellement dans un contexte d’augmentation des capacités et des dépenses de défense et pour concrétiser le plan ReArm Europe/Readiness 2030.
En renforçant la compétitivité et la capacité de production locales de l’acier et des métaux, le plan d’action contribue à réduire la dépendance de l’UE vis-à-vis de fournisseurs extérieurs, alignant ainsi les objectifs de ReArm Europe et Readiness 2030 en matière de sécurité et de défense.
«Avec le plan d’action pour l’acier et les métaux présenté aujourd’hui, la Commission européenne envoie un message clair: une Union européenne forte a besoin d’une industrie sidérurgique européenne forte. De la lutte contre le commerce déloyal à la suppression des failles du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, en passant par la reconnaissance de la valeur stratégique et environnementale des déchets d’acier, le plan d’action identifie des domaines cruciaux pour notre secteur. Il est désormais temps de mettre en œuvre des solutions concrètes par des mesures ambitieuses», a annoncé le président de l’Association européenne de l’acier (Eurofer), Dr Henrik Adam.
Le porte-parole du directoire de Thyssenkrupp Steel, troisième producteur d’acier dans l’UE, Dennis Grimm, salue cette avancée: «La présentation et l’explication du plan d’action européen pour l’acier par le vice-président exécutif, Stéphane Séjourné, aujourd’hui à Duisbourg, sont très importantes pour nous. Cela montre que la Commission européenne est pleinement consciente de la situation extrêmement difficile du secteur et souhaite y remédier avec les mesures prévues dans le plan d’action. Il doit être clair pour tous que la combinaison d’une surcapacité mondiale massive, d’une protection commerciale insuffisante, de prix de l’énergie excessivement élevés et des défis de la transformation met en péril la substance même de notre industrie. Rien que l’année dernière, 9 millions de tonnes de capacités ont été fermées en Europe. Le plan d’action pour l’acier représente une étape pionnière vers la compétitivité et la décarbonation de l’industrie sidérurgique européenne. Il convient de souligner en particulier la priorité claire accordée à la protection commerciale, essentielle pour garantir la compétitivité de l’industrie sidérurgique européenne. L’important est désormais la cohérence et la rapidité de sa mise en œuvre. Il n’y a pas de temps à perdre. Nous remercions la Commission européenne, qui a fait de l’acier son sujet principal.»