Avec la crise du Covid, les phénomènes d’épuisement liés au télétravail se sont accentués. (Illustration: Shutterstock)

Avec la crise du Covid, les phénomènes d’épuisement liés au télétravail se sont accentués. (Illustration: Shutterstock)

Surcharge de travail, manque de déconnexion, ennui, perte de sens… Ces phénomènes liés à l’évolution de notre société se multiplient en temps de crise. Psychologues et entreprises proposent leurs solutions.

Un salarié sur 10 en Europe est concerné par le syndrome d’épuisement professionnel – ou burn-out –, selon le GesondheetsZentrum, cen­tre dédié à la médecine de dépistage et de prévention au Luxembourg. Il ajoute que 20% des salariés se sentent stressés par leur travail au Grand-Duché, alors que le stress chronique est le principal facteur de risque du burn-out.

Et si la crise sanitaire liée au Covid-19 a mis de nombreux secteurs à l’arrêt, le phénomène ne semble pas s’être atténué, bien au contraire. «En ce moment, je n’ai quasiment que ça», témoigne Céline Molitor, psychologue au Grand-­Duché. Le nombre de cas a «carrément doublé», calcule-t-elle. «Les gens ne trouvent plus le moyen de se recharger. En temps normal, ils ont d’autres activités pour s’en sortir, mais il n’y en a plus.»

Au-delà du bien connu burn-out, d’autres maux liés au travail sont apparus ces dernières années: le bore-out, ou «épuisement par l’ennui»; le brown-out, qui renvoie plutôt au manque de sens; et le blurring, ou blur-out, qui concerne la frontière trop floue entre vie privée et professionnelle. Eux aussi ont été accentués par la crise. «Aujourd’hui, il y a un mix de tout avec le télétravail, parce qu’il n’a pas été anticipé, explique Céline Molitor. L’épuisement des gens qui n’arrêtent pas de travailler amène à des effets de burn-out ou de blurring quand le PC est au milieu du salon. La crise fait réfléchir, ce qui crée des effets de brown-out et de bore-out.» Pour éviter de tels phénomènes en télétravail, elle conseille plus d’anticipation. «Avoir un lieu de travail et des horaires identifiés, et s’y tenir», insiste-t-elle.

Les cadres, plus touchés

, ces phénomènes ne sont, bien sûr, pas nouveaux. «On en parle de plus en plus, parce qu’on est dans une société où les besoins primaires sont satisfaits, argumente la psychologue. Les gens ont besoin de se réaliser, ils vont surinvestir une activité. Il peut s’agir d’un hobby, ou de la sphère professionnelle. Soit ils en font trop et finissent en burn-out, soit ils se rendent compte qu’ils s’ennuient ou ne sont pas épanouis, en cas de bore-out ou brown-out.» Un problème de luxe, donc? «On peut aussi faire un burn-out sans satisfaire ses besoins primaires, quand on accumule des jobs pour gagner sa vie. Mais on va plus parler d’‘épuisement’. Dans le burn-out, il y a cette notion de déséquilibre, de consulter ses e-mails en dehors des heures, de prendre les dossiers de ses collègues…»

Une montre un lien évident entre burn-out et exigences émo­tionnelles (la nécessité de maîtriser ses pro­pres émotions sur le lieu de travail afin de répondre aux attentes de l’organisation), ces dernières ayant augmenté entre 2016 et 2020, avec un pic en 2019. Elle souligne alors que les travailleurs exerçant une fonction d’encadrement présentent un niveau moyen d’exigences émotionnelles supérieur.

À chaque problème, sa solution

Comment éviter d’en arriver là? Première chose, «s’en rendre compte», analyse Céline Molitor. La responsabilité va tant à l’individu qu’à son manager. «Ce sont souvent des profils similaires: des personnes perfectionnistes, ou ayant un besoin de reconnaissance», décrit-elle. Ensuite, se fixer des règles, distinguer l’urgent et l’important. L’Inspection du travail et des mines (ITM) souligne «l’existence d’une relation entre des styles managériaux à caractère abusif, irrespectueux, menaçant, hostile, harcelant, dépourvus de signes de reconnaissance et le risque accru des maladies précitées parmi les collaborateurs».

Quand des questions de sens se posent, plu­sieurs options se présentent. «On peut ouvrir le dialogue avec le manager si on manque de challenge. Faire une pause pour réfléchir. Changer sa vision du travail, du métier, du poste», précise la psychologue. Ou, si cela ne suffit pas, changer d’entreprise ou de voie. En tout cas, après un burn-out, «on ne peut pas retourner travailler dans un environnement qui nous a rendus malades».

Conscientes des risques, certaines entreprises mettent en place des processus spécifiques. C’est le cas de SD Worx, société de res­­­sources humaines qui emploie 70 personnes au Luxembourg. «D’abord, nous mettons l’accent sur la sensibilisation», détaille , managing director. Cela passe par des formations, par exemple pour apprendre à gérer son perfectionnisme. L’entreprise réalise aussi des enquêtes de satisfaction trimestrielles anonymes, pour suivre le bien-être des salariés. En cas de problème, un consultant externe peut être appelé. Les employés ont accès à un coach externe par téléphone. Et lorsque ce n’est pas assez, un parcours de réintégration est prévu pour l’après-burn-out. En trois ans, le managing director assure n’avoir eu à gérer qu’un seul cas de surmenage.

Des mots sur ces maux

Burn-out

L’ITM le définit comme «un état d’épui­sement mental, physique et émotionnel grave qui touche l’être humain. Il sur­vient après de longs mois ou années d’exposition à des situations de stress intense.» Elle met en avant trois symptômes: une fatigue physique et intellectuelle extrême, une déshumanisation, et une perte d’enthousiasme pour le travail.

Bore-out

Ici, l’épuisement n’est pas dû à une surcharge de travail, mais, au contraire, à une sous-charge, créant de l’ennui. Les effets sont alors multiples: perte de sens, honte, culpabilité… Cela peut s’expliquer par un décalage entre compétences et niveau d’exigence, ou bien par le développement des bullshit jobs, conceptualisés par l’anthropologue David Graeber. Selon lui, le progrès technique, au lieu d’aboutir à une baisse du temps de travail, a donné naissance à une multitude d’emplois n’ayant pas toujours de sens.

Brown-out

Proche de la notion précédente, celle-ci se rapporte plus à la question du sens qu’à la charge de travail. Elle concerne des salariés effectuant des tâches répétitives ou qu’ils jugent dénuées de sens, et non adaptées à leurs compétences.

Blur-out

Dans ce cas, on note un manque de frontière entre la vie privée et la vie professionnelle. Un phénomène boosté par les nouvelles technologies, quand il devient difficile de ne pas vérifier ses e-mails en rentrant du travail.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de  qui est parue le 27 janvier 2021.

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