Minusines compte parmi les plus grandes PME luxembourgeoises, employant une centaine de personnes, pour un chiffre d’affaires de 40 millions d’euros par an. Quel est son ADN aujourd’hui?
Laurent Saeul. – «Pour répondre à cette question, je renvoie volontiers à la stratégie que nous avons définie en 2017 pour viser l’excellence opérationnelle. Elle repose sur deux axes: la logistique et les compétences de nos employés. Minusines est aujourd’hui une entreprise centrée sur la technologie, avec comme double moteur son organisation logistique – largement digitalisée – et la formation continue de son personnel. C’est un ensemble interconnecté.
Comment parvenez-vous à former votre personnel alors que les solutions proposées à vos clients évoluent en permanence?
L.S. – «La formation peut se faire au quotidien, à des degrés divers, de la consultation de manuels d’utilisation ou de vidéos explicatives aux échanges avec nos fournisseurs, qui sont souvent basés à l’étranger, en passant par des sessions de formation dédiées dans notre salle interne. Nous l’avons redessinée pour en faire un lieu interactif, grâce aux outils technologiques actuels. Cette approche vaut aussi vis-à-vis de nos clients, avec qui nous échangeons régulièrement sur les nouveautés.
Les interrupteurs sont devenus en quelque sorte des ordinateurs incrustés dans les parois murales.
Votre comptoir physique existe encore bel et bien, mais votre approche omnicanale vous conduit à proposer les commandes et services après-vente en mode digital. Quel est le retour du terrain sur cette approche?
L.S. – «Cette volonté part tout d’abord d’un simple constat: nous travaillons avec beaucoup d’artisans qui effectuent régulièrement des petites commandes au fil de leurs chantiers. Grâce à notre interface digitale, ils peuvent passer commande depuis leur lieu de travail et ainsi gagner du temps en retirant directement leur commande en magasin ou en se faisant livrer. Nous avons aussi équipé nos bureaux de cabines dans lesquelles nos conseillers sont en communication vidéo avec nos clients, parfois même sur chantier. Ce qui permet d’illustrer un besoin en filmant l’endroit concerné.
Ce mouvement digital était initié avant la pandémie, mais la crise l’a accéléré, et nous pensons qu’il continuera à fortement se développer à l’avenir. Et ce d’autant plus que la technologie est intrinsèquement liée à nos produits. Les interrupteurs, par exemple, sont devenus en quelque sorte des ordinateurs incrustés dans les parois murales. Or, on ne peut pas demander à chaque artisan d’être spécialisés dans tous les produits, d’où le besoin de disposer de canaux de communication modernes.
Grâce aux liens avec Encevo, nous savons ce qui se passe derrière les bornes de recharge que nous installons.
Votre rôle est donc important dans la mise sur le marché local de nouvelles technologies. Comment faire les bons choix parmi les solutions, qui sont pléthore?
L.S. – «En tant qu’importateur et distributeur, vous ne pouvez pas faire n’importe quoi. Nous sommes dans une phase de transformation des techniques du bâtiment, d’électrification intensive qui nous conduit à devoir être en pointe sur la mise sur le marché de la bonne technologie et surtout d’une technologie qui puisse être déployée et exploitée de façon efficiente avec les ressources existantes, tant au sein de nos équipes que chez nos clients.
Dans ce contexte, l’intérêt est de pouvoir compter sur les interactions avec le groupe Encevo, qui est notre actionnaire principal depuis 2020. Grâce à ces liens, nous savons aussi ce qui se passe derrière les bornes de recharge que nous installons. Outre l’électrification de la mobilité via nos clients B2B, nous pensons aussi jouer un rôle non négligeable en B2C autour d’une autre technologie qu’est la pompe à chaleur, amenée à devenir une norme dans la fourniture de chauffage dans les nouvelles habitations. Autant de changements qui renforcent l’importance de la conception et de la planification initiales des chantiers. Nos équipements internes ont aussi été pensés dans le sens d’une cocréation de la conception des chantiers avec les parties prenantes concernées.
Si nous parvenons à uniformiser le BIM et à y greffer le bilan carbone des matériaux utilisés, nous aurons fait un grand pas en avant.
Ce qui passe par les techniques de BIM (building information modeling)?
L.S. – «Le BIM peut évidemment faire du sens, mais son approche et son usage restent très fragmentés parmi la multitude de corps de métier et de fournisseurs qui gravitent, par exemple, autour d’une construction d’immeuble. L’idéal serait de disposer d’un cadre réglementaire fixant des normes afin de parler un même langage sur des plateformes communes.
Votre rôle est-il aussi de conseiller vos clients quant au bilan carbone des produits proposés?
L.S. – «Proposer le bon produit veut dire aussi être capable d’estimer son bilan carbone. Nous y travaillons afin de pouvoir, à terme, montrer à nos clients l’empreinte carbone des produits mis en vente avant leur achat. Nous pourrons donc influer sur la responsabilité sociétale de chacun et surtout apporter une contribution concrète à la préservation de l’environnement. Si nous parvenons, d’ici 5 à 10 ans, à l’échelle de l’artisanat, à uniformiser l’usage du BIM et à y greffer le bilan carbone des matériaux utilisés, nous aurons fait un grand pas en avant.
Comment percevez-vous, et surtout vivez-vous, la problématique des ruptures de chaînes d’approvisionnement, vous qui devez gérer 500 à 600 livraisons par jour?
L.S. – «C’est un problème qui a quasiment été fabriqué en Europe. Avant qu’il en soit question pour la première fois au printemps 2021, nous avions peu de problèmes d’approvisionnement. Puis la discussion dans le débat public autour de cette crainte a entraîné la problématique que nous connaissons aujourd’hui, avec un impact sur les livraisons. Cette situation doit entraîner une réflexion collective sur la manière dont nous planifions les besoins en matériel au Luxembourg. Cette culture de la planification fait encore largement défaut. Je reste convaincu que le client bien organisé autour d’un concept mûrement réfléchi peut exécuter son chantier sans tension.
Quelle a été votre réaction pour éviter d’être vous-même en situation délicate?
L.S. – «Notre message est tout d’abord de ne pas paniquer, même si la période est difficile. Ayant constaté que la problématique évoquée devenait une réalité, nous avons pris la décision de dédoubler notre stock, qui compte aux alentours de 10.000 pièces et références.
Et comment réagissez-vous face à l’inflation galopante que nous vivons depuis plusieurs mois, en particulier depuis le déclenchement du conflit en Ukraine en février dernier?
L.S. – «Elle ne constitue pas non plus une surprise, malheureusement. Nous effectuons une mise à jour mensuelle de nos prix. Là aussi, nous veillons à planifier au mieux notre trésorerie, d’autant plus que nous agissons en quelque sorte en tant que cofinanceur de projets, puisque nous payons d’abord à nos fournisseurs une marchandise qui sera payée de manière décalée par nos clients. Disposer de finances saines n’est certainement pas superflu en cette période.
Les réseaux de bornes vont s’étendre rapidement dans l’espace public et les nouveaux projets de bâtiments.
Que vous inspire la question sur la réindustrialisation évoquée en Europe depuis le début de la crise du Covid-19?
L.S. – «C’est une discussion qui ne peut faire du sens qu’en la faisant coïncider avec l’introduction de standards dans les technologiques qui seront demain ou après-demain communément utilisées dans les secteurs concernés.
La standardisation s’est déjà opérée dans un autre domaine, l’électromobilité…
L.S. – «Les fiches et prises de recharge sont en effet standardisées en Europe, afin d’épouser le déploiement de l’infrastructure à l’échelle européenne. À cet égard, la cadence est bonne, et je suis persuadé que les réseaux de bornes vont s’étendre rapidement dans l’espace public et les nouveaux projets de bâtiments, notamment de bureaux. Toute la difficulté résidera dans l’équipement des immeubles d’habitation existants…
De la production domestique d’énergie avec une pompe à chaleur ou des panneaux solaires au stockage de cette énergie pour compenser les périodes de moindre production, il n’y a qu’un pas…
L.S. – «Je crois beaucoup dans le déploiement de petites solutions de stockage d’énergie renouvelable, à l’échelle résidentielle grâce à des batteries qui permettront de temporiser entre la consommation et la production, entre le jour et la nuit… sans oublier le recours à des outils de mesure des besoins en direct, indispensables si l’on veut réguler le tout.
Vous imaginez-vous réaliser l’ensemble de vos livraisons en véhicules électriques?
L.S. – «Nous y travaillons, évidemment. Une partie de notre flotte compte déjà des véhicules électriques.
Nous vivons également la ‘guerre des talents’, d’autant plus que le luxembourgeois est notre langue véhiculaire en interne.
Quel rôle pouvez-vous jouer en faveur du modèle d’économie circulaire promu par les pouvoirs publics?
L.S. – «Des structures comme Ecotrel ou Ecobatterien ont un grand rôle à jouer en matière de recyclage des déchets et des équipements électriques, un recyclage qui doit être encadré, afin d’éviter que les éléments concernés partent vers des pays ne respectant pas nos standards, tant sur le plan environnemental que des conditions de travail. À l’initiative du gouvernement, Ecotrel, par exemple, est amené à tracer le matériel électrique importé et à le suivre jusqu’à sa fin de vie. Ceci pour permettre une meilleure réutilisation si possible.
À notre niveau, nous serons de plus en plus amenés à effectuer de la ‘reverse logistique’, à savoir reprendre des produits auprès de nos clients afin de les réinjecter dans le circuit après les avoir réparés ou mis à jour. À l’avenir, nous ne vendrons plus un produit dans le luminaire, mais un service, celui d’éclairer avec des technologies qui évolueront.
Avec le recul, que vous apporte l’actionnariat d’Encevo?
L.S. – «Il nous apporte une certaine neutralité au sein de l’écosystème qui s’étend de nos fournisseurs à nos clients, tout en pouvant jouer sur les synergies dans les travaux d’électrification. Disposer d’un actionnaire qui connaisse le métier d’électricien est évidemment un atout. Cette architecture actionnariale (à laquelle s’ajoute la présence de l’État à l’actionnariat d’Encevo), couplée à notre stratégie et notre approche centrée sur l’innovation, crée les conditions d’une ambiance favorable au sein de nos équipes, que nous faisons tout pour garder. Car nous vivons également la ‘guerre des talents’, d’autant plus que le luxembourgeois est notre langue véhiculaire en interne.
La transition énergétique, est-ce une opportunité ou d’abord un challenge?
L.S. – «Les deux! Je suis convaincu que cette transition ne doit pas s’aborder à l’échelle d’une entreprise ou d’une institution, mais bien par un effort collectif afin d’adapter les modèles de production, de distribution et de consommation d’énergies. Cet effort collectif concerne aussi la mise à niveau des collaborateurs de l’artisanat à l’égard des nouvelles technologies liées à la transition énergétique, via la formation supportée par les chambres professionnelles.
Finalement, peut-on encore définir Minusines comme un grossiste?
L.S. – «Nous sommes probablement davantage un distributeur à valeur ajoutée dans les domaines de la transition énergétique et du génie technique.»