Si la question du développement durable semble désormais figurer parmi les préoccupations des dirigeants, les actions prises sont-elles pour autant à la hauteur des enjeux? Ou, au contraire, devrions-nous faire preuve de plus d’ambition? Ces questions, nous avons souhaité les aborder avec le président du Conseil supérieur pour un développement durable (CSDD), Romain Poulles, fervent promoteur d’un modèle de société durable et d’une économie circulaire. «Aujourd’hui, nous avons tendance à appréhender la durabilité sous le seul prisme du défi climatique», explique-t-il d’emblée. «Pour la plupart, il s’agit avant tout de réduire l’empreinte carbone de nos activités, avec pour objectif d’atteindre la neutralité. Je crains que cette manière d’appréhender l’enjeu génère plus de problèmes qu’elle n’en résoudra.»
Pour le dirigeant, considérer le niveau d’émissions de CO2 comme le principal indicateur de la réussite de la transition vers une société durable, c’est se fourvoyer. Cela n’a, à ses yeux, pas plus de sens que de rendre compte du bien-être d’une société en ne considérant que le PIB, comme nous le faisons depuis plusieurs décennies. On constate aujourd’hui que la démarche atteint rapidement ses limites.
Changer d’indicateurs
Le développement durable, d’une part, englobe bien d’autres enjeux – sociaux et environnementaux – qu’il faut pouvoir relever. Pour cela, selon Romain Poulles, nous devons afficher des ambitions bien plus importantes. «Aujourd’hui, nous avons tendance à rester dans une logique linéaire. Les incitants et les contraintes qui sont mis en œuvre sont toujours basés sur l’ancien modèle, celui de la croissance», explique-t-il. «S’ils nous invitent à davantage de sobriété, ce qui est une bonne chose, l’enjeu principal reste de réduire les impacts négatifs de nos activités. Or, l’ambition devrait être tout autre. Elle devrait être de créer des impacts positifs. Pourquoi n’essaierions-nous pas de laisser un monde meilleur à nos enfants?»
Le développement durable, d’une part, englobe bien d’autres enjeux – sociaux et environnementaux – qu’il faut pouvoir relever. Pour cela, selon Romain Poulles, nous devons afficher des ambitions bien plus importantes. «Aujourd’hui, nous avons tendance à rester dans une logique linéaire. Les incitants et les contraintes qui sont mis en œuvre sont toujours basés sur l’ancien modèle, celui de la croissance», explique-t-il. «S’ils nous invitent à davantage de sobriété, ce qui est une bonne chose, l’enjeu principal reste de réduire les impacts négatifs de nos activités. Or, l’ambition devrait être tout autre. Elle devrait être de créer des impacts positifs. Pourquoi n’essaierions-nous pas de laisser un monde meilleur à nos enfants?»
Il s’agit alors de mettre en place des approches vertueuses, en acceptant notamment de laisser derrière nous des modèles qui nous apparaissent aujourd’hui à bout de souffle. «Nous devons changer de système, en commençant par adopter de nouveaux indicateurs, comme le PIB bien-être que nous avons introduit en 2008 et qui évalue la prospérité de la société sur base de 63 sous-indicateurs sociaux», poursuit Romain Poulles. «À côté du développement de la richesse, il faut, à l’avenir, rendre compte de la création ou de la destruction de valeurs sociales ou environnementales.»
Sortir des logiques qui prévalent actuellement pour trouver de nouvelles réponses à la hauteur des enjeux, à travers, par exemple, des dynamiques de circularité.
L’aspect finance
Au cœur d’une économie linéaire, il s’avère, en effet, que la création de valeur financière implique l’exploitation de ressources environnementales ou humaines. Tout est lié. «Il y a lieu, notamment, de découpler les indicateurs sociaux de ceux mesurant le développement de la richesse financière. Que nos pensions dépendent de la croissance du PIB n’est tout simplement pas durable», assure Romain Poulles. Or, actuellement, c’est à partir de ce dernier indicateur que sont prises la plupart des orientations politiques. Cela doit changer. «Au départ de nouveaux indicateurs sociaux et environnementaux, il nous appartient ensuite de fixer des objectifs ambitieux, ajoute le président du CSDD. Ce n’est que dans ces conditions que l’on pourra opérer des choix, sortir des logiques qui prévalent actuellement pour trouver de nouvelles réponses à la hauteur des enjeux, à travers, par exemple, des dynamiques de circularité.»
Favoriser des approches systémiques
Les logiques qui orientent aujourd’hui nos décisions, basées sur la croissance, ont été mises en place par de précédents décideurs. Aussi, il est possible d’en changer. Si cela peut s’apparenter à une contrainte, on peut appréhender ces changements comme une opportunité. «D’un système de santé basé essentiellement sur des soins, suivant une logique intrinsèquement linéaire, on peut imaginer des approches davantage orientées vers la prévention, qui profitent davantage à la société», cite Romain Poulles en guise d’exemple. «On peut penser des modèles qui ne soient plus calculés suivant des perspectives d’obsolescence ou de propriété, mais qui s’inscrivent dans l’économie du partage, de services associés à des biens. La ressource est alors considérée d’une tout autre manière.»
Les opportunités sont nombreuses. «Bien les appréhender, toutefois, implique aussi de travailler suivant des approches systémiques», assure-t-il. «À ce jour, le Luxembourg s’est doté d’une multitude d’initiatives, toutes envisagées en silo, sans concertation. Les enjeux liés au développement durable étant finalement très interdépendants, à l’avenir, il faut parvenir à mieux coordonner les politiques et initiatives mises en place, depuis le sommet de l’État, pour favoriser le développement de synergies au service d’un modèle de société vertueux.»
One Planet Luxembourg: avoir l’ambition de changer
Au début de l’année 2023, sous l’égide du Conseil supérieur pour un développement durable a été mise en place l’initiative One Planet Luxembourg. Il s’agit d’un appel, lancé à toute la société luxembourgeoise, à faire pression sur la politique et sur les partis afin qu’ils prennent leurs responsabilités pour pallier l’urgence climatique, environnementale et sociétale. En effet, pour Romain Poulles, il est temps d’agir avec ambition et de considérer, au-delà des problèmes, les opportunités liées au changement. «Il est impératif que la politique prenne enfin – à la hauteur des enjeux climatiques, de biodiversité et d’inclusion sociétale – la mesure des changements qui s’opèrent et mette en œuvre concrètement les instruments pour relever ces défis, explique-t-il. Au-delà, le Luxembourg a dans ses mains tout ce qu’il faut pour montrer la voie, démontrer qu’il est possible de construire une société selon un modèle vertueux.»
Au total, 40 associations, 16 institutions publiques ou parapubliques, 35 entreprises, 10 acteurs de l’économie sociale et solidaire et 715 citoyens ont répondu à cet appel à ce jour. D’autres devraient se joindre à eux.
Pour One Planet Luxembourg, les prochains mandataires auront une lourde responsabilité. Car, pour espérer changer encore de trajectoire dans un certain nombre de domaines, ce sera le mandat de la dernière chance. «Les actions qui seront entreprises par nos mandataires aux niveaux communal, national et européen seront décisives», poursuit Romain Poulles. Le président du CSDD invite les dirigeants à saisir, dès à présent, l’unique opportunité de changer que nous avons, «la plus importante depuis deux siècles. Il s’agit de faire du développement durable et de ses 17 objectifs le thème central de l’action politique, autour duquel tous les plans nationaux seront conçus et contrôlés quant à leur cohérence.
L’enjeu, entre autres choses, est que la résilience (d’un point de vue humain et dans l’intérêt de la nature) soit au cœur des stratégies internationales, nationales et communales de ce pays, que l’équité sociale et l’intérêt des générations futures guident l’action publique dans la transition vers un modèle soutenable, résilient, voire régénératif.» Pour le coup, l’ambition affichée est bien là. Reste à voir si la société sera vraiment à la hauteur de l’enjeu.
Cet article a été rédigé pour le supplément ESG de l’édition de parue le 25 octobre 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
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