Le chômage a retrouvé des niveaux d’avant-crise, pointant à 5,2% fin décembre, un taux qui est même en dessous de celui connu avant l’arrivée du Covid-19… comment percevez-vous cette bonne nouvelle?
– «C’est en effet une très bonne nouvelle, surtout que la baisse du chômage s’est faite rapidement, et même, durant les mois précédents, nous n’étions pas loin du niveau d’avant-crise. Surtout, la situation s’est vraiment améliorée chez les jeunes, pour qui le chômage avait crû encore plus rapidement que le chômage en général.
Pourquoi les jeunes étaient-ils plus impactés?
«Nous observons ce phénomène à chaque crise. Ce sont souvent les jeunes qui sont en CDD, et ces CDD ne sont pas forcément renouvelés lorsqu’une crise survient. Et surtout, il n’y avait pas d’offres d’emploi. Désormais, nous avons des niveaux records d’offres. Nous n’avons jamais vu ça. La grande question à présent, avec cette nouvelle vague et le variant Omicron, est de voir si, malgré tout, les entreprises vont vouloir continuer à recruter dans tous les secteurs. Ou est-ce qu’au moins pour certains secteurs, comme l’horeca, qui venait de bien redémarrer, il y aura à nouveau un stop dans les prochains chiffres que nous publierons?
Le chômage longue durée continue, lui, à rester élevé. Comment l’expliquez-vous?
«Une explication relève un peu de l’embouteillage qui s’est créé pendant la pandémie. Comme il n’y avait pratiquement pas de sorties, mécaniquement, les demandeurs d’emploi le sont restés quatre, cinq, six mois de plus; et on devient vite chômeur de longue durée chez nous, puisque c’est à partir d’un an d’inscription. C’est une première explication, qui, si elle était la seule, ne serait pas grave, parce que l’on résorberait vite le bouchon. Une autre explication tient dans la mutation du marché de l’emploi. Des profils comme les activités de back-office, d’encodage, d’assistance administrative sont très recherchés, mais ils ont profondément évolué. Ils exigent désormais de grandes compétences digitales, que les personnes qui perdent leur emploi n’ont pas forcément. C’est là que nous intervenons, avec des bilans de compétences, des formations ou des mesures pour l’emploi pour, au moins, garder les gens actifs.
On peut parler de phénomène global en ce qui concerne les profils liés à la digitalisation…
«C’est un problème qui concerne l’Europe, voire le monde entier. Il n’y a pas assez de personnes qualifiées dans ces secteurs sur le marché du travail, et il y a un énorme besoin dans le cadre des projets de digitalisation, dans le privé comme dans le public. Tout le monde cherche les mêmes profils. On ne peut pas les multiplier du jour au lendemain. Au niveau des écoles, des efforts ont tout de même été faits pour orienter les jeunes vers ces secteurs. Mais il faut attendre qu’ils soient formés.
Plus globalement, quels secteurs sont concernés par la pénurie de main-d’œuvre?
«Presque tous sont touchés, mais les profils liés aux nouvelles technologies, qu’il s’agisse du développement informatique ou de la gestion de projets informatiques, sont très recherchés. Nous observons aussi un manque au niveau du secteur financier, des profils expérimentés et spécialisés comme des comptables de fonds. Et puis, jusqu’au mois de décembre, nous avions aussi des pénuries dans le domaine de l’horeca.
D’autres secteurs sont en souffrance?
«Oui, tout ce qui concerne l’artisanat, notamment. Les électriciens, mécaniciens, installateurs chauffage-sanitaire, bouchers, etc., sont des denrées rares. Il y a des jeunes qui se dirigent vers l’artisanat, mais pas suffisamment pour couvrir les besoins.
Ces secteurs embauchent aussi beaucoup de frontaliers…
«Tous les secteurs recrutent des frontaliers, mais eux non plus ne peuvent pas être multipliés. Il faut aussi voir la situation de l’emploi dans la Grande Région. L’emploi va mieux. En Allemagne, c’est le plein emploi; en France et en Belgique, la situation s’améliore aussi. Et tout le monde cherche les mêmes profils. Autant de bouchers sont recherchés en Lorraine que chez nous. La seule solution, c’est d’en former plus et sans doute d’en attirer de plus loin. La Grande Région ne suffit plus à elle seule à combler tous les besoins aujourd’hui.
Ce qui renvoie à la difficulté de faire correspondre offres et demandes d’emploi…
«Si je disais précédemment me réjouir de voir le chômage revenir à un niveau d’avant-crise, il y a tout de même 15.000 personnes qui sont à la recherche d’un emploi, donc il faut absolument, par la formation, essayer de faire correspondre l’offre et la demande, parce que c’est ça, le gros problème. Chaque mois, nous avons à peu près 2.000 à 3.000 personnes qui s’inscrivent à l’Adem, et l’équivalent qui en sort. Mais ce ne sont pas toujours les mêmes personnes. Le nombre de postes vacants déclarés à l’Adem est très élevé. Au cours du mois de novembre 2021, les employeurs ont déclaré 3.527 postes vacants, ce qui correspond à une hausse de 38,9% par rapport à novembre 2020. La dynamique constatée ces derniers mois s’est donc poursuivie, et le nombre de postes disponibles s’établit à 10.452. La progression sur un an est de 59,2%.
Lire aussi
Le secteur du nettoyage recrute beaucoup. Or, c’est le métier le plus représenté parmi les demandeurs d’emploi. Comment l’expliquez-vous?
«Nous avons effectivement beaucoup de personnel de nettoyage qui est inscrit chez nous, et on a beaucoup d’offres d’emploi dans ce secteur, mais cela ne colle pas toujours au niveau des disponibilités horaires, ou en termes de mobilité. En effet, si ces personnes n’ont pas de voiture ou de permis de conduire et qu’elles doivent aller travailler dans une zone industrielle à quatre heures du matin, ce n’est pas possible.
L’Adem peut-elle agir dans ces cas-là?
«Oui, on va intervenir pour payer le permis de conduire, mais même avec le permis, on n’a pas toujours de voiture. Souvent, on dit qu’il y a plusieurs freins à l’emploi, et il faut enlever un frein après l’autre. Donc ce n’est pas aussi simple que de dire ‘on a une personne qui veut travailler, un poste qui correspond, donc cela va coller’.
Il y a aussi le problème particulier des langues au Luxembourg…
«Oui, elles sont extrêmement importantes, et ce ne sont pas les mêmes langues selon les secteurs. Pour rester dans le domaine du nettoyage, on pourrait penser que les langues ne sont pas importantes, mais ce n’est pas vrai. Nous avons beaucoup d’entreprises du secteur qui exigent un niveau de français au moins basique en raison des consignes de sécurité et de santé au travail. Si vous ne savez pas lire un panneau qui explique la dangerosité de certains produits, cela pose un vrai problème de sécurité. C’est pour cela que l’on offre depuis trois ans des cours de français intensifs à visée sectorielle, payés par le Fonds pour l’emploi, qui visent notamment le secteur du nettoyage.
Le français est la langue usuelle sur le marché du travail. Mais des spécificités persistent-elles selon les secteurs?
«Le luxembourgeois est très demandé dans le secteur public et la santé. L’allemand est beaucoup demandé dans l’artisanat et dans certaines entreprises industrielles. Dans d’autres industries, cela va être le français ou l’anglais. De manière générale, c’est le français qui est le plus utilisé sur le marché. L’anglais est très utilisé dans le secteur financier ou dans la consultance, mais à un certain niveau. Pour des postes moins qualifiés, le français suffit souvent. Or, un certain nombre de demandeurs d’emploi ne parlent aucune de ces langues. Nous nous réjouissons de notre actuelle coopération avec l’Institut national des langues. Des contacts sont également en cours avec le Service de la formation des adultes pour des cours d’alphabétisation.
Quelles conséquences la pandémie a-t-elle eues sur vos activités?
«Un pourcentage élevé de nos salariés était en télétravail, mais pas la totalité. Nous avions toujours des personnes sur place en cas d’urgence, et des services qui ne peuvent pas être prestés à distance. L’ordre des projets de digitalisation a été chamboulé, comme dans le cas du chômage partiel, pour lequel nous sommes passés de 15 à 16.000 dossiers en un mois. Et comme cette digitalisation s’est bien passée, elle a permis à d’autres aides financières d’être digitalisées beaucoup plus vite. La pandémie a aussi entraîné des changements dans les processus de travail, dont certains ont été maintenus. Auparavant, le demandeur d’emploi devait venir physiquement s’inscrire et revenir après pour l’indemnité de chômage. Maintenant, tout ce qui concerne l’indemnisation se fait à distance. Le télétravail reste dans la pratique, mais on a aussi beaucoup de conseillers en front-office. C’est important de garder l’accompagnement en présentiel.
Que retirez-vous, globalement, de cette expérience?
«Nous avons beaucoup appris de cette crise, la situation a soudé les équipes. Cela a aussi été dur pour ceux qui ne pouvaient pas télétravailler. Les salariés qui sont en contact direct avec les demandeurs d’emploi ont des rendez-vous en continu toute la journée. C’est un travail difficile, et pendant la pandémie, ils rencontraient beaucoup de gens vraiment désespérés, qui étaient sans emploi et, à certains moments, sans ressources. Et quand vous ne voyez aucune annonce d’emploi, il faut quand même gérer ce désarroi.»
Cet article a été rédigé pour parue le 26 janvier 2022.
Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
Votre entreprise est membre du Paperjam Club? Vous pouvez demander un abonnement à votre nom. Dites-le-nous via