Timothée Parrique n’avait pas l’intention de revenir sur le débat qui l’a opposé à Serge Allegrezza mi-octobre. Mais le directeur émérite du Statec a remis une pièce dans la machine dans l’Echo de la Fedil. (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne / Archives)

Timothée Parrique n’avait pas l’intention de revenir sur le débat qui l’a opposé à Serge Allegrezza mi-octobre. Mais le directeur émérite du Statec a remis une pièce dans la machine dans l’Echo de la Fedil. (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne / Archives)

Deux mois après leur débat, parfois tendu, à l’occasion des 20 ans du Conseil supérieur du développement durable, Timothée Parrique, auteur de «Ralentir ou périr. Économie de la décroissance» et le désormais ex-directeur du Statec, Serge Allegrezza, continuent de s’envoyer des «amabilités» par blog et billet interposés.

«Si je ne l’avais pas rencontré en chair et en os, je n’aurais jamais cru que Serge Allegrezza existait vraiment. Seul un bot aurait pu produire une critique aussi cheap, à la façon des IA bas de gamme qui propagent des complots sur les réseaux sociaux. Une critique pantouflarde sans aucune originalité; pas d’effort de recherche, aucun chiffres, et une salade de mots en ‘–isme’ en guise d’argumentaire. Difficile de tomber plus bas.» Timothée Parrique a dû passer un Noël pourri pour sortir la sulfateuse, le 26 décembre, sur son blog, dans un style qu’il affectionne, les «réponses à».

Après Bruno Le Maire (décembre 2023), Hannah Ritchie (data scientist écossaise, chercheuse principale à l'Université d'Oxford à l'Oxford Martin School et rédactrice en chef adjointe de Our World in Data), Gabriel Attal, Daniel Driscoll (professeur au département de sociologie de l’Université de Virginie), Hadrien Klent (auteur de «Paresse pour tous» et de «La Vie est à nous»), Nicolas Doze (éditorialiste en charge des sujets économiques sur BFMTV), Ivan Savin et Jeroen van den Bergh (économistes à l’Université autonome de Barcelone) – tous en 2024 – , le spécialiste de la décroissance dit n’avoir pas eu l’intention d’en remettre une couche... mais répondre à un billet d’humeur de M. Allegrezza dans l’Echo de la Fedil, paru le 12 décembre.

«Il y a un concept clé qui est au cœur du débat, en économie écologique, entre protagonistes de la décroissance et de la croissance verte, c’est celui du découplage entre émissions de gaz à effet de serre, d’une part, et la croissance de l’économie et de la population, d’autre part», explique l’ex-directeur du Statec dans un style politiquement correct. «Il y a bon nombre de pays, surtout en Europe et en Amérique du Nord qui réussissent ce découplage (absolu) entre croissance et émissions de gaz à effet de serre. C’est ce qu’on appelle la croissance verte, le Green Deal. Or, pour que la croissance verte réussisse, elle doit se déployer au niveau planétaire. Cette stratégie a un nom: la COP et un objectif, un objectif quantifié : l’Accord de Paris. Si tous les pays font l’effort du découplage absolu entre l’utilisation des ressources (dont l’énergie) et la production de valeur ajoutée, le découplage peut s’enclencher et le dérèglement climatique peut être endigué.»

«Ce découplage a été modélisé dans le dernier rapport du Club de Rome « Planet4 all » (Dixson-Decleve, Sandrine; Gaffney, Owen; Ghosh, Jayati; Randers, Jorgen; Rockstrom, Johan; Stoknes, Per Espen). Les auteurs ont appelé ce scénario ‘Giant leap’ car, contrairement à ce que racontent les décroissantistes, la croissance verte propose un plan très ambitieux pour le monde entier. Les auteurs préconisent une série de mesures drastiques pour en finir avec la pauvreté et les inégalités, rehausser le rôle de la femme, améliorer les systèmes alimentaires et rendre l’énergie plus propre. Vient s’ajouter un investissement conséquent dans l’électrification. Un livre à mettre dans toutes les mains, honni par les décroissantistes et collapsologues de tout poil», s’amuse Serge Allegrezza.

Le texte est fleuri de petites piques adressées à son interlocuteur, de celle qui affirme que «les études de la décroissance ont un contenu scientifique plutôt faible comme l’ont montré récemment deux chercheurs, Ivan Savin et Jeroen Van den Bergh, dans la revue ‘Ecological Economics’ datée de décembre 2024 (Reviewing studies of degrowth: Are claims matched by data, methods and policy analysis?]» ou encore «comme l’activité économique résulte de milliers d’idées et d’initiatives émanant d’une foultitude de personnes travaillant dans les entreprises et organisations, il faudrait décréter l’interdiction de faire des projets! En effet, leur réalisation risquerait d’aboutir à de nouveaux produits ou procédés créant de la valeur ajoutée, donc… de la croissance (PIB).»

Le directeur émérite du Statec dit ne pas retrouver dans ces théories de la décroissance l’examen des conséquences des fermetures d’usines ni même de l’investissement public et privé colossal à concéder pour la transition énergétique, ni des moyens de son financement.

«En temps normal, j’aurais laissé couler. Courts, superficiels, et truffés d’erreurs, ces analyses sont une perte de temps pour ceux qui s’intéressent vraiment au sujet. Mais il se trouve que ce dernier texte s’adresse directement à moi», lui répond le Français au lendemain de Noël, en multipliant la contradiction souvent sans ambage.

Sur le découplage, écrit-il, il n ‘est qu’une face d’un problème à plusieurs facettes, comme un Rubik’s cube. «J’avais aussi mis en garde contre l’usage d’indicateurs territoriaux qui ne prennent pas en compte les émissions importées. Pour un pays comme le Luxembourg, c’est une omission de taille car celles-ci représentent . Le titre du graphique, que l’on retrouve dans la dernière édition de  publié par le Statec, est sans équivoque: ‘Pas de décroissance de l’empreinte carbone’. Entre 2010 et 2020, l’empreinte luxembourgeoise stagne entre », relève Timothee Parrique.

«Difficile en effet de parler de décarbonation de l’économie luxembourgeoise alors que l’empreinte carbone ne baisse pas. C’est aussi impressionnant qu’un régime sans perte de poids», s’amuse-t-il à son tour, en soulignant que «l’empreinte luxembourgeoise fait 2,3 fois l’empreinte moyenne au sein de l’UE, 3,8 fois l’empreinte moyenne mondiale, et 12 fois la cible des 1,9 tCO2e par an/habitant des scénarios à 1,5 °C.»

«Le Statec révèle un découplage entre le volume d’eau extraite et la population: ‘malgré une population en hausse de presque de 28,6 %, le volume d’eau extraite par habitant montre une réduction de quelque 24,2 %’. Une fois encore, le message est trompeur. Une autre façon de lire le même graphique serait de dire que le Luxembourg n’a pas réussi à faire baisser sa consommation totale d’eau. Même tendance pour l’utilisation d’engrais chimiques, avec des niveaux qui stagnent depuis 2010, et pour le volume total de déchets générés qui a légèrement augmenté depuis 2004. Le rapport célèbre un découplage entre la consommation énergétique totale et l’augmentation de la population sans remarquer que le Luxembourg consomme plus d’énergie qu’il y a 20 ans», poursuit le docteur en économie du Centre d'études et de recherches sur le développement international (CERDI) de l'Université Clermont Auvergne et du Stockholm Resilience Centre de l'Université de Stockholm dont la thèse de doctorat, intitulée «The Political Economy of Degrowth» (2019), explore les implications économiques de la décroissance. Il est également l'auteur du livre «Ralentir ou périr. L'économie de la décroissance» (2022), une adaptation de sa thèse destinée au grand public, qui a rencontré un succès notable avec plus de 40.000 exemplaires vendus et des traductions en cours dans plusieurs langues.

8.000 caractères pour le billet de M. Allegrezza et 24.000 pour celui de M. Parrique qui soulignent dans un excès de testostérone que les deux économistes n’iront pas en vacances ensemble, ni même ne prendront l’avion ensemble. Ce pourrait d’ailleurs être un bon sujet de philosophie au baccalauréat l’an prochain: «Le manque de respect fait-il avancer le Schmilblick d’un débat déjà compliqué?»

Pour les lire dans leur intégralité sans que l’extraction des «meilleurs» morceaux ne nuisent à leur compréhension globale:

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