Il est très inhabituel que vous consentiez à vous dévoiler. Encore moins dans un média…
Tim Kesseler. – «Je suis diplomate de formation. Habitué par conséquent à préférer la discrétion. Au Palais grand-ducal, celle-ci est primordiale. Peut-être plus encore qu’ailleurs. Je ne désire pas la lumière. C’est dans mon caractère. On m’a déjà posé la question d’un engagement en politique, mais ce n’est pas ce que je recherche. Ce n’est pas du tout ma nature. J’aime écrire des discours, oui, mais j’aime beaucoup moins en tenir.
Dans quel contexte s’est déroulée votre rencontre avec le Grand-Duc héritier?
«Le poste de conseiller du n’existait pas, dans le passé. C’est venu dans la foulée de la création de la Maison du Grand-Duc. Il n’y avait pas non plus de tradition quant à la présence de diplomates à la Cour. En sa qualité de maréchale de la Cour, a ouvert cette voie, à l’automne 2020. Lorsque j’ai eu connaissance de la proposition, je me suis porté volontaire. Je ne savais pas exactement dans quoi je m’engageais. Depuis ma prise de fonction, en août 2021, je ne regrette rien.
Pourquoi un conseiller affecté au Prince Guillaume?
«Le Grand-Duc héritier a toujours été assisté d’un aide de camp. Un officier de l’armée en charge de la logistique et de l’organisation des visites. Là, il y a eu la volonté d’approfondir son travail. Et de créer une structure comparable à celle entourant le Grand-Duc, afin de l’épauler dans sa préparation à sa future tâche. C’est très gratifiant. Le Prince Guillaume, l’aide de camp et moi, nous composons un triangle fonctionnant très bien.
En quoi un diplomate incarnait-il le profil idéal?
«Les diplomates sont des généralistes, tenus d’approcher un grand nombre de sujets. Et de s’adapter aux réalités d’un monde changeant. Tenus, aussi, de se réinventer tous les quatre ans. Quatre ans, c’est généralement la durée d’un poste.
Concrètement, que désigne le terme de «conseiller» au Palais?
«Cela comporte plusieurs volets. L’écriture, tout d’abord. Je prépare les discours, des notes, des fiches d’actualité. Chaque semaine, je propose une sorte de cocktail de la politique nationale et internationale, dont nous discutons ensemble. Comme je l’ai dit, je suis généraliste. Je balaie un grand nombre de dossiers. C’est important pour «éclairer» le Grand-Duc héritier. Parfois, nous avons également besoin de briefings d’experts. Dans ce cas, ils viennent au Palais. Il y a aussi une partie de conseil, ainsi que de planification et d’organisation de l’agenda et des visites à l’étranger. Surtout dans le cadre des missions économiques. Et puis, il y a la Grande-Duchesse héritière, la . Même si je travaille plus étroitement avec le Prince, je l’assiste aussi quand je le peux dans ses activités officielles.
En fait, vous venez de décrire un métier qui n’existe pas…
«Dans la mesure où je suis le premier à l’occuper, c’est à moi de façonner mon poste. D’autres procéderaient sans doute d’une manière différente. Ce qui importe, c’est la plus-value que je peux apporter au Grand-Duc héritier. J’apprends sur le tas. Pas à pas. Et j’apprends plus que je n’avais jamais appris jusqu’ici. Politique, économie, social, monde associatif, culture… Le spectre est large.
La passation? Il s’agit du secret le mieux gardé du Palais.
Quelles sont les qualités exigées par la fonction?
«Vous en avez parlé: la discrétion. Ainsi que la loyauté. Deux qualités de base. Pour apporter une réelle plus-value, vient ensuite la culture générale. Pour moi, cela a toujours été important. Enfin, il faut avoir le sens du protocole. Ce n’est pas mon travail premier. Mais lorsqu’on œuvre pour la monarchie, le protocole n’est jamais loin.
Vos conseils de conseiller sont-ils écoutés?
«Oui, mais cela ne veut pas dire que je suis infaillible. Le Prince connaît beaucoup de choses, il est là depuis longtemps, nous avons à peu près le même âge… Mes avis ne sont donc pas meilleurs que les siens. Ce qui me plaît, c’est que l’on a un vrai échange.
D’égal à égal?
«Non, je n’irai pas jusque-là. En revanche, et c’est une autre des qualités requises par le poste, il faut faire montre d’honnêteté. Nous en avons parlé dès notre premier rendez-vous. À mes yeux, il est indispensable de pouvoir dire la vérité. La critique est quelque chose de positif quand elle permet d’avancer. Il y a tant de chefs d’État entourés de conseillers n’osant rien dire… Nous, on reste ouverts. Et francs. Tout en gardant le respect de la fonction, ainsi que la distance qu’elle implique.
À vos yeux, encore, qu’évoquait la monarchie avant de prendre possession d’un bureau au Palais?
«À présent que je travaille en son sein, je découvre ce qu’est la monarchie. Comment elle fonctionne. Et ce qu’elle apporte, surtout. Ce dernier point est ce qui m’a le plus surpris. Le nombre d’activités inscrites à l’agenda du couple grand-ducal comme du couple héritier est assez impressionnant. Leurs visites suscitent de l’émerveillement. Au Luxembourg comme à l’étranger. Question soft power, la monarchie est un atout. En matière de réceptions par les dirigeants au pouvoir ou d’attention médiatique, une mission économique à Dubaï, au Japon, en Chine ou en Corée n’est pas la même si elle s’articule avec ou sans le Grand-Duc ou le Grand-Duc héritier. C’est l’échelle supérieure. On ne s’en rend pas forcément compte de l’extérieur.
Au quotidien, votre rôle c’est du 24 h/24?
«Quand je rentre à la maison, je débranche. Mais inconsciemment, effectivement, c’est toujours là. Je prends des notes.
Vous êtes celui qui connaît le Grand-Duc héritier mieux que personne?
«Non, je ne dirais pas ça. Je le connais dans sa fonction officielle. La personne privée, je n’oserais pas prétendre que je la connais. Ce n’est pas le but, d’ailleurs.
Dans le cadre de ces fonctions, justement, quel portrait feriez-vous de lui? Quels traits de personnalité entrevoyez-vous?
«Un vrai sens du devoir envers son pays. Très humain. Un très grand cœur. Quand il va sur le terrain, le Prince est très proche des gens. Il n’hésite pas à les prendre dans ses bras, par exemple. Ça, je ne saurais pas le faire. Il a aussi une grande facilité d’éloquence. Beaucoup d’aisance derrière un pupitre pour prononcer un discours en trois langues. Ça non plus, je ne saurais pas faire.
Ces discours, généralement, ce sont ceux que vous avez proposés. Écrire pour autrui, c’est adopter son état d’esprit?
«Il faut surtout s’adapter au public. Quel message souhaite-t-on délivrer? Quand je prépare un discours, il n’est pas restitué tel quel. Là encore, il y a échange avec le Grand-Duc héritier. Il fait part de ses propres idées. De ses souhaits de changement. Au bout de deux ans et demi, j’ai appris à mieux le connaître. Je connais ses passions. Sa passion pour les scouts, par exemple. Il est engagé au niveau international. Parfois, je vais donc convoquer ces valeurs scoutes qui lui tiennent à cœur.
Dans la mesure où je suis le premier à occuper ce poste, c’est à moi de le façonner.
Pour qu’un ticket comme celui que vous formez soit efficace, il faut qu’il y ait complémentarité entre vous?
«Je crois dans les forces de la complémentarité, oui. Personne n’est parfait, tout le monde a des lacunes. Derrière le travail d’équipe, il y a toujours la volonté de faire mieux que ce que l’on accomplirait si l’on était seul.
Après 11 années passées dans la diplomatie, ce titre de conseiller signifie-t-il que vous avez tourné la page de vos premières amours?
«Pas du tout. Pour l’organisation des voyages à l’étranger, par exemple, je suis toujours en contact avec mes collègues des ministères. Avec mon passé, je reste branché au réseau diplomatique, je continue de recevoir les rapports des ambassades. Je m’appuie sur ces informations. Je ne me sens pas déconnecté de mon précédent métier. Et je sais que j’y retournerai, un jour.
Cette perspective est acquise?
«C’est plus ou moins acquis, oui. Sans savoir à quel horizon. Ma volonté est de retourner à l’étranger. Même si ma famille n’est pas forcément d’accord! [rires] Sans le soutien de mon épouse, les déménagements fréquents et les voyages de travail, ce ne serait pas possible.
Quelles y seront vos envies?
«Les mouvements diplomatiques, c’est compliqué. Il faut être disponible au bon moment. Mais le jour où j’y retournerai, je serai plus fort. J’ai l’impression de mieux connaître le Grand-Duché aujourd’hui qu’hier. Pour un diplomate, c’est important de revenir parfois dans son pays.
Par rapport à ce que vous venez de dire, quels sont les termes de l’accord entre le Prince Guillaume et vous? Vous l’accompagnerez jusqu’à la passation?
«Ça, ça impliquerait que je sache quand se déroulera la passation. Il s’agit du secret le mieux gardé du Palais. Et comme on le dirait en anglais, c’est définitivement above my pay grade [rires].
Beaucoup de rumeurs circulent…
«Je les connais. Mais sans vous mentir, je ne sais pas. Difficile de dire, dès lors, si je resterai jusqu’à la passation. Toutes les équations seront étudiées le moment venu.
Qu’est-ce qui vous attire tant dans la diplomatie?
«La variété des sujets traités. On change quasiment de métier tous les quatre ans, sans jamais quitter notre emploi. C’est assez singulier. Et puis, j’ai toujours eu un grand intérêt pour l’histoire et la géopolitique. À 8 ans déjà, je m’amusais à apprendre par cœur les noms des chefs d’État et des capitales qui faisaient l’actualité à l’époque. Au Palais, cette variété de sujets est passée à un stade encore supérieur. On avait désigné mon poste comme celui d’un conseiller diplomatique, mais il couvre en fait aussi le champ national, au sens large. J’aime beaucoup m’investir dans les dossiers économiques, dans le lien avec les entreprises, redécouvrir l’investissement social et associatif. La culture, j’ai des lacunes évidentes. Mais, voilà, on apprend. C’est aussi un nouveau défi.
Vous êtes auteur, également. Auteur, et publié. Le Grand-Duc héritier vous a-t-il dit ce qu’il a pensé de votre premier roman, Esprits de corps, paru en 2018?
«Je ne sais pas s’il sait que j’ai écrit un roman [rires]. En tout cas, je ne lui en ai rien dit. Je suis trop discret là-dessus!
Pourquoi la fiction?
«Dans ma vie privée, j’ai des passions un peu geeks, vous savez: je bricole des flippers, des bornes d’arcade, je connais à peu près chaque personnage dans l’univers de Star Wars, je m’intéresse à la science-fiction… J’ai une imagination débordante, parfois. Quant à l’écriture… En tant que diplomate, on écrit beaucoup. À Bruxelles, j’ai eu un gros débit de rapports, par exemple. On écrit, on écrit, on écrit. C’est de l’utilitaire. Mais on apprend l’écriture. Dans la diplomatie, surtout au cours de négociations qui peuvent s’avérer interminables, on apprend à ciseler le langage au millimètre. Les mots ont un sens, j’ai apprécié l’écriture de cette manière. Cela m’a amené à ce roman, lorsque j’étais à Bruxelles.
Votre expérience actuelle au Palais prêtera-t-elle un jour matière au romanesque?
«Non. On en revient à la discrétion: il n’est pas question de parler d’éléments confidentiels.»
Unusual?
Tim Kesseler, 45 ans, s’en excuserait presque lorsqu’il en déroule le film: avec des postes à Bruxelles, lors de la présidence luxembourgeoise du Conseil de l’UE, et à Paris, notamment auprès de l’OCDE, sa carrière diplomatique manque jusqu’ici de ce petit parfum exotique entourant de charme et de curiosité l’exercice de sa profession. La diplomatie, c’est annoncé, il y reviendra. En attendant, c’est au service du Grand-Duc héritier qu’œuvre avec dévouement ce chantre de la discrétion aux faux airs de Tony Estanguet – l’organisateur des prochains JO de Paris – qui, depuis sa nomination en 2021, n’était encore jamais apparu dans les médias.
Le dur métier d’écrire
Tim Kesseler n’écrit pas seulement pour le Prince Guillaume. Il écrit en son nom, aussi. Paru en 2018, son premier roman, Esprit de corps, mêle intrigues diplomatiques (!) et univers fantastique. Son manuscrit sous le bras, il avait fait le tour des grandes maisons du tout-Paris littéraire, avant de susciter l’intérêt d’un éditeur belge qui, depuis, a mis la clé sous la porte. Terminé «à 98%», le tome 2 attend donc preneur. Père de trois enfants, Tim Kesseler l’a écrit en exploitant le moindre moment disponible entre agenda professionnel bien fourni et devoirs familiaux. «Le plus important, c’est de maintenir une dynamique. Sans quoi, c’est compliqué. Les 10 minutes entre le dîner et le coucher des enfants, ce n’est pas grand-chose… mais je les prends. Une discipline est nécessaire», explique-t-il.
Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de Paperjam , paru le 24 avril 2024. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.
Votre entreprise est membre du Paperjam+Delano Business Club? Vous pouvez demander un abonnement à votre nom. Dites-le-nous via