«Je rappelle qu’entre 2008 et 2014, le territoire perdait des habitants», pointe le maire de Thionville, Pierre Cuny, en fonction depuis 2016. (Photo: Ville de Thionville/David Hourt)

«Je rappelle qu’entre 2008 et 2014, le territoire perdait des habitants», pointe le maire de Thionville, Pierre Cuny, en fonction depuis 2016. (Photo: Ville de Thionville/David Hourt)

Plus d’actifs sur le bassin, mais moins d’emplois occupés. Dépendance au Luxembourg oblige, Thionville devient «de plus en plus une zone résidentielle», prévient l’Insee. Soit, mais toute une économie repose sur cet état de fait, rétorque le maire et président d’agglomération, Pierre Cuny. 

L’ennui avec l’Insee, côté français, c’est que ses chiffres accusent souvent un, voire plusieurs trains de retard. Il en va ainsi de son enquête intitulée «Les dynamiques des marchés locaux du travail dans le Grand Est: équilibre entre mobilités, emploi et chômage», publiée la semaine dernière et qui fait reposer son raisonnement sur des collectes couvrant la période… 2008-2018.

Que raconte l’institut national de la statistique? Le rapport publié témoigne d’un repli du nombre d’actifs dans le Grand Est (2,6 millions de personnes en 2018), avec 9.000 unités de moins sur la période étudiée. Le recul s’établit ainsi à -0,8% pour Metz et à -1,4% pour Nancy. Notable exception: le bassin thionvillois. Sur dix ans, ce dernier enregistre une progression de 6% du nombre d’actifs.

Problème, semble indiquer l’Insee: dans le même temps, ce même secteur géographique a concédé la perte de quelque 7.500 emplois. «En raison de cette baisse (…), Thionville devient de plus en plus une zone résidentielle, ne comptant en 2018 que 55 emplois pour 100 actifs», relève l’étude, qui dresse un parallèle avec l’augmentation du nombre de salariés frontaliers: «La part des navetteurs parmi les actifs occupés résidant dans la zone s’accroît de 8,5 points en dix ans, pour atteindre 57% en 2018.»

«Le territoire perdait des habitants»

Pour le maire de Thionville et président de l’agglomération Portes de France-Thionville, Pierre Cuny (parti Horizons), deux grilles de lecture s’imposent. «Le premier élément [relatif à l’augmentation de la population d’actifs] est très positif, car il conforte toute l’action engagée depuis dix ans», souligne celui qui occupe l’Hôtel de Ville depuis 2016. «Je rappelle qu’entre 2008 à 2014 (soit le mandat du socialiste Bertrand Mertz, par ailleurs candidat putatif aux élections municipales à Metz organisées l’an prochain, NDLR), dans la même configuration géographique, et avec la même attractivité luxembourgeoise, le territoire perdait des habitants. Cette étude montre bien que l’on a réussi quelque chose de tout à fait nouveau sur Thionville: un solde migratoire positif et un solde naturel autrefois déficitaire qui maintenant est positif lui aussi.»

«Le deuxième élément», observe Pierre Cuny, «c’est de dire “Attention à ce que le territoire – et Thionville en particulier – ne devienne pas une ville-dortoir”. Depuis 2016, je répète que Thionville doit absolument marcher sur ses deux pieds, avec 50% des gens occupant un emploi au Luxembourg et 50% sur le territoire.»

Et l’élu de citer l’implantation du japonais Kubota (outils agricoles) et de l’allemand Knauf (matériaux de construction et de systèmes pour le bâtiment) ou le projet de création d’une usine de méthanol au nombre des exemples de réindustrialisation du territoire. «Ma vision et mon analyse», explique l’élu, «c’est qu’il faut que je continue très fortement à stabiliser l’emploi, mais aussi à agir sur cette économie résidentielle», «Thionville et son territoire faisant partie de l’aire d’attractivité de la métropole luxembourgeoise».

«Activité résidentielle» plutôt que ville-dortoir

«Il est assez naturel que Thionville développe une activité résidentielle, contraire d’ailleurs à la notion de “ville-dortoir”», défend Pierre Cuny, dans une nuance de lexique. «Avec l’université nous sommes passés de 900 à pratiquement 2.800 étudiants, l’offre sanitaire est haut de gamme, il en est de même avec l’offre culturelle, sportive et associative… C’est l’inverse d’une ville où les gens ne font que dormir et s’en vont consommer ailleurs.»

Et de mettre en avant l’attractivité commerciale de Thionville: «Une ville-dortoir, c’est une ville qui n’a plus de centre-ville. Or, nous sommes passés d’un taux de vacance de 24% à un taux de 8%. C’est colossal, et cela montre combien nous nous situons dans une dynamique de développement de cette économie résidentielle. Je sais qu’environ 80% de ce que gagnent les frontaliers est dépensé, s’agissant du commerce, sur notre territoire».

Thionville et Val de Fensch «complémentaires»

En matière d’attractivité, Pierre Cuny attend beaucoup de . Celle-ci deviendra réalité en début d’année prochaine. La démarche s’inscrit dans une logique d’«action pour l’accès à l’emploi, et notamment sur le plan industriel, puisque l’on va avoir des friches industrielles à requalifier». «Nous serons dans une situation plutôt favorable, puisque l’on sait que le Luxembourg est très, très frileux pour l’accueil de nouvelles industries», développe-t-il.

La nouvelle «agglo» XL, un projet défensif ou offensif vis-à-vis du Grand-Duché? «Ni l’un ni l’autre. Plutôt un projet cohérent, et de progrès. Quand on voit le “bordel” actuellement en France, c’est positif de se dire que l’on a la capacité d’allier deux collectivités d’obédiences politiques différentes (le président de l’agglo Val de Fensch, Michel Liebgott, est affilié au Parti socialiste, NDLR) et qui arrivent par leur complémentarité absolue à faire cette grande agglomération: l’une tournée plutôt sur l’économie résidentielle et tertiaire, l’autre sur l’industrie. On joue simplement cette carte de la complémentarité afin de tirer le meilleur de ce qui peut être tiré de la proximité avec notre grand voisin luxembourgeois, mais aussi du territoire qui dispose d’atouts extraordinaires.»

Avec le Luxembourg, du «gagnant-gagnant»

Quant à la question de savoir si les chiffres de l’Insee traduisent une dépendance excessive au Grand-Duché, Pierre Cuny balaie l’hypothèse: «J’ai toujours placé Thionville dans un espace européen, il n’y a pas d’antagonisme. Il y a une dépendance vis-à-vis de l’emploi, oui, mais de la même manière que le Luxembourg a une dépendance au niveau de la main-d’œuvre vis-à-vis du nord-mosellan. Il y a une forme de gagnant-gagnant qu’il faut encore affiner: je suis clair, . Un cofinancement qui s’intéresse maintenant aux dépenses engendrées par la résidentialisation des frontaliers sur le territoire.»