Lionel De Broux, chief investment officer, et Jade Marie Bajai, investment strategist à la Bil. (Photo: BIL)

Lionel De Broux, chief investment officer, et Jade Marie Bajai, investment strategist à la Bil. (Photo: BIL)

À 6,4%, le taux de chômage de la zone euro est à son plus bas niveau historique. La BCE est désormais plus libre pour poursuivre son programme de baisses des taux. Cela devrait soutenir l’économie de la zone et pourrait contribuer à stabiliser l’emploi dans les pays où le chômage avait tendance à augmenter.

En juillet, le taux de chômage de la zone euro est tombé à un plancher record de 6,4%, contre 6,5% en juin. Cette évolution a de quoi surprendre compte tenu de la croissance atone, de la faiblesse de la demande et de la politique monétaire restrictive visant à ralentir l’inflation. Si la démographie entraîne un resserrement structurel, le faible taux de chômage est en partie imputable à la rétention de travailleurs par les entreprises dans l’espoir d’une reprise prochaine de la demande.

Les responsables de la BCE ont à plusieurs reprises averti qu’un marché du travail «étonnamment solide» risquerait d’accélérer l’inflation salariale. Les divergences au sein des États membres de la zone euro compliquent toutefois la tâche de l’institution. Comme le montre le graphique ci-dessous, le taux de chômage a reculé dans certains pays au cours des deux dernières années, tandis qu’il était orienté à la hausse dans d’autres, notamment au Luxembourg.

Tendance de certains taux de chômage (données mensuelles, corrigées des variations saisonnières, normalisées à 100) Source: Eurostat, Bloomberg, BIL

Tendance de certains taux de chômage (données mensuelles, corrigées des variations saisonnières, normalisées à 100) Source: Eurostat, Bloomberg, BIL

 

À noter que le taux de chômage du Luxembourg, s’il a eu tendance à augmenter, reste inférieur à celui d’autres pays.

Taux de chômage dans certains pays en juillet 2024 (%, corrigé des variations saisonnières) Source: eurostat, BIL

Taux de chômage dans certains pays en juillet 2024 (%, corrigé des variations saisonnières) Source: eurostat, BIL

Brève analyse des données de la zone euro

Le chômage évolue dans la bonne direction dans les économies davantage orientées vers les services (en particulier celles où le secteur du tourisme est en plein essor). En Italie et en Espagne, par exemple, les taux de chômage sont tombés à des niveaux inédits depuis 2008. L’Allemagne, quant à elle, voit son taux de chômage augmenter en raison du malaise persistant dans l’industrie. Ce taux reste toutefois globalement bas et les syndicats allemands continuent de réclamer une hausse des salaires. Cette année, les revenus réels dans le pays devraient croître à un rythme parmi les plus élevés depuis 2000, les travailleurs tentant de regagner le pouvoir d’achat perdu à la suite de la pandémie. En France, le taux de chômage atteint actuellement 7,4%, contre 7,2% en août 2022. Les réformes du travail mises en place par Emmanuel Macron, qui visent à atteindre le plein emploi d’ici 2027, ont permis de faciliter la négociation directe des salaires entre les entreprises et leurs employés, sans qu’il soit nécessaire de recourir aux syndicats et aux conventions collectives, ce qui a eu un impact sur des secteurs entiers. Le gouvernement a également tenté de simplifier les procédures d’embauche et de licenciement.

La situation au Luxembourg

Le nombre de demandeurs d’emploi résidents inscrits à l’Adem s’élevait à 17.901 fin juillet, soit une augmentation de 11,1% par rapport à juillet 2023, qui a principalement touché les profils les plus qualifiés. Au cours de la même période, les offres d’emploi ont diminué de 20,8%, portant le total à 7.539. De nombreux postes ne sont pas pourvus en raison de l’inadéquation des compétences, notamment en ce qui concerne les compétences linguistiques ou techniques. D’un point de vue sectoriel, les «services professionnels, scientifiques et techniques» sont les plus affectés par les pénuries de main-d’œuvre. À cet égard, des efforts sont actuellement déployés pour attirer davantage d’experts de «professions hautement qualifiées considérées comme étant en pénurie» non ressortissants de l’UE.

En analysant les données, il est évident que la baisse des offres d’emploi et l’augmentation des demandeurs d’emploi sont, dans une large mesure, imputables au ralentissement actuel de l’immobilier et à la restructuration des services financiers. Le secteur immobilier luxembourgeois a été l’une des premières victimes de la hausse des taux d’intérêt. Pour illustrer l’ampleur du ralentissement, à la fin de l’année dernière, les transactions concernant des appartements ont atteint leur niveau trimestriel le plus bas depuis la création du cadastre en 2007. Cette évolution a eu des répercussions évidentes sur toute une série de professions, du courtage à la promotion immobilière, en passant par la construction et l’installation.

Le secteur financier représente 25% du PIB du pays. Ces dernières années, compte tenu du contexte macroéconomique plus difficile, plusieurs banques et institutions financières ont procédé à des restructurations ou recentré leurs activités. La digitalisation a aussi gagné tout le secteur. Une réduction de la main-d’œuvre au Luxembourg a, mécaniquement, un impact plus important sur le taux de chômage global du pays en raison de sa taille. Si demain 200 travailleurs se retrouvaient subitement au chômage au Grand-Duché, le nombre total de demandeurs d’emploi atteindrait 18.101, une hausse de 1,12%. En revanche, si une banque allemande licenciait le même nombre de personnes, l’impact sur le taux de chômage serait négligeable, le pays comptant 2,6 millions de chômeurs.

Perspectives pour le marché du travail luxembourgeois

Le dernier baromètre de l’économie de la Chambre de commerce, publié en juin 2024, a révélé que 65% des entreprises prévoient de maintenir leurs effectifs au cours des six prochains mois, et ce malgré le climat économique difficile. 17% des entreprises envisagent des licenciements, tandis que 18% tablent sur une augmentation du personnel, ce qui laisse présager un ralentissement de la création d’emplois. Les perspectives varient considérablement d’un secteur à l’autre. Les entreprises de l’industrie, de la construction et du commerce sont plus enclines à prévoir une baisse des effectifs qu’une hausse. Les secteurs des services financiers et non financiers sont quant à eux plus optimistes: 23% et 22% des entreprises anticipent une augmentation de leurs effectifs, alors qu’elles sont seulement 8% et 12% à prévoir une réduction.

Globalement, la Commission européenne s’attend à ce que le taux de chômage luxembourgeois se stabilise à 5,8% cette année, avant de diminuer légèrement pour atteindre 5,7% en 2025. La baisse des taux d’intérêt y contribuera certainement. Compte tenu du différentiel de taux d’intérêt, la disposition de la Fed à entamer des réductions de taux est de bon augure, la BCE étant désormais plus libre de poursuivre ses propres baisses de taux d’intérêt en vue de soutenir l’économie de la zone euro. Si la Fed avait maintenu le statu quo, un nouvel assouplissement de la BCE aurait probablement affaibli l’euro, ce qui aurait pu faire repartir l’inflation à la hausse dans le bloc monétaire.