«Depuis quand la loi française s’applique au Luxembourg?» L’ancien directeur de la Confédération luxembourgeoise du commerce (CLC), devenu CEO d’Hospilux, , s’est indigné dans L’Essentiel au sujet où elle rappelle l’obligation pour les employeurs luxembourgeois de déclarer les revenus de leurs salariés frontaliers dépassant leurs quotas fiscaux de télétravail. Explications.
Qui sont les employeurs concernés?
Seulement ceux dont un ou plusieurs salariés résidant en France ont dépassé leur quota fiscal de 29 jours de télétravail ().
Si le quota n’a pas été dépassé, l’entreprise luxembourgeoise n’a rien à déclarer aux autorités fiscales françaises, confirment Flora Castellani et Marie Vintrou, conseillères fiscalité à l’UEL.
Et dans le cas où ce sont des frontaliers belges ou allemands qui ont dépassé leurs seuils – respectivement 34 et 19 jours –, la «méthode de l’exemption» s’applique. Les démarches incombent aux salariés et les entreprises n’ont, là non plus, rien à déclarer de particulier.
Que doivent déclarer les employeurs concernés, et comment?
Ils doivent d’abord s’immatriculer en France, pour se voir attribuer «l’équivalent d’un numéro de Siret» et pouvoir se connecter sur le logiciel . Une formalité gratuite, selon les deux expertes.
Tout se passe ensuite via cette plateforme, sur laquelle l’employeur renseignera chaque année le revenu net de son salarié imposable dans son pays de résidence, calculé selon les règles françaises. Par exemple, pour un salarié ayant travaillé 40 jours à domicile, ce sera son revenu sur ces 40 jours – et non sur le nombre de jours au-delà de l’accord fiscal, puisque le quota fiscal n’est «pas un forfait exonéré, mais un seuil de tolérance», appuie Marie Vintrou.
Mais comment l’employeur luxembourgeois peut-il calculer le net français? «Les autorités fiscales françaises ont l’intention de mettre des informations à disposition des employeurs. Sinon, on peut demander à une fiduciaire française de recalculer les montants», conseille Flora Castellani.
À partir de quand?
La nouvelle règle s’applique pour l’année 2023 et concerne donc la déclaration qui se fera en «février 2024, en N+1».
Qu’est-ce qui change par rapport à l’ancien système?
Il s’agit d’une simplification, puisqu’on passe d’une déclaration mensuelle à annuelle. En outre, l’employeur avait jusqu’à présent la charge de l’acquittement de l’impôt, alors que ce ne sera plus le cas en 2023. Les autorités fiscales françaises le prélèveront directement sur le compte bancaire du salarié.
Si on ne parle que maintenant de cette obligation, c’est parce qu’elle n’était en place que depuis 2019, explique Flora Castellani. Or, il y a eu le Covid en 2020 et . «En pratique, la question ne s’est pas encore posée».
Avant 2019, l’imposition en France se faisait relate Marie Vintrou. Il n’y avait pas de prélèvement à la source, c’était donc aux employés de s’occuper des déclarations.
Combien d’entreprises ont déjà dû déclarer des dépassements de télétravail?
«C’est très marginal» d’après l’UEL. «2023 sera la vraie première année».
Cette déclaration est-elle vraiment obligatoire?
Oui, selon l’UEL, qui précise que des risques de pénalités existent pour l’entreprise et le salarié si les formalités n’étaient pas effectuées. Cependant, «nous n’avons pas trouvé d’information claire» sur ces éventuelles sanctions.
Mais est-ce que l’État français peut imposer de telles règles aux entreprises du Luxembourg? Interrogé, le ministère des Finances répond que «le sujet tient exclusivement de la législation française. La convention fiscale entre le Luxembourg et la France ne comporte pas de référence ni au système d’imposition français en soi, ni au projet de loi des Finances pour 2023 en France. Celle-ci règle plutôt les principes généraux en matière de non-double imposition entre les deux pays.» Et nous redirige vers les autorités françaises, sans vraiment avoir répondu à la question de base.
Contacté également, le ministère des Finances français n’avait pas répondu à Paperjam lors de la publication de l’article. Ni sur ce point, ni sur la fréquence à laquelle les employeurs luxembourgeois pouvaient être contrôlés. Et à l’UEL, «nous n’avons pas encore de recul» puisque la règle est récente.
Dans L’Essentiel, Nicolas Henckes évoque une différence de point de vue et refuse d’effectuer cette déclaration.
«En toute rigueur juridique et intellectuelle, je ne vois pas en quoi l’administration fiscale française pourrait imposer des règles aux entreprises luxembourgeoises», corrobore Denis Colin, gérant de Fiduciaire LPG. Malgré tout, il recommande aux entreprises de se plier aux règles françaises pour éviter une double-imposition de leurs salariés. «L’administration luxembourgeoise va dire à l’entreprise, ‘il y a une partie de salaire que vous prétendez taxable en France, donc je serai amené à ne pas le taxer au Luxembourg, mais pour cela il faut me montrer qu’il est taxable en France’.» La preuve étant «que vous avez fait les formalités prescrites (par la France, ndlr) pour le déclarer» dans le pays frontalier. «C’est ce que je crains».
Combien d’entreprises pourraient être concernées?
L’UEL ne dispose pas de données sur le nombre de salariés qui dépassent leurs quotas fiscaux. «Les entreprises sont encore en train de réfléchir à ce que sera leur politique de télétravail à l’avenir». Quelques-uns des plus importants employeurs du pays donnent déjà la possibilité à leurs salariés de dépasser leurs quotas fiscaux,. Tout en restant sous la limite de 25% de leur temps à domicile.
Tout cela concerne le quota fiscal, à condition de rester sous les 25% de son temps en télétravail. Et si on le dépasse?
Un cas de figure plus rare. . Surtout, cela représente une charge supplémentaire pour l’employeur, qui devra alors s’acquitter de cotisations plus importantes.
Si un tel dépassement devait tout de même arriver, «ce sont d’autres règles qui s’appliquent», puisque le logiciel Pasrau implique d’être «affilié à un régime de sécurité sociale étranger» à la France. «C’est tout un autre fonctionnement de calcul de la paie».
Le commentaire de Denis Colin a été ajouté après publication de l’article. À la suite de cela, Paperjam a donc contacté l’Administration des contributions directes pour savoir si une telle situation (risque de double imposition si les entreprises luxembourgeoises ne déclaraient rien à la France) pouvait se produire. La question est-ce que la déclaration à la France est, infine, obligatoire ou non, a également été posée. Voici sa réponse:
La Convention fiscale conclue avec la France prévoit d’éviter les doubles impositions et le Luxembourg applique les dispositions conventionnelles et du droit interne de sorte que seules les rémunérations pour lesquelles la Convention accorde un droit d’imposition au Luxembourg sont à soumettre par l’employeur à une imposition au Luxembourg. La France en faisant pareille, il est difficilement concevable qu’une double imposition ait lieu.
La Convention précitée pose le cadre fiscal des doubles impositions sans régler les obligations des entreprises luxembourgeoises en France, celles-ci relevant de la législation française.
En termes de preuves, nous tenons à rappeler que les employeurs sont tenus, dans le cadre d'un contrôle, de fournir à l'Administration des contributions directes, sur demande du reviseur, tous renseignements nécessaires pour l'appréciation ainsi que l'interprétation de façon exacte de la situation fiscale.