Petit à petit, le télétravail se répand au Grand-Duché. «En tant que grand centre financier, Luxembourg dispose d’une flexibilité légale limitée pour héberger ses données hors du pays et y donner accès depuis l’étranger, ce qui a longtemps constitué un frein au télétravail dans de nombreux secteurs ou activités», explique Me Renaud Le Squeren, Avocat à la Cour et Associé de DSM Avocats à la Cour. «Ces dernières années néanmoins, les dispositions légales ont évolué favorablement. Ainsi, en 2016, le législateur a introduit de manière claire dans le Code du travail la possibilité de proposer, dans les contrats, le télétravail pour les salariés, et en 2018, il a assoupli les règles du secret professionnel pour faciliter l’externalisation des données dans le monde bancaire.»
La situation particulière du marché de l’emploi au Luxembourg – avec près de 45% de travailleurs frontaliers – ainsi que les réglementations fiscales et sociales qui y sont liées limitent également le développement du télétravail à grande échelle.
Un travailleur sur cinq
Le home office gagne cependant en importance dans le pays. Selon le STATEC, le nombre de télétravailleurs a été multiplié par trois en moins de dix ans. Alors qu’il ne concernait que 7% des travailleurs en 2010, il touchait presque 20% d’entre eux en 2018.
Depuis quelques années, le Luxembourg travaille à déployer davantage le télétravail. Partie intégrante de l'étude stratégique portant sur la «Troisième révolution industrielle» réalisée par Jeremy Rifkin, le home working constitue en effet l’un des moyens pour pallier les problèmes de mobilité que rencontre le pays et pour répondre aux enjeux climatiques actuels.
Quand tout s’accélère
La crise sanitaire que nous connaissons actuellement a néanmoins remis tous ces chiffres et cette législation en cause. Elle a poussé les employeurs à organiser le télétravail, quand cela s’avère possible. En quelques jours seulement, le nombre de collaborateurs luxembourgeois, résidents ou frontaliers, qui travaillent depuis leur domicile a explosé. «Le cadre juridique existant s’est vu chamboulé, car il existe une donnée juridique supérieure à toutes les autres: garantir la santé et la sécurité de ses salariés», précise Me Le Squeren. «Compte tenu des risques liés au coronavirus, le cadre législatif a donc été suspendu ou modifié de manière temporaire.» Les employés luxembourgeois qui travaillent depuis l’étranger ne seront impactés ni fiscalement ni socialement durant toute cette période de crise. «Les discussions politiques ont véritablement été accélérées ces dernières semaines. Il est certain que l’avenir juridique du télétravail sera amené à évoluer au sortir de la crise», confie Me Le Squeren.
«Le télétravail est aujourd’hui poussé à son paroxysme. Sans cette crise, nous n’aurions jamais eu l’opportunité de faire ce genre d’expérience à une aussi grande échelle», poursuit Jean-Nicolas Montrieux, Partner & CEO d’INOWAI Residential. «Et on voit que cela fonctionne pour beaucoup de métiers, même pour les travailleurs qui sont amenés à se déplacer régulièrement, pour des rendez-vous commerciaux par exemple. Cette crise nous amène à utiliser des solutions et des outils que nous disposions déjà et que nous n’utilisions peut-être pas. Elle nous permet d’opérer cette transition et de faire passer de nouvelles habitudes dans notre quotidien.»
Des enjeux à ne pas négliger
Si le télétravail offre de nombreux avantages, ce mode de fonctionnement présente aussi des défis. «Il ne faut pas minimiser son volet psychologique», souligne Jean-Nicolas Montrieux. «C’est toute une organisation du travail et des relations humaines qu’il faut repenser lorsque l’on permet à ses collaborateurs de travailler depuis chez eux.» Parallèlement, le home working peut peser sur l’équilibre de vie. Il risque de remettre en cause des acquis simples du droit du travail, comme la durée du travail hebdomadaire par exemple.
Le télétravail pose aussi des questions en matière d’infrastructure IT et de sécurité informatique, de préservation des données de l’entreprise, des documents traités et de leur confidentialité. Il pousse notamment à repenser l’établissement de certains documents – contrats, factures, courriers –, à recourir à la signature et à l’archivage électroniques, y compris dans la blockchain. «On se rend compte que c’est tout à fait faisable dans notre quotidien, et que les outils pour garantir la sécurité juridique existent déjà», constate Me Le Squeren.
Nouveaux logements, nouveaux bureaux
Le développement du télétravail pourrait bien aussi venir bousculer le marché de l’immobilier et la façon dont les mètres carrés sont exploités. «Si le travail depuis la maison s’intensifie, nous aurons besoin de plus d’espace pour travailler chez nous, ou à proximité de chez nous. Les logements avec une fonction habitation et une fonction professionnelle pourraient donc se généraliser», analyse Jean-Nicolas Montrieux. «On pourrait également imaginer déployer des espaces de travail dans des résidences.» Les projets mixtes, qui mêlent bureau, logement et commerce, devraient eux aussi continuer à voir le jour.
Dans les bureaux également, les espaces de travail seront repensés. «Le télétravail entraînera son lot de nouveaux aménagements, avec des zones plus collaboratives, par exemple pour permettre aux travailleurs de continuer à œuvrer en équipe, de se retrouver après des jours passés en home working», indique Jean-Nicolas Montrieux. «Parvenir à maintenir le lien humain constituera certainement le plus grand des défis.»
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