Me Lorraine Chéry, Avocat à la Cour, Counsel, CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg (Photo: Castegnaro)

Me Lorraine Chéry, Avocat à la Cour, Counsel, CASTEGNARO-Ius Laboris Luxembourg (Photo: Castegnaro)

Tant attendue, la nouvelle convention relative au télétravail a été signée par les partenaires sociaux le 20 octobre 2020. À quels changements majeurs salariés et employeurs doivent-ils s’attendre?

La crise sanitaire liée au Covid-19 aura au moins présenté le mérite de faire évoluer le droit du travail et de faire prendre conscience de l’importance et des effets bénéfiques du télétravail. C’est en effet dans ce cadre sanitaire tout particulier, que les partenaires sociaux ont conclu, le 20 octobre dernier, une nouvelle (la « Convention »). C’est ici l’occasion de retracer en 10 points, les principaux changements apportés par la Convention :

1) Champ d’application plus restreint : si comme précédemment prévu par la Convention télétravail de 2006, tous les « salariés visés par le Code du travail » tombent dans le champ d’application de la Convention, à l’exclusion des personnes qui ont un « statut de droit public ou assimilé », sont à présent aussi expressément exclus : les salariés en détachement à l’étranger, les salariés du secteur du transport au sens large (sauf le personnel administratif), les représentants de commerce, les salariés en « co-working spaces », le « smart working » ainsi que toutes les prestations fournies à la clientèle en dehors de l’entreprise.

2) Nouvelle définition du télétravail: Le télétravail est toujours défini comme une forme d’organisation ou de réalisation du travail utilisant les technologies de l’information et de la communication hors des locaux de l’entreprise. Cependant, la nouvelle Convention a purement et simplement abandonné la référence au « domicile du salarié » en tant que lieu de télétravail et fait désormais la distinction entre télétravail régulier et télétravail occasionnel.

La Convention précise que le télétravail est occasionnel lorsqu’il est effectué pour faire face à des évènements imprévus (l’on imagine par exemple une mesure nationale de confinement tel que cela a été le cas durant l’état de crise lié à la pandémie du Covid-19) ou lorsque le télétravail représente moins de 10% en moyenne du temps de travail annuel (année de calendrier). Le télétravail est régulier dans tous les autres cas.

3) Précisions quant à l’accord entre l’employeur et le salarié : Le télétravail revêt toujours un caractère volontaire des parties, dans le sens où sa mise en place doit résulter d’un commun accord entre le salarié et l’employeur. L’exigence d’un accord écrit n’a toutefois été retenue par la Convention que dans le cadre du télétravail régulier, alors qu’une simple confirmation écrite par l’employeur est suffisante pour le télétravail occasionnel.

Cet assouplissement des règles se retrouve d’ailleurs dans les mentions obligatoires que doit contenir l’accord écrit en cas de télétravail régulier, qui ont été profondément allégées. Si les références au lieu du télétravail et les heures et jours de la semaine durant lesquels le salarié doit être joignable en télétravail sont toujours exigées, la Convention autorise les parties à seulement définir « les modalités pour les déterminer », lorsque cela n’est pas possible de le faire précisément au moment de la conclusion de l’accord.

En outre, la Convention a supprimé la nécessité de faire référence au sein de cet accord : aux fonctions du télétravailleur, à son travail, à ses tâches, au département auquel le salarié appartient, aux personnes de contact, aux outils de travail mis à disposition etc.

Doivent cependant figurer dans cet écrit : les modalités de compensation éventuelle en cas de perte d’un avantage en nature auquel le salarié aurait eu normalement droit en cas de travail dans l’entreprise, le forfait mensuel éventuellement mis en place pour la prise en charge par l’employeur des frais de connexion et de communication, les modalités de passage ou de retour vers la formule de travail classique.

La Convention précise d’ailleurs que ces éléments peuvent être mentionnés dans le cadre du « régime spécifique de télétravail » défini au sein de l’entreprise ou du secteur d’activité, par voie de convention collective ou d’accord subordonné, ou au niveau de l’entreprise dans le respect des compétences de la délégation du personnel. Cette nouveauté suppose donc l’absence de nécessité de conclure un avenant individuel au contrat de travail lorsqu’un régime spécifique de télétravail est appliqué au sein de l’entreprise.

4) Suppression de la période d’adaptation : la Convention ne prévoit désormais plus de période d’adaptation (i.e. droit de retour vers la formule de travail classique) lorsque le télétravail est introduit en cours d’exécution du contrat.

5) Rôle accru de la délégation du personnel ? : si elle doit toujours être informée sur le nombre de télétravailleurs et son évolution, il n’est pas si évident à la lecture de la Convention, de savoir si la délégation doit aussi être informée et consultée en cas de mise en place et de modification du télétravail en dehors du « régime spécifique » susmentionné. L’on peut toutefois affirmer que la délégation devra être informée et consultée dès lors qu’il s’agit de mettre en place ledit régime spécifique au sein de l’entreprise, et qu’elle devra même donner son accord à ce sujet dans les entreprises occupant au moins 150 salariés.

6) Renforcement du respect de la vie privée du salarié : une autre grande nouveauté introduite par la Convention, c’est l’abolition du droit d’accès de l’employeur au lieu de télétravail. Il en est de même pour le délégué à la sécurité et à la santé et les autorités compétentes, qui n’ont plus ce droit de facto. Le télétravailleur reste cependant toujours autorisé à demander une visite d’inspection : du service de santé au travail de l’entreprise, du délégué à la sécurité et à la santé, ou de l’Inspection du Travail et des Mines.

7) Précisions quant aux équipements de travail : la Convention précise qu’il appartient à l’employeur, en cas de télétravail régulier, de fournir l’équipement nécessaire au télétravail et de prendre en charge les coûts directement engendrés par le télétravail, cette prise en charge pouvant prendre la forme d’un forfait mensuel à convenir d’un commun accord par écrit (cf. point 3) ci-avant). La Convention ne fait plus référence à la possibilité pour le télétravailleur d’utiliser son propre équipement (la rédaction de la Convention laisse toutefois penser que le télétravailleur occasionnel pourrait en principe avoir recours à son propre matériel). L’employeur reste en revanche, comme précédemment, entièrement responsable des coûts liés à la perte ou la détérioration des équipements et données utilisés par le télétravail, hors cas de négligence grave ou actes volontaires de détérioration du salarié.

8) Moins de souplesse dans l’organisation du télétravail ? la Convention précise que « l’organisation du temps de travail suit les règles applicables au sein de l’entreprise », alors que dans sa précédente version, le télétravailleur avait le droit de gérer l’organisation de son temps de travail, dans le respect des limites applicables en matière de durée du travail. L’on peine alors à savoir si la nouvelle organisation du travail est plus ou moins souple. En tous les cas, la nouvelle Convention contient toujours l’obligation de prévoir les modalités relatives à la prestation des heures supplémentaires, mais impose également à l’employeur de veiller au caractère exceptionnel des heures supplémentaires. Il est à noter que le texte de la Convention démontre une évolution remarquable en reconnaissant un droit à la déconnexion qui doit s’appliquer de manière égalitaire entre un travailleur classique et un télétravailleur.

9) Renforcement du principe de l’égalité de traitement avec les salariés classiques : Finalement, il semblait être important pour les partenaires sociaux de garantir aux télétravailleurs une égalité de traitement avec les salariés classiques. Ainsi, l’employeur doit s’assurer du respect du principe d’égalité de traitement, tant au niveau des conditions de travail comme auparavant, mais également au niveau du temps de travail, des conditions de rémunération, des conditions et accès à la promotion, de l’accès collectif et individuel à la formation professionnelle continue, du respect de la vie privée et du traitement de données à caractère personnel à des fins de surveillance. Cette égalité de traitement est renforcée par l’introduction dans la Convention d’une mention suivant laquelle « les salariés ne doivent subir aucune discrimination en raison de leur statut de télétravailleur ».

10) Conclusion : si la Convention semble apporter un cadre juridique plus moderne au télétravail en introduisant la notion de télétravail occasionnel, beaucoup de questions d’ordre pratique restent encore en suspens. Notamment, l’application de la Convention, qui voit son intérêt en majorité pour les salariés frontaliers, se heurtera encore et toujours aux règles en matières fiscale et sociale. La Convention ne règle pas non plus le droit au télétravail, qui reste encore contesté au Luxembourg. Il est rappelé finalement que la Convention entrera en vigueur dès qu’elle aura été déclarée d’obligation générale, et ce pour une durée de 3 ans.

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i.e. L’OGB-L et le LCGB d’une part, et l’UEL d’autre part.

Convention du 20 octobre 2020 relative au régime juridique du télétravail.

Convention relative au régime juridique du télétravail du 21 février 2006 déclarée d’obligation générale par règlement grand-ducal du 13 octobre 2006 (Mémorial A- N°189 du 6 novembre 2006) puis reconduite et déclarée d’obligation générale à deux reprises par règlement grand-ducal du 1er mars 2012 (Mémorial A- N°44 du 14 mars 2012) et par règlement grand-ducal du 15 mars 2016 (Mémorial A- N°45 du 23 mars 2016).

i.e. Travail presté dans un bureau satellite en dehors de l’entreprise.

i.e. Intervention ponctuelle par smartphone ou ordinateur portable hors du lieu de travail ou du lieu de télétravail usuel.

La Convention précise d’ailleurs comme dans la précédente version que le refus par le salarié d’une proposition de télétravail faite par son employeur ne constitue pas en soi un motif de résiliation de son contrat de travail. Le refus ne peut pas non plus justifier le recours à l’article L. 121-7 du Code du travail (mécanisme pour imposer une modification d’une clause essentielle du contrat de travail en défaveur du salarié) pour imposer cette forme de travail.

Cf. article 4 de la Convention relative au régime juridique du télétravail du 15 décembre 2015 déclarée d’obligation générale par le Règlement grand-ducal du 15 mars 2015 (Mémorial A- N°45 du 23 mars 2016).

La Convention a remplacé le mécanisme d’indemnisation en espèces ou en nature que l’employeur devait mettre en place en cas de perte d’un avantage en nature du fait du télétravail, par un système de « compensation spécifique » à définir d’un commun accord.

Les modalités de retour vers la formule de télétravail doivent ainsi à présent être prévues dès le début du télétravail dans le cadre de cet accord écrit entre le salarié et l’employeur et non plus par le biais d’un avenant ultérieur comme cela était le cas sous l’empire de l’ancienne Convention télétravail.

Le droit à la déconnexion a été reconnu pour la première fois par le juges de la Cour d’appel dans un arrêt du 2 mai 2019, n°45230 du rôle () mais n’a pas encore fait l’objet d’une intégration dans le Code du travail.

i.e. changement de législation de sécurité sociale si le travail du salarié dans le pays de résidence dépasse 25% du temps de travail et imposition du revenu dans le pays de résidence en cas de dépassement des seuils spécifiques déterminés par les conventions fiscales bilatérales conclues avec le Luxembourg.

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