Quelle a été votre réaction suite au déclenchement de la guerre en Ukraine?
Jan Viebig. – «Ce que nous avons fait au niveau du groupe, 10 jours avant le début de la guerre, a été de réduire l’exposition aux actions. Bien sûr, nous ne savions pas que la guerre allait commencer, mais le risque était assez élevé au regard de la quantité massive de soldats à la frontière.
Et quelle analyse faites-vous de la situation en cours?
J.V. – «Nous sommes dans une situation où nous pensons que le résultat le plus probable est que cette guerre s’inscrive dans la durée. Du point de vue historique, nous observons ce que Vladimir Poutine a fait auparavant. En Tchétchénie, en Géorgie, en Syrie et en 2014, avec son premier mouvement en Ukraine. Bien sûr, il y a aussi le risque d’événements extrêmes tels que l’utilisation d’armes chimiques ou d’une attaque sur une infrastructure majeure, mais nous espérons que la probabilité de tels événements soit assez faible.
Nous sommes dans une situation où nous pensons que le résultat le plus probable est que cette guerre s’inscrive dans la durée.
Comment jugez-vous la qualité du marché en ce moment?
J.V. – «Bien que nous ne puissions pas répondre clairement à la probabilité de l’issue de la guerre, nous pouvons toutefois analyser son impact économique. Ce que nous voyons en ce moment, tout d’abord, n’est pas un choc de la demande, a contrario de la période pandémique. Le résultat d’un choc de la demande est que la demande va vers la gauche, le PIB baisse et les prix baissent. Ce que nous voyons actuellement est le contraire. Nous avons un choc de l’offre, ce qui signifie que le PIB diminue, mais que les prix augmentent.
Quelles sont les conséquences d’un tel choc?
J.V. – «Les conséquences économiques d’un choc de l’offre entraînent six effets. Premièrement, la hausse des prix des matières premières provoque une augmentation brutale de l’inflation. La hausse de l’inflation agit, deuxièmement, comme un ‘impôt sur le pétrole’. C’est à dire, celui qui dépense plus à la pompe a moins d’argent disponible pour l’achat d’autres biens et services. Troisièmement, l’inflation élevée entraîne tôt ou tard une hausse des taux d’intérêt. Aux États-Unis, les taux d’intérêt seront probablement relevés cinq à sept fois cette année, et en Europe, nous verrons probablement la première hausse des taux d’intérêt en 2022.
Il est clair qu’une première hausse des taux d’intérêt serait possible cette année. La BCE a déjà mis fin au programme d’achat d’urgence en cas de pandémie (PEPP). En outre, elle a récemment annoncé qu’elle allait réduire le programme régulier d’achat d’actifs (APP). La BCE a toujours déclaré que la fin de l’APP était une condition préalable à toute augmentation des taux d’intérêt. Quatrièmement, la hausse des taux d’intérêt entraîne une baisse des investissements et un ralentissement de la croissance. Cinquièmement, un choc de l’offre augmente l’incertitude dans l’économie, par exemple en raison de la hausse des coûts des intrants, des problèmes de la chaîne d’approvisionnement ou de l’augmentation des pertes de crédit.
Une autre conséquence possible est, sixièmement, une spirale prix-salaires, si les syndicats parviennent à compenser la hausse de l’inflation par une augmentation des salaires. Pour résumer, il est difficile de prédire l’issue de la guerre, mais il est assez clair qu’un tel choc se répercutera longtemps sur l’économie.
Comment transposez-vous cette analyse dans la gestion de votre portefeuille?
J.V. – «Fondamentalement, il y a deux points qui sont vraiment importants. Premièrement, si les taux d’intérêt augmentent, et cela n’a rien à voir avec la crise ukrainienne, c’est simplement parce que l’inflation est très élevée. Dans un tel environnement, vous devez vous assurer que la duration de votre portefeuille est courte. C’est certainement le point le plus important, car si vous regardez les indices en ce moment, l’indice Bloomberg Global Aggregate Total Return est en baisse de 6,36% depuis le début de l’année.
En outre, nous évitons les valeurs de croissance très chèrement évaluées, que les analystes qualifient souvent de ‘valeurs hyper-croissance’, dans un contexte de forte hausse des taux d’intérêt. En effet, la valeur juste ou intrinsèque des valeurs de croissance très chères diminue lorsque leurs flux de trésorerie très éloignés dans le temps doivent être actualisés avec un facteur d’escompte plus élevé en raison de la hausse des taux d’intérêt. Notre deuxième conseil est donc de renforcer la pondération des ‘actions value’ par rapport aux ‘valeurs de croissance’.
Nous n’avons pas mis en place de dispositif de crise lié à la situation en Ukraine, dans la mesure où nous avons déjà dû adapter notre communication dans le cadre de la crise liée au Covid-19.
Qu’est-ce que cela implique dans la relation avec votre clientèle?
Philippe Oddo. – «Communication, communication, communication… Nous devons communiquer. Jan Viebig parle à nos clients allemands. Nos collègues français parlent aux clients français. Nous organisons des visioconférences régulièrement, et nos forces de vente vont à la rencontre des clients aussi souvent que possible. Nous maintenons également le contact avec nos clients grâce aux outils digitaux. Il est clair que nos clients sont avides d’informations sur la façon dont leur argent est géré et que la meilleure façon d’entretenir le lien de confiance est de communiquer avec eux le plus possible.
Avez-vous migré vers une communication de crise?
P.O. – «Nous n’avons pas mis en place de dispositif de crise lié à la situation en Ukraine, dans la mesure où nous avons déjà dû adapter notre communication dans le cadre de la crise liée au Covid-19. Au plus fort de la pandémie, nous avons maintenu le lien avec les clients via des réunions en visioconférences individuelles ou collectives. Toutes nos équipes ont remarquablement bien maintenu le lien avec nos clients durant la crise, et elles continuent bien sûr à le faire aujourd’hui, notamment avec des rencontres physiques rendues possibles par la réduction des restrictions sanitaires à l’heure où nous nous parlons.
J.V. – «En ce moment, nous organisons aussi toutes les deux semaines ce que nous appelons le ‘CIO call’ (CIO pour chief investment officer), en donnant la parole aux experts et responsables de la stratégie d’investissement de notre maison, pour tenir les clients informés. Les clients répondent largement présents, et c’est un rendez-vous qu’ils apprécient.
En ce moment, nous organisons aussi toutes les deux semaines ce que nous appelons le ‘CIO call’ en donnant la parole aux experts et responsables de la stratégie d’investissement de notre maison, pour tenir les clients informés.
Sur le long terme, la guerre en Ukraine et ses conséquences vont-elles impacter la façon dont Oddo BHF travaille?
P.O. – «Sur le plan géographique, nous ne sommes présents ni en Russie ni en Ukraine. Ça n’impacte donc pas notre organisation. Nous n’avons quasiment pas d’exposition sur ces pays-là, tant en termes d’actifs que de clientèle. La principale conséquence à ce stade est de renforcer notre conviction qu’il faut continuer à investir dans la cybersécurité. Il s’agit toutefois d’une tendance de long terme, et nous allons accélérer la dynamique d’investissement dans ce secteur. À plus large échelle, cette crise renforce notre conviction qu’il faut investir dans les grandes tendances mondiales liées aux innovations technologiques, à l’intelligence artificielle, la santé, ou encore la révolution agroalimentaire, pour ne citer qu’elles, et nous avons développé pour ce faire des fonds thématiques liés à ces grandes tendances.
La principale conséquence à ce stade est de renforcer notre conviction qu’il faut continuer à investir dans la cybersécurité.
Nous avons observé ces dernières années une forte progression de l’intérêt pour les investissements ESG. La sécurité énergétique de l’Europe à présent mise en danger, n’y a-t-il pas un risque que tous les efforts dans ce domaine se retrouvent menacés à leur tour?
J.V. – «Je pense qu’en ce moment, il y a bien sûr d’autres problèmes sur lesquels les gens se concentrent. Mais l’ESG est un sujet-clé pour les 10, 20 ou 30 prochaines années. Je pense d’ailleurs que c’est l’un des sujets les plus importants de la finance. C’était même déjà un sujet important bien avant que l’ESG ne devienne populaire. Par exemple, le G a toujours été une pièce maîtresse pour tout investisseur fondamental. L’accent est aujourd’hui mis sur cette crise qui a des impacts sur l’approvisionnement énergétique et les dépenses de défense. Je pense que la politique est en train de changer ce moment, sur ces deux dimensions.
La défense devient beaucoup plus importante. Le gouvernement allemand a par exemple annoncé qu’il allait investir 100 milliards d’euros dans la défense. L’autre partie du problème est que l’Europe est devenue beaucoup trop dépendante de l’énergie de la Russie. Ce sera, à mon avis, un sujet essentiel, surtout en Allemagne, mais aussi en Italie et dans bien d’autres pays. Ces sujets vont devenir de plus en plus importants. Mais est-ce que cela signifie que l’ESG est moins important qu’avant? Non, je pense que c’est le sujet le plus important à long terme dans la finance pour les années à venir.
P.O. – «Nous avons une proportion maintenant très importante de notre gamme de gestion qui est passée au crible des critères ESG. Nous investissons dans l’ESG depuis 2007 via nos activités de broker equity. Nous avons une équipe ESG très importante, aussi bien au niveau du broker, que dans l’asset management et la banque privée. Cela permet d’offrir à nos clients une gamme complète de produits ESG.»
J.V. – «À Francfort, chaque fonds que nous gérons est ESG compliant.»
La seconde partie de cet entretien sera à lire dans la newsletter Finance du mardi 12 avril.