Pour Ruy Pinto, les nouveaux satellites ne sont que des outils pour que les utilisateurs finaux puissent raconter leurs histoires où ils veulent et quel que soit l’endroit où ils sont. (Photo: SES)

Pour Ruy Pinto, les nouveaux satellites ne sont que des outils pour que les utilisateurs finaux puissent raconter leurs histoires où ils veulent et quel que soit l’endroit où ils sont. (Photo: SES)

Cinq ans après son arrivée et trois ans après sa prise de pouvoir, le discret directeur technologique de SES, Ruy Pinto, a livré son analyse de l’évolution de la pépite luxembourgeoise, à El Segundo, dans les installations de Boeing avant un lancement ce vendredi soir 15 décembre à 22h21.

[Mise à jour: le 8 décembre, donc après cette interview, SES a annoncé rebaptiser SES Government Solutions en SES Space & Defense]

Au cours de la présentation commune dans les locaux de Boeing, on vous a présenté comme un jeune homme et vous avez dit vous-même que vous n'étiez pas un jeune homme. Est-ce que O3B mPower est le projet de votre vie professionnelle? Jusqu'à quel point est-il important pour vous?

Ruy Pinto. – «Il est très important. Peu importe votre âge, je crois que quel que soit ce que vous faites, vous devez faire une différence. mPower va faire une différence pour SES et pour beaucoup de nos clients, pour le marché. Et même si je plaisante que je ne suis plus un jeune homme, je me considère comme quelqu'un d'énergique. Non, ce n'est pas le projet de ma vie parce que je pense à la prochaine génération d'mPower. Vous devez toujours regarder devant, c'est ce que vous motive, ce qui vous rend vivant.

Comment faire comprendre que cette génération de satellites est particulièrement importante pour SES?

«Je dirais que ce n'est pas le satellite, le sujet. Quand nous bougeons avec nos appareils, notre iPad, notre smartphone, nous voulons avoir la même expérience. La personne qui part en croisière ou qui prend l'avion pour Dubaï ou le marin qui est dans un bateau et qui veut rester en contact avec sa famille veulent avoir la même expérience, rester en contact, raconter leurs histoires. A SES, nous disons que nous permettons aux gens de raconter leurs histoires. Nous ne devrions pas nous concentrer sur le satellite, la moyenne orbite et tout ça. Mais expliquer qu'une société luxembourgeoise a développé une technologie qui leur permet... de ne pas penser à la technologie. Les gens devraient s'y arrêter une minute parce que cette technologie leur permet de ne pas penser à la technologie. Ce que je dirai à mon voisin qui ne connaît pas SES, c'est qu'il peut aller en croisière ou où il veut et qu'il pourra utiliser son appareil de la même manière qu'il l'utilise chez lui! Qu'il y a des gens qui règlent cette question pour lui. Je suis une de ces personnes, nous sommes ces gens-là. 

La prochaine génération sera quatre fois plus puissante.
Ruy Pinto

Ruy PintoDirecteur technologiqueSES

La prochaine génération s’appellera «Enhanced O3b mPower». Concrètement, ça veut dire quoi?

«Nous sommes en train de chercher un vrai nom, plus simple, parce que ça, c'est une appellation d'ingénieurs! La prochaine génération intègrera cette possibilité de reconfigurer complètement le satellite en temps réel mais en élargissant la couverture, à 50 degrés de satellites, vraiment globale, jusqu'à à l'arctique et l'antarctique. Elle sera quatre fois plus puissante, au lieu de 10 Gbps, vous aurez 40 Gbps! C'est un écosystème, alors nous travaillerons encore à simplifier l'architecture au sol. Au lieu de deux antennes, peut-être pourrons-nous nous contenter d'une seule antenne. Ou deux au lieu de trois.

Oui, parce qu'on ne le dit pas beaucoup, mais O3B mPower, c'est aussi une infrastructure au sol beaucoup mieux organisée!

«Oui! Si vous regardez par rapport à la classique installation au sol, c'était cher, complexe à installer. Vous aviez besoin d'envoyer un ingénieur dans les îles Pacifiques, par exemple, pour deux ou trois jours. Vous avez besoin d'une sauvegarde en cas de souci. Tout ça a été éliminé! Le coût des terminaux est trois à quatre fois moins cher. Nous n'avons plus besoin d'un ingénieur spécialisé de chez SES pour installer cela. Vous avez besoin d'un technicien mais plus un expert. Quand c'est installé chez un client, nous pouvons tout finaliser et configurer à distance. Pareil pour les plateformes. Dans le passé, nous avons intégré beaucoup trop de plateformes, plus de dix. Nous voulons réduire cela à trois. Nous voulons donner du choix mais sans la complexité. Nous voulons aussi mixer le point d'accès final et le dispositif d'accès. Parfois même en le couplant avec un datacenter. 

Ces cinq dernières années, on a presque uniquement parlé d’O3b mPower en tant que stratégie d’entreprise. Mi-juin, vous aurez la plus grande partie de cette constellation de satellites en orbite et prête pour le service. Quelle sera la suite?

«D'abord, il y a la prochaine génération. Nous regardons avec attention la distribution de clés quantiques, dans le cadre du projet que nous menons avec l'Agence spatiale européenne.


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Ce sera une business line probablement marginale, non?

«Nous prenons un pari. Imaginez que chaque institution financière et chaque opérateur de cloud ou fournisseur de données ait besoin de ces clés, vous n'avez pas besoin de beaucoup de satellites pour la distribution, quelque chose comme 12. Mais les terminaux optiques, le service et la cybersécurité pourrait devenir un business intéressant d'ici cinq à dix ans.

Et quid de la 6G? Ou, au Luxembourg, vous avez cette société OQ Technology qui travaille à une constellation spécifique pour l'internet des objets?

«Une chose que nous avons regardé est de savoir s'il existe un futur pour la connectivité directe du client. Quelle technologie nous permettrait de fournir de la 5G ou de la 6G directement au consommateur. Nous regardons aussi comment embarquer la connectivité mobile. Il y a le 3rd Generation Partnership Project (3GPP) qui finalise le Release 17, le premier qui au lieu de parler de l'interopérabilité avec les satellites évoque le satellite comme une partie de l'architecture. Nous voyons aussi un futur dans la liaison entre les différentes couches de satellites, à basse, moyenne et haute orbites. C'est excitant! Nous voulons être le meilleur opérateur de satellites multiorbite spécialisé dans l'orbite moyenne. C'est là que nous avons un avantage compétitif.

Ça ne vous embête pas que Boeing soit déjà prêt à commercialiser la technologie développée avec vous?

«C'est philosophique. Il y a des entreprises qui Viasat qui protègent jalousement leurs technologies et qui essaient de construire un écosystème très fermé. Et il y en a d'autres, comme nous, qui défendent un écosystème ouvert et qui s'appuient sur l'adoption rapide de nouvelles technologies. Aurions-nous été prêts à payer plus à Boeing pour avoir l'exclusivité de la technologie pour ralentir la compétition? Ou plutôt à l'avoir plus vite et pour moins cher? A être les premiers à la déployer sur le marché? Il y a des pour et des contre. Nous croyons à la vitesse. A l'image du gouvernement américain qui l'a achetée, nous désignons et préparons la prochaine génération. C'est comme ça que nous pensons. Nous devons juste être plus rapides. Plus rapides mais pas complaisants. Nous devons vraiment y aller. 

Peut-être un mot des finances, qui vont s'améliorer grâce à votre travail pour libérer le spectre dont les Américains avaient besoin pour déployer la 5G.

«Une grosse réussite.

Mais les slides que vous avez présentés ne parlaient pas de vos ambitions de SES. Plutôt d'une étude de marché. Où sont vos ambitions? Toujours autour des deux milliards d'euros par an, pour l'instant deux tiers de la partie vidéo et un tiers de la partie data?

«Notre ambition est d'être premiers sur les cibles que nous avons dessinées, pour des consommateurs qui ont besoin de davantage de vitesse que les opérateurs à basse orbite peuvent promettre, avec la garantie de la qualité de services et la flexibilité de bouger. Nous devrions accepter de continuer à investir pour satisfaire cette ambition. Aujourd'hui, c'est 60% pour la vidéo, qui devient moins important, et 40% pour la data. Nous y pensons de plus en plus séparément. Les clients gouvernementaux deviennent de plus en plus importants. Nous avons acquis Leonardo DRS pour 450 millions de dollars fin mars. 25% de nos revenus viennent de 'gouvernement', 'mobilité' vient en second et est en pleine croissance et vous avez la data fixe plus traditionnelle.

Mais pas au point de séparer la société en deux?

«Non. Mais en regardant la profitabilité de chaque domaine séparément. Il y a des métriques différentes pour les activités. Avec les services gouvernementaux, vous avez des contrats plus longs, plus sur-mesure, etc. Nous voulons prendre des parts de marché. Même si c'est difficile de dire comment la compétition va évoluer.»

Une version courte de cette interview a été rédigée pour l’édition magazine de  parue le 14 décembre 2022. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

 

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