Michel-Edouard Ruben:  «Il y a ‘crise du logement’ quand les prix immobiliers augmentent rapidement; il y a ‘crise immobilière’ quand des prix immobiliers effectivement surévalués chutent et que des accédants à la propriété, qui ont acheté trop tard et trop cher, se transforment en accidents de la propriété.»  (Photo: Simon Verjus/Maison Moderne/Archives)  

Michel-Edouard Ruben:  «Il y a ‘crise du logement’ quand les prix immobiliers augmentent rapidement; il y a ‘crise immobilière’ quand des prix immobiliers effectivement surévalués chutent et que des accédants à la propriété, qui ont acheté trop tard et trop cher, se transforment en accidents de la propriété.»  (Photo: Simon Verjus/Maison Moderne/Archives)  

Alors que la Semaine du logement vient de se terminer, Michel-Edouard Ruben, économiste à la Fondation Idea, illustre pour Paperjam les défis, conflits d’objectifs et paradoxes avec lesquels la politique du logement, rentrée dans une nouvelle ère, doit composer.

Cela en surprendra peut-être certains, mais la proportion de propriétaires serait plus élevée au Luxembourg en 2021 (71%) qu’en 2011 (68%). Les résultats du recensement de la population permettront d’affirmer cela de manière définitive (le Covid a causé une rupture de série dans la collecte des données). Ce qui est toutefois certain, c’est que le taux de propriétaires fluctue depuis deux décennies autour des 70%. Très concrètement, cela veut dire que la crise de l’accession à la propriété a été jusque-là davantage une crainte qu’un fait, grâce notamment à la faiblesse des taux d’intérêt durant la dernière décennie et à la générosité des aides aux primo-accédants. Bref, le coup de canif dans le contrat social luxembourgeois que serait une diminution marquée des flux de primo-accédants n’en est peut-être qu’à ses débuts; après avoir été une démocratie de propriétaires, le Grand-Duché risque ainsi de (re)devenir un territoire locatif à l’instar des grandes métropoles ce qui, s’il advenait, ne serait pas neutre en termes d’inégalités et d’attachement au territoire national!   

Le Luxembourg est l’un des rares pays de l’OCDE où le stock de logements rapporté à la population a diminué entre 2011 et 2019. C’est là le corollaire du fait que le pays construit chaque année moins de logements qu’il ne compte de ménages supplémentaires. Dit autrement, la vacance résidentielle est probablement moins prononcée qu’avant en dépit des évidences anecdotiques du type «il y a un logement vacant dans la rue en face de chez moi depuis des années». Le Luxembourg serait en réalité un pays où le stock de logements tend à être sous-dimensionné compte tenu du retard de construction accumulé et de sa croissance démographique prévisible. Cela implique que le Luxembourg se rapprocherait de plus en plus du moment où il devra(it) réellement construire beaucoup plus que 4.000 logements par an (ce qui est plus facile à souhaiter qu’à réaliser). 

Les droits d’enregistrement ressortent comme étant relativement élevés au Grand-Duché en comparaison européenne. Cela est probablement le reflet du choix historique d’avoir des impôts fonciers qui n’ont au Grand-Duché qu’un «caractère symbolique» (0,1% du PIB). Toujours est-il que des droits d’enregistrement aussi importants (7%) dans un pays où le mètre carré coûte aussi cher constituent une barrière à l’entrée sur le marché immobilier ainsi qu’un frein à la mobilité et aux échanges (les droits d’enregistrement sur les transactions immobilières peuvent être rapprochés, dans le principe, de la taxe sur les transactions financières [taxe Tobin] dont l’objectif affiché est de jeter du sable dans le rouage des échanges financiers). Opérer un basculement fiscal où la détention immobilière serait davantage taxée et les transactions beaucoup moins est dès lors – peut-être – une alternative à envisager. Pour information (ce qui ne veut pas dire que c’est un exemple à suivre), les Pays-Bas depuis 2021.

Sur les 10 derniers trimestres, le nombre de transactions dans le neuf a – en glissement annuel – reculé neuf fois. Il y a ainsi eu 6.417 transactions entre T1 2020 et T2 2022 contre 7.686 transactions entre T3 2017 et T4 2019. D’après l’Observatoire de l’habitat (déclaration faite en mars 2022): «La réglementation plus stricte en matière d’octroi de prêts immobiliers pour les investisseurs qui souhaitent acquérir un logement pour la mise en location ou encore la réduction des avantages fiscaux (diminution du taux de l’amortissement accéléré de 6% pendant six ans à 5% pendant cinq ans)» expliqueraient le ralentissement observé en 2021; depuis, l’envolée des coûts de construction et la remontée progressive des taux d’intérêt sont venues se joindre au cortège des éléments entravant l’activité; le décrié article 29 bis introduit par le pacte logement 2.0 est de plus en plus pointé du doigt également, me semble-t-il.

Il est par ailleurs notable (et un brin inquiétant) que la proportion d’achats d’appartements en construction émanant d’investisseurs locatifs soit passée de 41% en moyenne entre 2015 et 2020 à 37% en 2021 et 35% au premier semestre 2022. Compte tenu du dynamisme de la population, de la (sous) dimension du stock de logements et du fait que seulement 18% des locataires pouvaient prétendre à l’achat du logement qu’ils louaient en 2018, la situation de sous-production de logements neufs et de sous-investissement locatif comporte en son sein des germes d’envolée des loyers, d’autant plus qu’après avoir été bloqués durant deux ans, un certain rattrapage des loyers dans le contexte inflationniste est fortement probable. Dans la mesure qu’à chaque locataire «doit» correspondre un bailleur, de moindres investissements locatifs aujourd’hui peuvent déboucher sur des difficultés pour les locataires demain.

En 2019, plus d’un tiers des ménages locataires (34,5%) allouait plus de 40% de leur revenu au paiement de leur loyer (plus charges) en 2019, alors qu’ils n’étaient que 25% en 2016. Cela pose (entre autres…) la question de comment arriver à une montée en puissance de la distribution de la subvention de loyer? (Seulement 20% des ménages éligibles la perçoivent). Intégrer l’aide aux locataires dans le système fiscal (rendre une fraction des loyers déductibles des impôts) est – peut-être – une alternative à considérer.

Que conclure de cela? Il y a «crise du logement» quand les prix immobiliers augmentent rapidement; il y a «crise immobilière» quand des prix immobiliers effectivement surévalués chutent et que des accédants à la propriété, qui ont acheté trop tard et trop cher, se transforment en accidents de la propriété. Gérer une «crise du logement» est compliqué; devoir gérer une «crise immobilière», qui plus est dans une place financière à forte croissance démographique projetée, ne l’est sans doute pas moins. Ceux, s’il y en a, qui souhaitent un effondrement des prix jusqu’à voir le mètre carré être de nouveau abordable cachent – pour paraphraser un juriste – le caractère masochiste de leurs vœux et prières.