Un arrêt de la Cour d’appel de Gand a établi que la taxe d’abonnement belge prélevée sur les fonds d’investissement luxembourgeois enfreint la convention de double imposition Belgique-Luxembourg. La décision, rendue le mardi 5 novembre, marque un développement important dans une bataille juridique de longue date entre les autorités fiscales belges et les fonds d’investissement étrangers, en particulier les fonds luxembourgeois, qui ont été soumis à cette taxe depuis son introduction en 2004.
L’arrêt n’a pas encore été publié, mais Paperjam en a obtenu une copie.
Problèmes de double imposition
En 2004, la Belgique a étendu une «taxe annuelle» préexistante, qui ne s’appliquait auparavant qu’aux fonds d’investissement collectifs belges, aux fonds non belges, tels que ceux enregistrés au Luxembourg. Cette taxe est imposée sur la base du montant du capital détenu par les investisseurs belges dans ces fonds. Les fonds luxembourgeois, qui paient déjà un impôt sur la fortune et une au Grand-Duché, ont soulevé des inquiétudes quant à la double imposition en Belgique. Patrick Smet, associé fiscaliste chez A&O Shearman à Bruxelles et avocat chargé de l’affaire, a expliqué à Paperjam que la nouvelle loi avait pour conséquence que les fonds luxembourgeois étaient imposés deux fois sur le même capital: une fois au Luxembourg et une fois en Belgique.
Procédures judiciaires et décisions antérieures
Le différend juridique concernant cette taxe annuelle remonte à 2006, lorsque des gestionnaires d’actifs ont intenté une action en justice au motif que la taxe d’abonnement belge violait la convention de double imposition entre la Belgique et le Luxembourg. La taxe s’applique à un taux de 0,0925% par an sur les actifs détenus par les investisseurs individuels belges, et de 0,01% pour les investisseurs institutionnels. En 2016, à la suite d’une décision préjudicielle de la Cour d’appel de Bruxelles, la Cour de justice de l’Union européenne a statué dans l’affaire C-48/15 que la taxe d’abonnement annuelle n’enfreignait pas le droit de l’Union européenne. Toutefois, la question n’a pas été résolue dans le contexte des conventions fiscales internationales, et la Cour d’appel de Bruxelles a statué en faveur des fonds luxembourgeois, ce qui a entraîné des remboursements d’impôts rétroactifs.
L’État belge a réagi en formant des pourvois en cassation, ce qui a donné lieu à des arrêts contradictoires en 2022.
Arrêts de la Cour suprême en 2022
En mars 2022, la Chambre française de la Cour suprême de Belgique a décidé que la taxe d’abonnement n’était pas considérée comme un impôt sur la fortune aux fins de la convention fiscale belgo-luxembourgeoise. Cette décision annule l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles et renvoie l’affaire devant la Cour d’appel de Liège, où la demande de remboursement est finalement rejetée.
Entre-temps, en avril 2022, la Chambre néerlandophone de la Cour suprême de Belgique a jugé que la taxe d’abonnement était bien un impôt sur la fortune en vertu de la convention fiscale entre la Belgique et les Pays-Bas et que, par conséquent, elle violait la convention. Les fonds néerlandais pouvaient prétendre à des remboursements, bien que le montant soit limité en raison du nombre relativement faible d’investisseurs belges dans les fonds néerlandais.
L’incohérence entre ces décisions a donné lieu à d’autres appels, qui ont abouti au renvoi de l’affaire devant la Cour d’appel de Gand, où la décision la plus récente a été rendue.
Arrêt de la Cour d’appel de Gand
Le 5 novembre, la Cour d’appel de Gand a jugé que la taxe d’abonnement est un impôt sur la fortune et qu’elle est contraire à la convention fiscale belgo-luxembourgeoise. Le raisonnement de la Cour d’appel de Gand reprend celui de la Cour d’appel de Bruxelles, qui avait déjà jugé la taxe incompatible avec la convention. La Cour d’appel de Gand a en outre souligné qu’il était indéfendable de qualifier la taxe d’abonnement d’impôt sur la fortune pour une convention (belgo-néerlandaise) mais pas pour une autre (belgo-luxembourgeoise).
M. Smet, représentant les gestionnaires d’actifs, a fait remarquer: «Nous avons soutenu devant la Cour d’appel de Gand que la taxe annuelle est couverte par la définition de l’impôt dans la convention fiscale belgo-luxembourgeoise et que, par conséquent, la taxe annuelle viole la convention; il importe peu que la liste des impôts couverts mentionnée dans la convention fiscale soit limitative ou non.
Malgré cet arrêt important, M. Smet a averti que le gouvernement belge pourrait encore introduire un autre pourvoi en cassation, ce qui pourrait conduire à un nouveau contrôle judiciaire par la Cour suprême sur les nouveaux arguments soulevés par la Cour d’appel de Gand.
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Impact financier
L’impact de cette décision pourrait être considérable, en particulier pour les fonds d’investissement luxembourgeois. On estime que les investisseurs privés belges ont investi environ 70 milliards d’euros dans des sicav luxembourgeoises (sociétés d’investissement à capital variable). Si la décision est confirmée et que l’impôt est remboursé rétroactivement, les remboursements pourraient s’élever à un montant important. Cela aurait des conséquences financières considérables pour les gestionnaires d’actifs qui proposent des fonds luxembourgeois en Belgique.
Des implications plus larges
L’arrêt de la Cour d’appel de Gand a des implications plus larges que la taxe d’abonnement. M. Smet estime que les sicav luxembourgeoises ont droit aux avantages conventionnels, ce qui signifie qu’elles peuvent bénéficier d’une réduction du précompte mobilier sur les dividendes belges. Toutefois, le délai de prescription pour les demandes de remboursement est de cinq ans, ce qui limite le recouvrement potentiel pour les investisseurs belges.
En outre, cette décision a incité les autorités fiscales belges à revoir leur position sur la taxe sur les titres prélevée auprès des résidents et des sociétés luxembourgeoises. Auparavant, on estimait que la Belgique n’avait aucun droit d’imposition sur la taxe sur les titres payée par les titulaires de comptes luxembourgeois, étant donné que cette taxe était considérée comme un impôt sur la fortune en vertu de la convention fiscale entre la Belgique et le Luxembourg. À la suite de l’interprétation restrictive des traités par la Cour suprême, la taxe sur les titres pourrait désormais être imposée aux titulaires de comptes basés au Luxembourg en Belgique, ce qui compliquerait encore le paysage fiscal.
Affiliés à Robeco
Paperjam a appris séparément que les appelants dans cette affaire étaient trois fonds luxembourgeois et deux fonds néerlandais, tous affiliés à Robeco, une société de gestion d’actifs basée à Rotterdam. Un représentant de Robeco a déclaré à Paperjam que «depuis de nombreuses années, Robeco s’oppose à ce prélèvement, car nous estimons que la Belgique n’a pas le droit de l’imposer aux fonds luxembourgeois. Cette décision constitue une nouvelle étape dans ce litige. Nous sommes heureux qu’un tribunal belge ait une fois de plus statué en faveur de notre position. Nous attendons la suite de la procédure.»
Un porte-parole du ministère belge des Finances a déclaré: «Le sujet est très complexe et l’analyse de ce jugement très récent prendra un certain temps», et s’est abstenu de tout commentaire officiel à ce stade.
Prochaines étapes
Si l’arrêt de la Cour d’appel de Gand marque une victoire importante pour les fonds et les gestionnaires d’actifs luxembourgeois, la bataille juridique est loin d’être terminée. L’État belge pourrait demander à la Cour suprême d’apporter d’autres éclaircissements juridiques, ce qui pourrait conduire à des interprétations plus larges de l’imposition transfrontalière en vertu de la convention fiscale entre la Belgique et le Luxembourg. L’issue de cette affaire pourrait avoir des conséquences importantes pour les gestionnaires d’actifs, les investisseurs et les autorités fiscales des deux pays.
Cet article a été rédigé initialement en anglais, traduit et édité pour le site de Paperjam en français.