«Je suis convaincu que cette acquisition marque une étape importante non seulement pour Talkwalker, mais aussi pour le Luxembourg. Elle prouve l’immense potentiel de cet écosystème dynamique pour nourrir et faire évoluer les startups vers des leaders technologiques mondiaux. Avec Hootsuite, nous continuerons à exploiter l’environnement dynamique du Luxembourg, propulser l’innovation, stimuler la croissance et servir nos clients alors que nous façonnons l’avenir de la performance des médias sociaux», assure le CEO de Talkwalker, Lokdeep Singh, dans un communiqué adressé aux médias avant le week-end.
Le communiqué ne donne aucune autre information que l’acquisition par la canadienne Hootsuite et la transformation de Talkwalker en quartier général européen de Hootsuite. Contactés par Paperjam, les deux porte-parole refusent de répondre à toute question, nous invitant à les poser lors d’une séance de questions-réponses organisée un de ces jours.
Ceux qui étaient au Startup Week-end organisé en 2009 par , déjà CEO du Technoport, se souviennent peut-être de ces deux «gamins», en short et en tongs, Thibaut Britz (26 ans) et Christophe Folschette (27 ans), venus «vendre» leur projet de veille des réseaux sociaux au profit des entreprises. Le contexte est différent de celui que nous connaissons. Les armées de trolls, de falsificateurs et de diffuseurs de fausses nouvelles n’existent pas. Très vite, les deux hommes comprennent qu’ils ont besoin de capitaux pour développer le projet et trouvent en une oreille attentive.
Un des plus beaux projets de start-up «made in Lux» est sur les rails, de manière quasiment identique à un autre projet, de l’autre côté de l’Atlantique… chez Hootsuite: permettre aux entreprises de surveiller ce que les internautes disent d’elles sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, Hootsuite réalise un chiffre d’affaires de près de 300 millions de dollars contre 35,5 millions d’euros (2021) pour Talkwalker ou 42,7 millions d’euros (2021) pour Trendiction – selon comment on regarde les niveaux de consolidation. Cette dernière, qui gère la propriété intellectuelle et la mise à jour de la solution technologique, a facturé à Talkwalker 32,5 millions d’euros en 2021.

En juillet 2022, Lokdeep Singh avait pris les commandes de l’entreprise luxembourgeoise pour procéder à deux vagues de licenciements et réduire l’effectif de 36% – derniers chiffres connus. (Photo: Romain Gamba/Maison Moderne/Archives)
Difficile d’y voir plus clair puisque ni les résultats de 2022 ni ceux de 2023 n’ont été publiés au Registre du commerce. Ce serait pourtant utile. Après avoir perdu 3,9 millions d’euros en 2020, année du Covid, Talkwalker en a perdu 9,77 en 2021 (qui font monter les pertes reportées à près de 21 millions d’euros), ce qui a amené les actionnaires à «inviter» un nouveau CEO à prendre les manettes en juillet 2022:
Dès son arrivée, le nouveau CEO se lance dans une réduction des effectifs, avant une deuxième vague, en janvier 2023. Rien que pour les deux têtes de pont: chez Talkwalker, les équivalents temps plein étaient passés de 95 en 2019 à 99 en 2020 et 112 en 2021; chez Trendiction, la hausse avait même été plus marquée: de 102 personnes en 2019 à 119 personnes en 2020 et 148 en 2021. Soit 201 en 2019 à 259 fin 2021. On ignore combien de personnes figurent dans le payroll aujourd’hui.
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Marlin et l’accélération de la croissance externe
Les actionnaires ont dû remettre des dizaines de millions d’euros au capital de Trendiction, en plusieurs phases. Les actionnaires? Début 2018, le fonds américain Marlin Equity Partners annonce avoir pris une participation majoritaire dans la success-story luxembourgeoise, qui cherchait à accélérer sa croissance à l’international. Les Américains ont pris 66,82% de Tiger Bidco Lux pour 41 à 43 millions d’euros, tandis que 26,74% restent dans les mains des trois fondateurs via Trenvalor et moins de 7% dans celles du management.
Objectif: croître, vite et bien. Premier signe visible, en juillet 2020, Talkwalker annonce avoir acquis l’américaine Nielsen Social pour 5,2 millions d’euros. Les nouvelles s’enchaînent: Talkwalker crée une filiale à Londres (juin 2021), Talkwalker nomme l’Américain Tod Nielsen CEO pour permettre à Robert Glaesener de faire un pas de côté (juillet 2021), Talkwalker US achète Reviewbook (septembre 2021), Talkwalker ouvre une antenne en Australie (octobre – fermée un an plus tard –), Talkwaker rachète Discover AI pour 10 millions d’euros (octobre 2021), Talkwalker ouvre en Italie (décembre 2021), Talkwalker ouvre en Inde (mars 2022).
En même temps, l’entreprise rappelle qu’elle ne s’attend plus à des résultats positifs avant 2024. Dans l’interview de février 2023, Lokdeep Singh assurait que les résultats de l’entreprise tourneraient autour de 80 à 90 millions d’euros à la faveur de croissance à deux chiffres en 2021 et 2022.
Une entreprise sur deux ne comprend pas l’impact des réseaux sociaux
«À une époque où plus de cinq milliards de personnes interagissent quotidiennement sur les réseaux sociaux pendant plus de deux heures et demie, la plupart des entreprises d’aujourd’hui peuvent se targuer d’une présence sociale. Pourtant, la dernière étude de Hootsuite révèle une lacune: seulement 56% des organisations pensent qu’elles comprennent réellement l’impact commercial et le retour sur investissement de leurs stratégies de médias sociaux. Cela déclenche un changement révolutionnaire de la gestion des médias sociaux (la catégorie lancée par Hootsuite) à une évolution de catégorie alimentée par la demande des clients: la performance des médias sociaux», indique le communiqué de presse de vendredi soir.
«Hootsuite existe pour aider les clients à libérer la valeur de leurs relations sur les réseaux sociaux. En acquérant Talkwalker, l’une des startups luxembourgeoises à succès les plus marquantes, Hootsuite porte cette mission à un niveau supérieur. En réunissant deux leaders de leur catégorie, les entreprises disposeront, pour la première fois, d’un moteur de performance sur les réseaux sociaux pour transformer les informations en actions et en impact, le tout alimenté par l’IA.»
C’est bien tout le sujet: en 15 ans, les réseaux sociaux ont bien changé, avec l’émergence de nouveaux acteurs, de nouveaux modes de communication et, surtout, l’arrivée de l’intelligence artificielle va complètement modifier l’écosystème.
Les tristes verront dans cette information la disparition d’une marque luxembourgeoise; les joyeux l’arrivée d’un géant au Luxembourg; les neutres une étape classique de la vie d’une entreprise. Thibaut Britz est reparti sur un autre projet de quantitative trading, Sedai.lu qui, selon NorthData, bénéficiera de 1,4 million d’euros d’aide du ministère de l’Économie. Avec Christophe Folschette et Patrick Kersten, les trois hommes ont décidé de «rendre» un peu de leur réussite à des startupers via leur initiative ProjectRise.