L’artiste Tacita Dean a été invité par le Mudam pour une exposition qui présente deux de ses projets récents. Il s’agit d’une part du décor imaginé pour «The Dante Project», un ballet chorégraphié par Wayne McGregor sur une partition de Thomas Adès et présenté pour la première fois au Royal Opera House à Londres en octobre 2021.
En 2017, Tacita Dean a reçu la commande de créer les décors et les costumes pour cette pièce chorégraphique basée sur La Divine Comédie de Dante Alighieri qui retrace en trois actes la traversée de Dante à travers l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis. Une œuvre complexe qui a déjà été dans le passé source d’inspiration pour de nombreux artistes dont Botticelli, William Blake, Gustave Doré, Salvador Dali ou encore Miquel Barceló. «Je n’avais jamais accepté ce type de commande auparavant», explique Tacita Dean à Suzanne Cotter, commissaire de l’exposition, lors de la présentation au musée. «Ce type de travail était tout à fait nouveau pour moi.»
Mais plutôt que de partir dans des directions qui lui étaient inconnues, elle a finalement choisi de s’approprier cette œuvre complexe et ce nouveau chalenge en poursuivant sa pratique multimédias. Il en résulte trois œuvres réalisées avec des techniques différentes, représentant pour l’artiste les expériences vécues par Dante dans les trois mondes de la mort.
Pour L’Enfer, l’artiste imagine un immense panorama représentant une chaine de montagnes inversée dessinée à la craie sur un tableau noir. À cette chaine de montagnes s’ajoutent quelques mots, parfois effacés, qui font également référencent au Brexit. Sur scène, au-dessus des danseurs, un miroir en ellipse rétablit le sens des montagnes, laissant entrevoir un monde normal, inaccessible aux damnés.

Tacita Dean, Inferno , 2019 (Photo: Fredrik Nilsen Studio)
Pour le Purgatoire, l’approche est autre: Tacita Dean a réalisé un tirage négatif gigantesque d’une photo représentant un jacanta. Cet arbre, très fréquent dans certains quartiers de Los Angeles où elle vit, a des feuilles qui deviennent violettes au printemps. Or, en tirage négatif, le violet devient vert, reprenant ainsi la couleur de l’arbre. Pour ajouter une couche d’étrangeté, elle travaille au crayon blanc tous les alentours urbains.
La dernière œuvre de la trilogie est un film 16mm présenté dans un pavillon central. Paradise, est un film abstrait en CinemaScope. Il s’inspire des motifs circulaires et planétaires décrit dans l’œuvre de Dante pour créer une œuvre hypnotique, presque psychédélique, qui entre en écho avec la bande son qui est une simulation numérique de la partition pour orchestre.

Tacita Dean, Paradise , 2022 (Film still: Tacita Dean)
Avec ces trois œuvres, Tacita Dean passe ainsi du dessin à la photo au film, du noir et blanc à la couleur, du négatif au positif, de la figuration à l’abstraction et montre un échantillon de sa pratique et approche artistique. En complément de cet ensemble, les visiteurs peuvent également découvrir quelques œuvres associées qui entrent en écho à ce travail.
150 ans de passion
La seconde partie de l’exposition prend une toute autre direction, tournant le dos à la mort et regardant pleinement du côté de la vie. En 2020, Tacita Dean a réalisé le film 16mm One Hundred and Fifty Years of Painting qui immortalise une conversation entre deux artistes peintres et amies de l’artiste: Luchita Hurtado et Julie Mehretu. Les deux femmes ont réalisé qu’elles étaient nées toutes deux un 28 novembre et qu’elles auraient respectivement 100 et 50 ans en 2020, un beau prétexte pour mener une conversation intime et libre qui aborde des sujets divers tels que leur expérience de l’immigration, la maternité, le changement climatique ou bien entendu leur amour de la peinture. En regard de ce film, un tableau de chacune de ces artistes est présenté à l’entrée de la salle de projection.
Par ailleurs, autour de ce pavillon, sont accrochées deux séries de lithographies. Réalisées avec le concours des maîtres imprimeurs de Gemini G.E.L., elles représentent des ciels de Los Angeles. Ces séries sont tout simplement saisissantes et d’une qualité picturale remarquable. Réalisées à partir de dessins, elles représentent la fascination de l’artiste pour ces ciels de Los Angeles à son arrivée d’Europe. Dans la dernière salle, le film Buon Fresco a pour sujet les fresques de Giotto à la basilique Saint-François à Assise. Filmées en vue macro, des détails invisibles à l’œil nu se révèlent et soulignent l’excellence de ce maître italien.
Il ressort finalement de cette exposition une impression inégale. On garde en mémoire ces magnifiques lithographies colorées de ciel, mais se sent floué sur la proposition artistique liée à Dante: ce qui fonctionne certainement sur scène, ne tient pas vraiment le niveau pour une présentation autonome sur les cimaises d’un musée, surtout pour le film Paradise.
Au Mudam, jusqu’au 5 février 2023, www.mudam.lu