Quatre cartouches de cigarettes. C’est le seuil maximal au-delà duquel une personne qui ramène en France des cigarettes d’un autre pays de l’UE sera dans l’illégalité. Le ministre français délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave (Renaissance), l’a rappelé lors d’une visite ce jeudi en Moselle. Une visite qui fait suite à la publication d’un décret par le gouvernement français, le 29 mars, abolissant la limite d’une cartouche par personne en provenance d’un pays de l’UE. Le Conseil d’État avait enjoint le gouvernement français à se mettre en conformité avec le droit européen: fixer le seuil d’une cartouche en deçà des quatre cartouches était interdit.
«La règlementation n’a pas changé, et ça n’est pas open bar. Nous n’avons pas le droit d’aller chercher des cartouches de l’autre côté de la frontière pour en faire du commerce. Cela fait du mal à nos buralistes (23.000 dans l’Hexagone ndlr), et à nos finances publiques», a-t-il réagi. Rappelons qu’en France, avec un déficit public à 5,1 % du produit intérieur brut (PIB), le gouvernement a annoncé 10 milliards d’euros d’économies pour 2024.
Alors qu’est-ce qui change? Désormais, en termes de quantité, le seuil est fixé à 800 cigarettes (soit 4 cartouches), ou 400 cigarillos (cigares d’un poids maximal de 3 grammes par pièce), ou 200 cigares, ou1kg de tabac à fumer. Mais en plus de ce seuil, les douanes, lors de leurs contrôles, prendront en considération douze critères qui figurent dans le décret.
Ce qui signifie que même en dessous du seuil de quatre cartouches, la verbalisation reste possible. «Au moindre doute, même en dessous des quatre cartouches, il peut y avoir saisie», a précisé le ministre. Les douanes françaises précisent de leur côté: «La démonstration du caractère commercial d’un achat transfrontalier de tabacs pourra reposer sur d’autres critères que le seul critère relatif à la quantité transportée, quelle que soit cette quantité. La mobilisation de l’un des onze autres critères peut donc conduire à sanctionner un transport transfrontalier dès une cartouche.»
Par ailleurs, si à l’appui de ces critères, la douane démontre que le tabac a été acheté dans un autre État membre de l’Union européenne à des fins commerciales, le paiement de l’accise et de la TVA sera immédiatement exigé. Selon une étude de la Société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes (Seita) en France, 39,9% de la consommation de tabac en France provient du marché parallèle.
«Lors de la parution du décret, l’information est très mal passée, les médias ont laissé penser que c’était open bar, la fête au village. Le décret est peut-être encore plus restrictif avant, car vous savez, les gens n’ont pas attendu le décret pour dépasser quatre cartouches…», témoignait le président de la Fédération des buralistes de Moselle, Antoine Palumbo, devant le bureau de tabac «Severini» à Hombourg-Budange, à environ 35 km de la frontière luxembourgeoise. Un avis que partage une buraliste du centre-ville de Thionville: «C’est encore différent pour un tabac de centre-ville, et un situé dans un coin plus reculé. Mais d’une façon générale, nous n’avons pas d’autres choix que de nous diversifier.» Sans compter que sur un paquet, le buraliste perçoit «environ 5 ou 6%» de marge, indiquait-elle.
La hausse des prix, pas une solution selon les buralistes
C’est justement chez un marchand de tabac, à la fois rural et qui a opté pour une diversification de son offre, que le ministre était invité à rencontrer une dizaine de buralistes. En plus des cigarettes et produits liés, son patron, Jean-Michel Severini, vend aussi de la presse, des boissons, quelques denrées et même des portefeuilles et sacs à main… Au fond du commerce, dans une petite pièce, la délégation a pu échanger avec le ministre, porter ses revendications, et redire son opposition à la hausse constante du prix du tabac en France.
«L’augmentation des prix, nous en Moselle, on sait très bien que ça ne sert à rien. Pendant le confinement, mon chiffre d’affaires a été multiplié par quatre, pourtant je suis dans un petit patelin, preuve que le prix n’empêche pas vraiment un fumeur de fumer. Tant qu’il y aura moyen de se réapprovisionner ailleurs, ça ne marchera pas. Cette hausse continuelle, c’est usant», a témoigné Arnaud Guérin, buraliste installé dans la commune de Dieuze, à environ 100 km du Luxembourg.
Selon les propos du ministre, le prix du tabac ne devrait pas de nouveau augmenter cette année en France. «Ma ligne n’a pas changé. Je suis opposé à toute poursuite de la hausse des prix. Nous disposons d’un cadre lisible, et la contrepartie est que nous sommes au rendez-vous de l’accompagnement de votre transformation et de votre diversification. Nous avons déjà fourni une enveloppe de 300 millions d’euros pour accompagner les buralistes dans ce sens. Après, il y a la situation spécifique du frontalier, on le sait. Face à cela, il faut multiplier les contrôles», a-t-il insisté.
Au bord de l’A31, un appel à l’harmonisation fiscale
Une heure à peine après sa rencontre avec les buralistes, Thomas Cazenave était justement sur l’aire de repos Thionville Porte de France pour rencontrer les douaniers du service des douanes de Thionville et assister à une opération de contrôle. Il a annoncé le renforcement des contrôles, sur le modèle de l’opération Colbert II, menée en juin 2023 à l’échelle nationale et qui a permis la saisie de 27 tonnes de tabac sur une semaine, grâce au travail des douanes, qui voient leurs prérogatives renforcées.
Mais parce qu’on ne pourra jamais mettre un douanier derrière chaque véhicule, le ministre plaide pour une harmonisation fiscale à l’échelle européenne. «Nous demandons de rouvrir la directive de 2011, la question de l’harmonisation fiscale et la question du transport. J’ai rencontré la Commission européenne la semaine dernière pour porter ce sujet-là. On attend de l’Europe qu’elle évolue là-dessus. C’est un combat que nous menons», a-t-il déclaré.
Les buralistes vont aussi dans ce sens. «Nous sommes déterminés à porter cette mesure avec vous, communément, car elle est protectrice des politiques de santé publique et des marchés de notre pays», a ajouté le président de la Confédération des buralistes, Philippe Coy. Une mesure qui ne semble pas convaincante pour tout le monde. «L’harmonisation fiscale c’est un peu utopiste, du rêve, les autres pays ne sont pas fous, mais on ne comprend pas l’État français qui s’acharne à augmenter sans cesse les prix, l’harmonisation serait bien, mais si tout le monde passe à de tels prix, ce sont des mafias qui vont se saisir du marché parallèle, sans parler du trafic, se pose aussi la question de la contrefaçon de cigarettes. Il existe des usines pas si loin d’ici», a soulevé Arnaud Guérin.
Et au Luxembourg?
De son côté, le Luxembourg, qui vend le paquet de cigarettes moitié moins cher qu’en France sera-t-il appelé par sa voisine à engager une discussion bilatérale, hors cadre européen? Non, selon le ministre. «Je crois qu’une partie de la solution c’est notre capacité de trouver en Europe un accord. On a besoin de plus d’Europe.»
Dans une réponse parlementaire datée du mois de janvier, le ministre des Finances, (CSV), avait indiqué: «Comme dans le passé, la politique du gouvernement consiste à revoir, à des intervalles réguliers, à la hausse la taxation des produits de tabac. Des réflexions en ce sens sont en cours. (…) Afin de réduire au maximum le trafic transfrontalier de grandes quantités de produits de tabac respectivement le trafic illégal, le Luxembourg augmente de manière régulière les taxes sur ces produits tout en entretenant une collaboration active avec les douanes des pays voisins et britanniques…» Une hausse de 2,7% du prix en 2024 était alors annoncée.
4,442 milliards de cigarettes et 6,158 tonnes de tabac ont été vendues en 2023 au Luxembourg. Soit 1,027 milliard d’euros pour l’Administration des contributions. En 2019 ces chiffres étaient respectivement de 3,032 milliards de cigarettes pour 3,805 tonnes de tabac.