Pas rentable, le take-away sur les aires d’autoroute reste un service important pour les clients. (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

Pas rentable, le take-away sur les aires d’autoroute reste un service important pour les clients. (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

Avec moins de frontaliers à la pompe, un été 2020 réduit et des restaurants fermés… Les aires d’autoroute s’adaptent pour assurer le service nécessaire aux conducteurs, malgré les conséquences économiques du Covid-19.

10h sur l’aire Shell de Berchem, le moment de la pause-café. À l’intérieur, les tables du McDonald’s et du Starbucks Coffee sont barricadées. Quelques personnes font la queue pour des boissons chaudes à emporter. Ils sortent du grand bâtiment, gobelet dans une main et cartouches de cigarettes dans l’autre. Une famille russe emporte son petit-déjeuner dans la voiture, tandis qu’une autre a investi la table de pique-nique, à quelques mètres du parking. Debout devant l’entrée principale, Kulla Nuredin vient d’engloutir un sandwich matinal. «Normalement, pour le lunch, je m’arrêtais au restaurant. Avec le Covid, j’achète mes sandwiches au shop et je les mange dehors ou dans le camion», raconte le chauffeur poids lourd venant d’Albanie. La veille, il a traversé la France depuis l’Italie, et le soir même, il se rend aux Pays-Bas. «C’est difficile avec le Covid. Il y a des règles différentes selon les pays.»

Pour ces conducteurs et pour les autres clients, «nous sommes un secteur indispensable, nous devons être ouverts 24 heures sur 24», explique Daniel Calderon, exploitant de l’aire de l’A3. Mais toujours «selon les mesures sanitaires». Il assure par exemple avoir poursuivi la production de pain et de sandwiches la nuit. Les restaurants ont quant à eux dû se mettre, comme ceux des villes, au take-away, toujours aux mêmes horaires. «Les gens ont pris leurs habitudes au fur et à mesure. Les concepts du Starbucks, du McDonald’s et de la boulangerie s’y prêtent bien.» Le gérant de l’aire ne parle cependant pas de rentabilité: «Cela sert surtout à fidéliser les clients, leur rendre service.» L’ouverture des terrasses, prévue pour le 7 avril, devrait venir aider.

Une parenthèse estivale

L’été, où peuvent affluer près de 25.000 personnes par jour , a été synonyme de relance avec environ 75% de la clientèle habituelle. «Nous avons eu beaucoup de personnes qui ne sont pas parties en avion et qui ont pris la voiture. Nous avons fait une petite saison intéressante, mais avec les restrictions, les gens ne consomment pas comme avant. Ils ne restent pas assis pendant deux heures, ne font plus leurs achats», précise Daniel Calderon. Sans parler de l’absence de bus de touristes étrangers, manne importante. Les clients sont venus «principalement des pays voisins», et les voyageurs plus lointains, d’Italie, d’Espagne, de Grande-Bretagne ou du Portugal, par exemple, ont manqué. Certains jours, les employés de l’aire ont quand même dû réguler les entrées, pour respecter les règles de distanciation. Seulement la moitié des 20 à 25 saisonniers des autres années sont venus renforcer l’équipe de 80 personnes.

Shell ne communique pas de données sur les conséquences économiques de la crise pour l’aire. Daniel Calderon parle d’un «impact énorme» au début du confinement. Il trouve le site «désert» en ce mercredi, si on compare aux matinées habituelles. Restrictions de voyage, télétravail des frontaliers, mais aussi couvre-feu continuent de réduire le trafic. Pour les camions, qui représentent la plus grosse partie de l’activité en volume, il faut aussi compter la taxe carbone et le Brexit. Alors qu’en temps normal, 260 millions de litres de carburant et 400.000 cafés sont écoulés chaque année sur l’aire, avait-elle communiqué en 2018 sur France Bleu. Si «Pâques, c’est trop proche», Daniel Calderon se dit confiant pour une reprise lors des prochains congés estivaux.

Daniel Calderon remercie Shell pour son accompagnement, et ses salariés pour leur travail pendant la crise. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Daniel Calderon remercie Shell pour son accompagnement, et ses salariés pour leur travail pendant la crise. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Sauvés par les camions

De l’autre côté de l’autoroute, sur l’aire Aral de Berchem en direction de la France, les ventes de carburant ont diminué de 25-30% en 2020 par rapport aux années précédentes. Elles représentent la majeure partie du chiffre d’affaires. Une baisse «importante, qui se ressent surtout au niveau des particuliers», précise Romain Hoffmann, à la tête de BP Group et de sa marque Aral au Luxembourg, qui exploite l’aire. Pour les routiers, qui continuent de faire le plein, on reste à un niveau légèrement inférieur à l’avant-crise. Ces derniers constituent les trois quarts de la clientèle.

L’été, pas d’effet «Vakanz doheem». L’aire a souffert de l’absence de touristes «hollandais, belges et allemands». Contrairement à d’habitude, le groupe, qui emploie 50 à 80 salariés selon la période de l’année, n’a donc pas embauché de saisonniers.

Le take-away sur autoroute, non rentable

Dans le magasin aussi, l’activité a diminué, d’environ 20% sur l’année. Une chute qu’est venue appuyer l’interdiction pour les résidents français de ramener plus d’une cartouche de cigarettes par voyage. Au restaurant, on est entre -80 et -90%.

«Les restaurants autoroutiers ont une clientèle très touristique», justifie Romain Hoffmann. Or, les vacanciers sont ceux qui manquent le plus. Les conducteurs de poids lourds viennent quant à eux «beaucoup des pays de l’Est et ont un faible pouvoir d’achat» par rapport au Luxembourg. «Ils font eux-mêmes leur cuisine. Ils achètent peut-être au shop, mais souvent, même pas.» L’établissement a mis en place un service de take-away en fermant plus tôt, à 15h. Un modèle qui n’est «pas rentable».

Les chiffres d’affaires précis ne sont pas communiqués. Au niveau de la fréquentation, la station ne dispose pas de données à jour, mais le faisait état d’un million de voitures et de 165.000 camions ravitaillés par an, de 850.000 clients dans l’Aral Store et de 500.000 pour L’Arche. Des données vieilles de plusieurs années, précise Romain Hoffmann.

D’un côté comme de l’autre de l’A3, les aires attendent avec impatience la fin des restrictions, qui pourra commencer le 7 avril avec la réouverture des terrasses. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

D’un côté comme de l’autre de l’A3, les aires attendent avec impatience la fin des restrictions, qui pourra commencer le 7 avril avec la réouverture des terrasses. (Photo: Matic Zorman/Maison Moderne)

Propriétés de l’État, les aires autoroutières sont gérées sous forme de concessions par les stations de carburant. Les restaurants ou magasins peuvent alors être considérés comme leurs sous-concessionnaires. Malgré la perte de chiffre d’affaires, elles n’ont pas pu compter sur une diminution de loyer de la part du gouvernement, en tout cas «pour le moment», selon Romain Hoffmann.

BP Group gère aussi l’aire de Capellen Sud, le long de l’A6. Les chiffres n’y sont pas meilleurs, malgré les files qu’on peut encore constater, parfois, devant le Burger King. Aussi président du Groupement pétrolier luxembourgeois, Romain Hoffmann constate un effet négatif global sur toutes les stations-service, plus important aux frontières qu’en centre-ville.

Lui non plus ne place pas d’espoirs dans les prochains congés de Pâques. L’été prochain, il envisage «au plus, une reprise un peu plus normale qu’en 2020. Mais pas au niveau de 2019.» Faudra-t-il gérer l’affluence de voyageurs si le tourisme reprend, mais sous mesures sanitaires? «Nous ne nous faisons pas de tracas à ce niveau-là pour le moment.»