Le 5 novembre 2014, lors d’un vote quasi unanime à la Chambre, le Luxembourg abolit le secret bancaire. La loi introduisant l’échange automatique d’informations bancaires scelle ainsi le sort des contribuables étrangers cherchant à dissimuler leurs avoirs aux autorités fiscales de leur pays de résidence.  (Photo: Shutterstock)

Le 5 novembre 2014, lors d’un vote quasi unanime à la Chambre, le Luxembourg abolit le secret bancaire. La loi introduisant l’échange automatique d’informations bancaires scelle ainsi le sort des contribuables étrangers cherchant à dissimuler leurs avoirs aux autorités fiscales de leur pays de résidence.  (Photo: Shutterstock)

Pays longtemps rural, le Luxembourg a su tirer son épingle du jeu, d’abord à travers le formidable essor de son industrie sidérurgique, puis dans les services financiers, et notamment de banque privée.

Au début des années 1980, alors que la place financière a déjà atteint un certain niveau de maturité, plusieurs difficultés vont l’inciter à se diversifier, notamment en direction du private banking. À l’époque, la croissance mondiale ralentit en raison de l’inflation et en particulier d’une nouvelle hausse des prix du pétrole, due à la guerre entre l’Irak et l’Iran. Mais la situation dérape véritablement en 1982, lorsque le Mexique annonce unilatéralement le gel du paiement de sa dette. La situation d’insolvabilité des pays d’Amérique latine, principaux clients du Luxembourg sur le marché des eurocrédits, frappe durement la Place, qui doit réagir, et vite. 

En matière de banque privée, le pays ne part pas de zéro. Sa participation aux euromarchés l’a, dès les années 60, familiarisé avec une clientèle internationale, des produits d’investissement en différentes devises ainsi que l’élaboration de montages complexes. L’évolution du cadre réglementaire et l’instauration du secret bancaire feront pencher la balance en sa faveur. 

L’importance du secret bancaire 

. Cet article impose le secret à certaines professions dépositaires de confidences qu’on leur livre dans le cadre de l’exercice de leur métier. Ce texte s’appliquait alors aux médecins, aux pharmaciens ou encore aux sages-femmes. Son extension au monde bancaire repose sur une interprétation jurisprudentielle, sans que l’on sache vraiment si sa portée était spécifique ou générale. La loi du 23 avril 1981 sur le secteur bancaire consacre son extension formelle aux métiers de la banque. 

Le secret bancaire n’explique pas à lui seul le succès de la banque privée. Deux adjoints précieux vont assurer son envol, à savoir le principe de la non-imposition de l’épargne des non-résidents et le principe de la double incrimination en matière de délit fiscal. Concrètement, si l’échange d’informations avec des administrations fiscales étrangères était possible dans le cas d’une procédure pénale, il fallait que la définition de l’infraction suspectée soit similaire à celle existant dans le droit grand-ducal. Qui avait une conception limitée du délit de fraude fiscale… 

Le secret bancaire, s’il va assurer le développement de la banque privée, n’ira pas sans quelques grincements de dents de la part des États voisins, dont les ­ressortissants étaient les principaux clients de la Place. C’était l’époque du «dentiste belge». En conséquence, l’image de la Place va se dégrader, au grand dam des professionnels de l’assurance et des fonds d’investissement qui n’avaient que faire du secret bancaire. 

Un événement dramatique va être à l’origine de la fin du secret bancaire: le 11 septembre 2001 et les attentats contre les tours du World Trade Center. Du jour au lendemain, la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du ­terrorisme s’inscrit en bonne place dans l’agenda des autorités américaines. Le secret bancaire n’est, dès lors, plus tolérable. De concession en concession, il va disparaître. Une disparition très progressive qui sera actée le 5 novembre 2014 par le vote, à la Chambre des députés, de son abolition et de l’introduction de l’échange automatique d’informations bancaires. 14 années que les professionnels du secteur vont mettre à profit pour repenser leur modèle. Avec succès.

Place à la transparence 

Avec la fin du secret bancaire, certains prédisaient un avenir morose pour le secteur de la banque privée au Luxembourg. Force est de constater que l’industrie est parvenue à se réinventer en s’adressant à une nouvelle clientèle, beaucoup plus ­fortunée que par le passé. 

Au fil du temps, l’offre s’est transformée en un écosystème complet de gestion de patrimoine, regroupant le conseil en investissement, la gestion d’actifs, la plani­fication patrimoniale, la gestion immobilière, la planification de la succession et la philanthropie. Le Luxembourg fait aujourd’hui office de centre d’excellence pour la gestion multi-juridictionnelle de patrimoine. De nombreux groupes ­bancaires ont établi leur centre de compétences intra-groupe au Luxembourg afin de répondre aux besoins de leurs clients. Ce rôle particulier dans la chaîne de valeur de la gestion de patrimoine internationale a été considérablement renforcé par la ­décision de grandes institutions ­financières d’établir leurs opérations de gestion de ­patrimoine post-Brexit dans l’UE au Luxembourg.  

La transition vers un centre de gestion de patrimoine transfrontalier fiscalement transparent au lendemain de la crise financière avait déjà renforcé la position du Luxembourg en tant que pôle européen onshore pour les banques privées, les gestionnaires de patrimoine et leurs clients. Le secteur a continué à se diversifier dans les segments de clientèle ultra fortunée. Toujours avec le même succès.

Près d’un siècle d’histoire

Si l’essor de la banque privée doit beaucoup au coup de génie de l’ancrage du secret bancaire dans la législation en 1981, de nombreux autres jalons posés au cours de ces (presque) 100 dernières années expliquent son succès.

Dès 1929, le Luxembourg crée un premier cadre favorable aux activités financières offshore. , deux outils sur lesquels le pays va bâtir son ascension. Concrètement, ces holdings, ou sociétés mères, ne pouvaient pas avoir d’activité commerciale ou industrielle dans le pays. Leur utilité était de permettre à de grandes sociétés françaises, belges, allemandes, voire britanniques ou américaines, de rassembler leur capital au Luxem­bourg en l’exonérant d’impôt. Avec le krach boursier, puis la guerre, il faudra toutefois attendre la fin des années 50 pour connaître l’âge d’or des H29 et de la bourse. 

À cette époque, l’explosion des eurodollars accélère la naissance de la Place. Alors que les activités bancaires sont strictement encadrées, les besoins de financement pour la reconstruction d’après-guerre sont gigantesques. C’est dans ce but qu’apparaissent les eurodollars qui, grâce au plan Marshall, s’accumulent dans les livres des banques européennes et vont être utilisés dans des opérations de prêts internationaux. Ensuite, dès 1963, : les banques locales débordent de leur marché domestique pour devenir des banques d’affaires internationales et les banques étrangères prennent pied au Grand-Duché. , une organisation permettant à des groupes internationaux de structurer leurs emprunts obligataires dans un cadre fiscal attrayant. Les titres de ces emprunts étaient exemptés de retenue à la source.

Les années 70 sont celles des pétrodollars. Cet afflux de liquidités lance un nouveau marché, celui des eurocrédits. Ces prêts sont destinés au financement des États qui, à la suite de la fin des accords de Bretton Woods en 1971, ouvrent les vannes de l’endettement. Un nouveau marché s’ouvre pour la Place, qui attire encore plus d’acteurs et de services. Les banques saisissent les nouvelles opportunités qui se présentent et développent des services (agents payeurs, agents de cotation, dépositaires). La Place a besoin d’avocats pour rédiger les prospectus et les contrats d’émissions, de notaires, mais aussi d’auditeurs. Le cadre est en place pour soutenir l’essor de la banque privée.

Cet article a été rédigé pour le supplément  de l’édition de  parue le 29 mars 2023. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.

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