Thierry Faber, créateur, showrunner et co-scénariste de la série «Capitani».  (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Thierry Faber, créateur, showrunner et co-scénariste de la série «Capitani».  (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Série phénomène au Luxembourg, «Capitani» revient sur RTL à partir de mardi pour une deuxième saison (puis sur Netflix dans quelques mois). À cette occasion, on plonge avec son créateur, showrunner et co-scénariste, Thierry Faber (47 ans), dans le monde des séries «made in Luxembourg».  

Comment se sent-on à quelques heures de la sortie de la saison 2 de sa série?

Thierry Faber. – «Jusqu’en début de semaine, je vous aurais dit très bien. Mais là, avec l’apparition des affiches sur les abribus et la couverture médiatique qui s’est un peu emballée, ces derniers jours, la pression monte… En même temps, jusqu’à présent, celle-ci ne s’était pas vraiment fait ressentir dans notre travail. Le scénario de ce deuxième volet était déjà bouclé lorsque, voici pratiquement un an jour pour jour, ‘Capitani’ avait débarqué sur Netflix. On était alors à un mois du tournage.

J’avoue que le succès obtenu très vite sur cette plateforme nous a un peu perturbés. Un mélange d’incompréhension, de joie aussi, et un peu de perplexité. Mais quoi qu’il soit, on n’a pas changé une virgule à ce que nous avions prévu. Alors que nous aurions peut-être été tentés de le faire en cas de retour négatif. Même si ce dernier n’aurait sans doute pas été aussi rapide à nous arriver, Netflix étant du genre à fournir les informations au compte-gouttes…

Aujourd’hui, vous vous dites que cela va être compliqué de réitérer le même succès? La saison 1 avait aussi explosé les chiffres sur RTL…

«J’ai envie de vous répondre: forcément! C’est simple: faire mieux me semble tout simplement impossible. Réitérer le même succès serait déjà incroyable. Cela voudrait dire qu’on a réussi à embarquer une deuxième fois la majorité de ceux qui avaient aimé la première saison, tout en captant aussi certains nouveaux spectateurs.

Faire mieux que la saison 1 me semble tout simplement impossible. Réitérer le même succès serait déjà incroyable.
Thierry Faber

Thierry Fabercréateur, showrunner et co-scénariste de «Capitani»

Vous avez peur?

«Disons que je ne voudrais pas que le public soit déçu. Avec les réseaux sociaux, le verdict tombera vite… Pour l’avoir écrite, je sais que cette saison 2 est très différente, plus noire, plus urbaine aussi, et que certains spectateurs auront besoin d’un temps d’adaptation. À ce niveau-là, ce qui est positif, c’est que RTL va diffuser deux épisodes par soirée, au lieu d’un seul sur la saison inaugurale. Avec une histoire qui se veut à nouveau complexe, c’est important. Plutôt que 26 minutes, le public aura donc droit à une petite heure chaque semaine pour rentrer dans cette suite … qui n’en est pas complètement une. Puisque l’action se passe trois ans après la fin de la saison 1.

Justement, comment ce deuxième volet a-t-il été pensé?

«Le premier était prévu comme un ‘one shot’, il se suffisait à lui seul. Donc, la question de départ a été: comment continuer? Même s’il restait peut-être deux ou trois petits fils sur lesquels on aurait pu tirer, l’histoire de cette première saison était bouclée. Et puis, vu ce qu’on apprenait sur le ‘héros’, le capitaine Luc Capitani, on imaginait mal qu’il ne passe pas par la case prison. Il avait quand même tué quelqu’un, le cachant durant des années…

«Pour l’avoir écrite, je sais que cette saison 2 est très différente, plus noire, plus urbaine aussi, et que certains spectateurs auront besoin d’un temps d’adaptation», explique Thierry Faber.  (Photo: Samsa Film)

«Pour l’avoir écrite, je sais que cette saison 2 est très différente, plus noire, plus urbaine aussi, et que certains spectateurs auront besoin d’un temps d’adaptation», explique Thierry Faber.  (Photo: Samsa Film)

Du coup, on est parti de là. Et on avait alors le choix: soit quelqu’un s’arrangeait pour lui éviter cette peine, soit il fallait qu’une personne le sorte de sa cellule pour le remettre sur le terrain. Vu la psychologie du personnage de Luc Capitani, la première option me dérangeait. C’est quelqu’un qui a besoin d’expier ce qu’il a fait.

Et vous en avez donc fait un infiltré dans le milieu de la mafia…

«Quand on écrit un scénario, les recherches sont importantes. Ici, j’ai notamment échangé avec des policiers. Je me suis ainsi renseigné sur le déroulement des infiltrations au Luxembourg. Avec cette question en tête: comment, dans un aussi petit pays où tout le monde se connaît, peut-on faire pour s’infiltrer? J’ai eu ma réponse et elle se trouve d’ailleurs dans la série. C’est simple, on fait appel à des personnes provenant de l’étranger. Jamais un Luxembourgeois ne joue les infiltrés. Et c’est justement là-dessus que nous avons joué, du fait que tout le milieu sait ça. Et profitant ensuite du fait qu’il est de notoriété publique dans la série que Capitani était en prison et est un meurtrier. Ce qui est la couverture idéale pour aller offrir ses services dans ce milieu de la pègre.

Un «milieu» que vous situez dans le quartier de la gare, à Luxembourg…

«On ne voulait pas faire passer Capitani d’un village à un autre. Nous avons alors pensé à le ramener ‘chez lui’. Dans la saison 1, on dit que c’est ‘un gars du sud’. Esch ou Dudelange ont été évoquées. Mais on s’est vite aperçu que ce n’était pas le cadre idéal pour ce que nous voulions faire. J’ai toujours trouvé les mondes de la drogue et de la prostitution très intéressants sur le plan cinématographique. Évidemment qu’une ville comme Esch est touchée par ces problématiques-là, mais après avoir échangé avec des personnes de la police judiciaire, il s’est avéré que cela n’avait pas de communes mesures avec ce qu’on rencontre dans la capitale et le quartier de la gare. C’est là que la criminalité est la plus haute en ce concerne la drogue et surtout la prostitution. Celle de rue, par exemple, n’existe, chez nous, qu’à cet endroit.

Le fait de prendre le quartier de la gare comme toile de fond? Nous ne sommes pas là pour enjoliver les choses. Ni pour les noircir, d’ailleurs. On dépeint une situation où il n’y a que des ‘perdants’.
Thierry Faber

Thierry Fabercréateur, showrunner et co-scénariste de Capitani

Après, il y a un troisième univers qui se mélange avec ces deux-là dans la réalité, mais auquel nous n’avons pas voulu toucher: la vente illégale d’armes.

Vous avez voulu cette série la plus réaliste possible?

«Je n’ai pas été interroger de dealers, drogués ou prostituées. Mais je suis allé le plus loin que je le pouvais, me rendant ainsi, par exemple, à la rencontre d’une association comme DropIn, le dispensaire luxembourgeois pour ‘sex workers’ et toxicomanes. Mais aussi son pendant belge situé à Arlon, Espace P. J’y ai récolté des infos précieuses. Évidemment, tout cela reste du cinéma et, parfois, on prend des raccourcis pour une meilleure compréhension du spectateur. Mais la manière dont fonctionne le milieu, d’où viennent ces personnes, comment elles essaient de survivre, etc., tout cela est tiré de la réalité. Nous avons également été tourner en Belgique, dans la ville d’Athus, qui est nommément identifiée dans la série et qui reste toujours considérée comme une plateforme pour la drogue et la prostitution.

Pour en revenir au quartier de la gare, en le prenant comme toile de fond, vous n’avez pas peur d’envenimer encore la situation?

«Nous ne sommes pas là pour enjoliver les choses. Ni pour les noircir, d’ailleurs. On dépeint une situation où il n’y a que des ‘perdants’. Je pourrais utiliser le mot ‘victimes’, mais je n’en ai pas envie. Vous savez, un jour, ce quartier ne connaîtra plus ces soucis-là. Regardez comment ils ont réussi à transformer la place de Paris, à quel point elle est magnifique aujourd’hui. Il en sera de même un jour, à la gare. Mais lorsque cela arrivera, on n’aura fait que déplacer le problème. N’importe quel policier des stups vous le dira: une société sans drogue, cela n’existe pas. Et c’est pareil pour la prostitution. Ce sont des soucis que n’importe quelle grande ville possède.

Financièrement, le budget de cette saison 2 est plus richement doté?

«On est passé de 2,6 à 3,5 millions. Le Film Fund Luxembourg nous a accordé la dotation maximale. RTL et la société de production belge Artemis Productions ont, eux, complété.

À quel point est-ce compliqué de monter une série au Luxembourg?

«Je ne suis pas producteur et je ne peux parler que de ce que j’ai vu et de ce que je connais. Mais ce qui est sûr, c’est que tout part d’une demande de RTL…

Pourquoi?

«Comme vous le savez, au Luxembourg, il n’existe qu’un guichet où l’industrie cinématographique peut se financer: le Film Fund. Si un producteur s’y présente avec un projet de film, on sait que celui-ci – s’il se réalise – sortira au cinéma. Mais, par contre, si vous arrivez avec une série, on vous demande directement qui est votre diffuseur. Et si vous n’en avez pas, on vous répond alors d’en chercher un et de revenir après. Or, vu que RTL est la seule chaîne chez nous capable de commander une série, tout passe donc forcément par elle.  

J’ai toujours trouvé les mondes de la drogue et de la prostitution très intéressants sur le plan cinématographique.
Thierry Faber

Thierry Fabercréateur, showrunner et co-scénariste de «Capitani»

Et pour «Capitani», tout est alors parti d’un appel à projets de RTL?

«Oui. Ce n’est pas un scénario qui traînait au fond d’un tiroir depuis longtemps [sourire]. L’appel à projets doit avoir eu lieu en 2015. On venait d’une phase où RTL avait sorti deux sitcoms, ‘Weemseesdet’ et ‘Comeback’. Je faisais partie de l’‘author’s room’ de cette dernière, mais j’avais envie d’autre chose que de comédie. Je voyais un public luxembourgeois se passionnant pour les séries policières allemandes. Et je me suis dit: pourquoi ne pas faire ça dans une version très luxembourgeoise?

En tout, RTL a dû recevoir 20 ou 25 projets. Ensuite, il y a eu tout un processus interne de sélection mené de concert par le Film Fund et RTL. Et le programme choisi, le nôtre, a ensuite été financé, le Fund mettant la majeure partie et RTL une autre plus petite part (lors de la première saison, celle-ci était de l’ordre de 10 à 15% du budget, ndlr). Si vous parvenez à convaincre ces deux acteurs, théoriquement, c’est bon pour vous.

On comprend mieux pourquoi on voit si peu de productions de série au Luxembourg…

«En six ans, RTL a fait deux appels à projets, le deuxième s’étant d’ailleurs terminé voici quelques jours. Donc, oui, ce n’est pas évident.

Après, le graal, ce serait de trouver dès le départ une deuxième chaîne (à l’étranger) ou une plateforme qui s’investirait. Cela permettrait de passer au niveau supérieur. Mais en restant à une échelle luxembourgeoise, avec les budgets disponibles, je pense qu’on a atteint un plafond de verre avec cette saison 2 de ‘Capitani’. On ne peut pas être plus ambitieux. On est sur 60 jours de tournage pour un peu moins de six heures de programme. Ce qui équivaut à un film réalisé en 20 jours et pour un budget de 1,2 million. Soit, pour ainsi dire, rien du tout…

«Une saison 3? Pour le moment, on n’en parle pas. Et je ne travaille pas dessus. Donc, il n’y aura rien à court terme, c’est-à-dire dans les deux ans à venir.» (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

«Une saison 3? Pour le moment, on n’en parle pas. Et je ne travaille pas dessus. Donc, il n’y aura rien à court terme, c’est-à-dire dans les deux ans à venir.» (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

On dit que vous aviez eu l’idée d’une série se déroulant dans le monde politique, dans le même genre que la danoise «Borgen» mais avant que celle-ci ne cartonne au début des années 2010…

«Je ne sais pas comment vous savez ça… [rires]. Ce n’est pas exactement ça. Avec Claude Waringo (le producteur de «Capitani», actif chez Samsa Film, ndlr), nous avions imaginé une fiction se déroulant dans le monde politique luxembourgeois. Mais nous n’avions pas songé au format d’une série. Pour nous, c’était un film. Et c’est vrai que lorsqu’on a vu ‘Borgen’, on s’est dit qu’ils avaient réalisé ce que nous avions en tête. Nous étions aussi beaucoup influencés par ‘À la Maison-Blanche’ (en version originale, ‘The West Wing’, ndlr). Une série que j’ai dévorée à trois reprises.

Et aujourd’hui, vous en êtes où de ce projet?

«Je ne sais pas trop ce que je peux vous dire… À l’époque, il avait avorté. Personnellement, depuis, je suis passé à autre chose. Mais je sais que Claude, lui, ne l’a jamais vraiment mis de côté. Ce que je peux encore vous dire, c’est que nous avons remis un projet voici quelques jours lors de l’appel de RTL. Cela parlerait d’une femme en politique… On verra ce qui sera décidé. Peut-être que ce projet avortera une deuxième fois. Mais en tout cas, il nous a bien motivés.

Lorsqu’on a vu la série politique danoise ‘Borgen’, on s’est dit qu’ils avaient réalisé ce que nous avions en tête…
Thierry Faber

Thierry Fabercréateur, showrunner et co-scénariste de Capitani

Quid d’une saison 3 de «Capitani»?

«Pour le moment, on n’en parle pas. Et je ne travaille pas dessus. Donc, il n’y aura rien à court terme, c’est-à-dire dans les deux ans à venir. Je ne dis pas qu’elle ne viendra jamais mais, pour l’instant, j’ai besoin d’autre chose.

Qu’allez-vous faire alors, maintenant?

«Cela peut parfois être compliqué à comprendre mais, avec tout le boulot qu’il y avait, cela ne fait que deux semaines que la saison 2 est terminée pour moi. Alors que, pour en avoir parlé avec l’acteur Luc Schiltz (qui joue Luc Capitani, ndlr), lui, cela fait huit mois que c’est derrière lui. Donc, j’ai besoin d’un peu de repos. Après, je me remettrai au boulot. Il faut savoir que c’est un job où on ne fait pas toujours ce qu’on veut. Mais plutôt ce qu’on vous autorise à faire. Il y a des gens qu’il faut réussir à convaincre.

Ce qu’on verra à partir de mardi sur RTL, cela représente deux ans de travail. Il faut alors aussi se demander si on est prêt à investir à nouveau deux années de sa vie dans un projet. Et repartir dans une phase où on sait que les rentrées financières seront moins élevées.

Que voulez-vous dire?

«Là, avec cette série, je sors d’une période où j’ai été bien rémunéré. Mais aujourd’hui, en tant qu’indépendant, tous les nouveaux projets que je vais remettre en route, je vais le faire gratuitement. Et ce pour une durée de plusieurs mois. Et sans savoir s’ils vont aboutir au final à quelque chose. Donc, vous comprenez que j’ai plutôt intérêt à avoir plusieurs projets, plusieurs chevaux dans la course. Et qu’à ce stade, je ne me lance pas à 100% dans un projet particulier. Ce serait suicidaire.

La belle réussite de la saison 1 de «Capitani» sur Netflix, un peu partout dans le monde, ne vous a pas ouvert certaines portes à l’étranger?

«Non. Cela n’a quasiment rien changé. Pour moi, comme pour les autres. Mon téléphone n’a pas sonné davantage. La seule porte qui s’est vraiment un peu ouverte est au Luxembourg. Parce que désormais, nous avons prouvé que nous pouvions réussir une série de l’envergure de ‘Capitani’. On a montré qu’on pouvait le faire.»