Arrivée à la tête de Luxinnovation sous l’impulsion d’Étienne Schneider, Sasha Baillie devrait endosser un rôle encore plus exigeant, celui de Maréchale de la Cour. (Photo: Mike Zenari/Maison Moderne/Archives)

Arrivée à la tête de Luxinnovation sous l’impulsion d’Étienne Schneider, Sasha Baillie devrait endosser un rôle encore plus exigeant, celui de Maréchale de la Cour. (Photo: Mike Zenari/Maison Moderne/Archives)

Sasha Baillie a su imposer sa patte à la tête de Luxinnovation. Alors que son arrivée à la Cour n’est pas encore confirmée, les enjeux technologiques, économiques et politiques invitent à une transition rapide et musclée. Les tâches ne manquent pas. Les bons profils non plus.

«Ce n’est pas à moi de confirmer ou d’annoncer quoi que ce soit!» descend de l’estrade du Luxembourg Investment Forum organisé par Indosuez à la Chambre de commerce, jeudi et vendredi. Sans le vouloir, la CEO de Luxinnovation confirme une rumeur rapportée par Reporter selon laquelle elle deviendrait dès le 1er janvier la nouvelle Maréchale de la Cour… Compte tenu de la nature de la fonction, évidemment, cette nouvelle ne peut être annoncée que par la Cour elle-même!

Le timing joue justement peut-être un rôle dans son transfert: le plan de performance de Luxinnovation prenait fin fin 2025, et comme Mme Baillie y était arrivée après un passage remarqué au ministère des Affaires étrangères sous Jean Asselborn, suivi d’un premier transfert au ministère de l’Économie auprès d’, en tant que directrice de cabinet adjointe – deux socialistes –, la nouvelle coalition avait peut-être envie de changer de tête, un exercice pas forcément inhabituel dans les rangs de la haute fonction publique.

Nous faisons beaucoup, et j’en suis fière, mais nous pouvons faire plus!
Sasha Baillie

Sasha BaillieCEO Luxinnovation

D’une certaine manière, c’eut été injuste, tant celle qui avait pris la cinquième place dans notre dernier Top100 des personnalités les plus influentes pour l’économie du pays avait mis de l’énergie à devenir une ambassadrice hors pair du pays, de son économie, de son soutien à l’écosystème des start-up et de l’innovation dans un mode d’humilité et d’empathie, hors clans politiques ou intérêts particuliers. Ce vendredi matin, pour aborder l’écosystème de l’innovation au Luxembourg au Luxembourg Investment Forum, au côté de celle qui dirige le Village by CA, Amélie Madinier, et de celui qui mène le développement de produits innovants pour SES, Thierry Draus, l’ancienne diplomate est exactement dans ce registre.

«Nous faisons beaucoup, et j’en suis fière, mais nous pouvons faire plus! Par rapport à notre PIB, les dépenses en recherche, développement et innovation ne sont pas suffisantes», répond-elle à la modératrice, Charlotte Kan. Mais il faut se méfier des statistiques qui disent le Luxembourg distancé, «parce qu’une grosse part de notre PIB provient du secteur financier qui n’est pas très actif en RDI. C’est un problème de statistiques, qui utilise les codes NACE pour essayer de décrire une réalité.»

«Quelque chose s’est passé ces 20 dernières années, les investissements ont été massifs dans des infrastructures de recherche, dans l’Université et dans les instituts de recherche et dans la collaboration avec le privé», détaille-t-elle pour un parterre de discrets investisseurs triés sur le volet, «Luxembourg est un écosystème qui se connaît bien, à taille humaine, dans lequel les gens ont des relations de confiance où les gens peuvent développer des solutions à partir de problèmes concrets et où l’interdisciplinarité à l’Université du Luxembourg est une très grande force.»

La CEO de Luxinnovation déroule l’argumentaire entendu sur toutes les scènes du monde, lors des voyages officiels ou des missions diplomatiques, dans les conférences ou les cocktails. «Toutes les nationalités présentes au Luxembourg, ce n’est pas qu’un atout en terme de multilinguisme mais aussi pour penser ou réfléchir. Les interactions pour résoudre un problème permettent d’ouvrir l’esprit à un tout autre niveau.» Elle maîtrise l’art du pitch mieux que 90% de nos startupers… Tout y passe. Les incubateurs, le support du gouvernement, les 50% de doctorants qui restent pour leur premier emploi au Luxembourg, le programme d’accélération de Luxinnovation qui doit trier parmi les 500 candidatures pour n’en retenir que 30 deux fois par an, les Luxembourg Venture Days (le 17 octobre) – pour essayer de résoudre le problème du financement des scale-up – les encouragements à la transition verte pour les PME et le nécessaire catalogue de solutions pragmatiques à leur apporter, la product circularity sheet – point de départ d’une démarche active sur la circularité.

«J’ai eu l’occasion de présenter notre écosystème à la Commissaire européenne récemment et elle m’a dit qu’elle prenait le Luxembourg en exemple de développement», dit-elle avec gourmandise. Et ce n’est pas que Mme Baillie se voile la face: la CEO de Luxinnovation préfère voir l’écosystème en construction, celui qui avance, peut-être pas assez vite, peut-être pas assez fort, mais dans le périmètre du pays.

Car tout n’est pas si rose. Outre les dépenses en RDI insuffisantes, Singapour, par exemple, a pris dix ans d’avance en matière d’intelligence artificielle; l’Automotive Campus était à l’arrêt jusqu’à ce que après qu’on n’ait plus jamais entendu parler du fameux triangle de la voiture autonome; sous la direction de Lex Delles, le ministère de l’Économie a dû lancer un plan de bataille pour trouver les financements pour «scaler», pour croître vite et à l’échelle européenne pour certaines start-up; le rapport Genome, commandé et à peine commenté par son prédécesseur,  (LSAP), pointait un certain nombre de problèmes structurels; d’autres écosystèmes avancent plus vite et mieux que nous à la faveur d’un véritablement engagement technologique, là où nous, nous nous interrogeons sur les suites à donner à la double stratégie sur l’IA, où le Premier ministre, (CSV), a promis des investissements dans un supercalculateur quantique, où les entrepreneurs innovants ont du mal à ouvrir un simple compte en banque et se noient dans la paperasse administrative face à laquelle le sandboxing tarde à émerger clairement…

Luxinnovation est à la croisée des chemins à peu près autant que le pays et il faut doter l’Agence publique d’innovation de moyens supplémentaires pour lui permettre d’exercer des missions de différents ordres, de la diplomatie du Luxembourg à une veille technologique poussée sur les signaux faibles et sur la réglementation – n’oublions pas que le pays a construit ses succès économiques sur une compréhension rapide et agile des niches potentiellement intéressantes, comme .

Une shortlist

À sa tête, il faut un CEO augmenté de moyens et d’ambitions. Mais qui? Aucun de ceux qui nous avons contactés ne veut répondre trop concrètement… puisque l’information n’a pas été officialisée, ce qui peut s’entendre. D’autres ont construit au cours de leur carrière une image qui matche très bien avec les enjeux.

Les CEO et présidents du comité de gérance n’ont pas toujours été un fonctionnaire ( et ) puisque deux personnalités de la société civile (Jean-Paul Schuler et ) y sont passés, leur mandat se terminant à chaque fois sur fond de différends avec l’ancien ministre de l’Économie, Étienne Schneider… «C’est là qu’il faut chercher», disent deux sources en chœur mais à distance. «Parmi les jeunes loups du ministère de l’Économie», où on pense à Bob Feidt ou Michele Gallo.

? De son passage dans deux gouvernements Juncker, l’avocat a construit une aura sur les dynamiques technologiques, qu’il continue d’alimenter aujourd’hui, même s’il répond invariablement qu’il a tourné le dos à la politique. Déjà à la tête d’une administration, ce spécialiste de la finance et de la finance du futur a aussi .

? Première conseillère auprès du Premier ministre et du ministre des Communications, elle a fait l’objet, au moment du premier gouvernement Bettel-Schneider, d’une rumeur qui la voyait «ministre de la Tech» du gouvernement. Elle a toujours pris ses distances face à la perspective d’être plus exposée, mais elle coche toutes les cases de cette mission. Mme Ries a ses entrées partout, puisqu’elle a assuré la coordination du digital entre toutes les structures publiques et privées, qu’elle exerce certains mandats comme celui d’administratrice de SES. Mais elle n’est pas affiliée au ministère de l’Économie ni même d’une instance membre du GIE…

Philippe Mayer? Le très discret «deputy CEO» depuis le début de l’année de Luxinnovation, d’origine messine, n’est pas luxembourgeois. Diplômé des Arts et Métiers Paris, il a gravi les échelons depuis 2018 et son arrivée au sein de l’agence publique d’innovation. Il faut tellement bien comprendre le «Luxembourg mindset» qu’il paraît difficile de croire qu’un non-Luxembourgeois pourrait être nommé à ce poste.

Philippe Linster? Le CEO de la House of startups coche aussi toutes les cases. Le profil le plus jeune est déjà membre du conseil de gérance de Luxinnovation, où il représente la Chambre de commerce. Lui aussi passe son temps à bâtir des ponts. Conseiller à la Banque de Luxembourg dans le service dédié aux entreprises et aux entrepreneurs, il avait sous sa responsabilité, à la Chambre de commerce, la plate-forme Investor Care dédiée au conseil des investisseurs étrangers intéressés par le Luxembourg et du programme d’éducation entrepreneuriale et des relations écoles-entreprises. Des thématiques très intéressantes dans le contexte de Luxinnovation.

Michele Gallo? Toujours aussi souriant que discret, celui qui dirige la branche «startup» de la direction générale «Industrie, nouvelles technologies et recherche» au ministère de l’Économie, a un joli pedigree à faire valoir. Après un passage dans une banque d’affaires à Londres où il participait à des fusions-acquisitions, il était revenu dans son Luxembourg où il s’était retrouvé à analyser les projets éligibles au régime d’aide aux jeunes entreprises innovantes ou le suivi de projets comme le Plug & Play Tech Center qu’il a contribué à mettre en place en 2011 avec le Luxembourg Trade Investment Office à San Francisco ou encore tout ce qui est lié aux projets d’infrastructures d’incubation, comme le Technoport. Il avait endossé plus récemment une partie de la responsabilité de la nouvelle roadmap vers les scale-up ou du Digital Tech Fund.