Claire Guilbert est avocate spécialisée dans la gestion des investissements et des fonds d’investissement chez Norton Rose Fulbright au Luxembourg. Elle conseille les gestionnaires d’actifs dans la structuration, la formation, l’offre et l’organisation de fonds d’investissement. (Photo: Norton Rose Fulbright)

Claire Guilbert est avocate spécialisée dans la gestion des investissements et des fonds d’investissement chez Norton Rose Fulbright au Luxembourg. Elle conseille les gestionnaires d’actifs dans la structuration, la formation, l’offre et l’organisation de fonds d’investissement. (Photo: Norton Rose Fulbright)

L’avocate chez Norton Rose Fulbright Claire Guilbert donne son point de vue sur les aspects positifs de la stratégie d’investissement de détail de la Commission européenne, sur ce qui devrait être amélioré et sur l’importance d’impliquer l’ensemble de la chaîne de valeur de l’industrie dans le cadre de la vente au détail.

En mai 2023, la Commission européenne a annoncé l’adoption d’une stratégie sur l’investissement de détail afin d’encourager les investisseurs de détail, ou non professionnels, à investir en toute sécurité et à bénéficier des marchés de capitaux de l’UE. Cette stratégie vise notamment à améliorer la manière dont les informations sont fournies aux investisseurs de détail, à protéger ces derniers contre les pratiques commerciales trompeuses et à accroître la transparence.

La proposition de la Commission est actuellement débattue par le Parlement et le Conseil européens. L’Efama (European Fund and Asset Management Association) a publié le 27 novembre ses . Celles-ci comprennent des évaluations quantitatives et qualitatives de la valeur tout au long de la chaîne de valeur, le maintien et l’extension du test d’amélioration de la qualité existant, le fait d’éviter d’ajouter des tableaux de bord peu clairs ou répétitifs aux documents d’information destinés aux investisseurs, et la fixation d’un délai de mise en œuvre dynamique.

Harmoniser les domaines de l’assurance et de l’investissement

Selon l’avocate spécialisée dans la gestion des investissements et des fonds d’investissement chez Norton Rose Fulbright, Claire Guilbert, le premier aspect positif de la stratégie de détail proposée est l’existence même d’une telle proposition. La «retailisation», c’est-à-dire l’augmentation de la participation des petits investisseurs, est un processus assez complexe.

«Il faut en fait un cadre complet qui s’adresse à ce type d’investisseur, de sorte que ce que vous mettez en place comme véhicules et produits d’investissement fonctionne réellement pour les investisseurs de détail, mais aussi pour les fabricants, les vendeurs et les gestionnaires de ces produits», explique Claire Guilbert. «Ils doivent également trouver leurs intérêts et être en mesure de vendre ces produits et de les adresser aux investisseurs de détail.»

Il s’agit d’un dilemme à deux faces. Ce qui est dans l’intérêt des investisseurs n’est pas nécessairement dans l’intérêt des vendeurs. Cette stratégie est donc un bon premier pas pour résoudre ce dilemme.

Il y aura plus d’harmonisation. Les investisseurs de détail auront accès à plus de produits et pourront les comparer plus facilement.
Claire Guilbert

Claire GuilbertavocateNorton Rose Fulbright

Pour qu’une solution fonctionne pour les investisseurs de détail, il est important de disposer d’un «cadre solide et sûr», car ces derniers n’ont pas la même compréhension de l’environnement et du secteur de l’investissement que les investisseurs professionnels.

«Cette stratégie concerne à la fois les produits d’investissement dans le cadre de Mifid et les produits d’assurance dans le cadre de la directive IDD. Il y aura une plus grande harmonisation. Les investisseurs de détail auront accès à plus de produits et pourront les comparer plus facilement», détaille Claire Guilbert. La vente des produits sera également plus facile.

«Pour l’instant, le monde de l’assurance et celui de l’investissement sont très distincts. Ils sont soumis à deux règles différentes et à des obligations d’information sur l’évaluation de l’adéquation et du caractère approprié des produits, les conditions d’éligibilité, etc. Il y aura donc une certaine forme d’harmonisation et d’alignement, et c’est une très bonne chose.»

Améliorer la culture financière

Un autre point positif de la stratégie concerne les informations à fournir et la nécessité de rendre les termes financiers plus compréhensibles. «Il y a des dispositions pour améliorer la culture financière, pour améliorer la manière de divulguer l’information, ainsi que pour aborder la numérisation à laquelle nous sommes confrontés afin d’essayer d’en tirer le meilleur parti», ajoute l’avocate.

Les moyens de distribution et la numérisation sont des domaines dans lesquels «il y a une carte à jouer». Supposons qu’une plateforme numérique soit prête à vendre un produit. «Si l’évaluation et la divulgation sont facilitées, les banques verront plus d’intérêt à accepter de vendre ces produits également aux investisseurs de détail», précise Claire Guilbert.

Des critères de référence difficiles à mettre en œuvre

Aborder la question du rapport qualité-prix est également une bonne chose, note l’avocate. Mais «la manière dont elle est abordée actuellement ne me semble pas appropriée, pas adéquate pour le monde de l’investissement alternatif ou pour le monde de l’investissement en général».

L’Efama est du même avis, a-t-elle ajouté, se référant aux recommandations de l’association sur la stratégie d’investissement de détail. L’association est opposée aux indices de référence quantitatifs «value for money», car ils ne se concentrent que sur les coûts (indus), vont trop loin dans la fixation des prix du marché et découragent la recherche et l’innovation dans les fonds.

Le critère de référence de la Commission serait très difficile à mettre en œuvre et aurait un impact sur la concurrence sur le marché, ajoute Claire Guilbert, certains acteurs ne pouvant pas continuer à opérer dans l’industrie. Un point qu’il faut «absolument» aborder.

Plus de transparence, mais aussi plus de réflexion

«Je pense que la solution passera plutôt par une plus grande transparence des coûts», indique-t-elle. De nombreux coûts entrent en ligne de compte, y compris ceux sur lesquels les gestionnaires n’ont aucun contrôle. «Il est très difficile d’avoir une vision granulaire de tous les coûts supportés par la structure. S’il faut les séparer coût par coût, ligne par ligne, c’est très difficile», explique Claire Guilbert. 

À l’avenir, une plus grande transparence sera essentielle. Mais cela nécessitera davantage de réflexion et de discussion. «Sinon, nous risquons vraiment de perdre les petits gestionnaires – les petits acteurs – parce que le coût des opérations sera trop élevé et qu’il ne vaudra pas la peine de s’adresser ou de cibler les investisseurs de détail.»

Prendre le temps nécessaire

Une fois que la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen aura fini de discuter de la proposition de la Commission européenne, elle la votera, probablement au début de l’année 2024. Une version amendée du rapport sera ensuite publiée et discutée, et les parties prenantes et les États membres de l’UE feront part de leurs commentaires. Au Luxembourg, par exemple, l’Alfi apportera probablement sa contribution.

L’Autorité européenne des marchés financiers (Esma) a également publié une consultation sur les coûts indus liés à la stratégie d’investissement de détail, ainsi que des amendements à la directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (AIFMD).

Compte tenu de l’impact sur un si grand nombre de réglementations clés en Europe, je pense vraiment qu’il vaut la peine de prendre le temps de s’assurer que nous faisons les choses correctement.
Claire Guilbert

Claire GuilbertavocateNorton Rose Fulbright

Les élections au Parlement européen auront lieu en juin 2024. Cependant, Claire Guilbert a indiqué qu’elle serait surprise si le texte final était approuvé avant les élections de l’année prochaine. «Étant donné l’impact sur un grand nombre de réglementations clés en Europe, je pense vraiment qu’il vaut la peine de prendre le temps de s’assurer que nous faisons les choses correctement.»

Selon elle, le plus grand risque est que «nous perdions l’intérêt des gestionnaires d’actifs, des distributeurs, des fabricants de produits et des acteurs du marché en général, et qu’ils ne trouvent pas d’intérêt à vendre leurs produits aux investisseurs de détail parce que c’est une charge trop lourde et pas assez lucrative». Et ce serait dommage, compte tenu des efforts déployés pour ouvrir le monde aux investisseurs de détail. Il sera essentiel de trouver un moyen de protéger les investisseurs tout en permettant aux émetteurs de continuer à exercer leurs activités de manière significative et à percevoir des commissions.

«Les acteurs majeurs sont intéressés; ils peuvent se le permettre, ils ont des opérations importantes, ils ont l’infrastructure suffisante pour s’adresser aux particuliers», explique Claire Guilbert. D’autre part, les canaux de distribution doivent être facilités pour les petits et moyens acteurs, mais il est également important de ne pas faire peser une charge trop lourde sur les distributeurs.

«Dans la proposition actuelle de stratégie d’investissement dans le commerce de détail, plusieurs mesures ne sont pas de nature à encourager les distributeurs", ajoute-t-elle. Bien que la proposition de la Commission européenne s’adresse aux investisseurs de détail, «elle nécessite l’implication et les efforts de tous les participants de la chaîne de valeur - et nous ne devons pas les oublier».

Tanguy van de Werve, directeur général de l’Efama, a soulevé un point similaire dans le de l’association professionnelle accompagnant ses recommandations. «Si nous voulons accroître la participation des particuliers aux marchés de capitaux, le débat sur la stratégie d’investissement des particuliers ne doit pas se limiter aux commissions et aux coûts. Nous devons parler de la création de valeur pour les investisseurs, de l’évaluation de leurs différents besoins et objectifs, et de la prise en compte de l’ensemble de la chaîne de valeur de l’investissement.»

Cet article est issu de la newsletter Delano Finance, le rendez-vous hebdomadaire pour suivre l’actualité financière au Luxembourg, en anglais et en français. . Vous pouvez lire cet article en anglais sur .