Manuel Maleki est économiste chez Edmond de   Rothschild (Photo:  Edmond de   Rothschild )

Manuel Maleki est économiste chez Edmond de   Rothschild (Photo: Edmond de   Rothschild )

Manuel Maleki, économiste matières premières et États-Unis du groupe Edmond de Rothschild, se penche sur l’histoire et l’utilisation des stocks stratégiques, un outil mis en place après le premier choc pétrolier de 1973.

Le premier choc pétrolier de 1973 s’était traduit par la décision des pays de l’Opep de réduire leurs exportations de pétrole et d’exiger un prix plus élevé. Cela avait provoqué aux États-Unis une multiplication par trois des prix des importations de pétrole. Face à ce choc, les pays consommateurs ont eux aussi décidé de s’organiser et ils ont créé l’Agence Internationale pour l’Énergie (AIE) dont le but est de travailler à la stabilité du marché de l’énergie. Dès 1975, les membres de l’AIE se mettent d’accord pour la création de stocks stratégiques qui doivent représenter environ 90 jours de consommation, de façon à pouvoir faire face à des problèmes d’approvisionnement de court terme. Les États-Unis sont le pays qui stocke le plus, avec des niveaux qui peuvent atteindre un milliard de barils. Au niveau mondial, l’AIE estime que les stocks stratégiques atteignent 1,5 milliard de barils.

Ces stocks prennent principalement deux formes: des stocks publics gérés par des agences gouvernementales ou des obligations faites aux entreprises du secteur de maintenir des niveaux de stocks.

Depuis le début de l’année, certains états de l’AIE, dont les États-Unis, la France et le Japon, ont décidé d’utiliser par deux fois leurs stocks stratégiques dans le but d’augmenter l’offre de pétrole. Au total, on atteint 240 millions de barils qui vont être libérés sur le marché. Notons que 19 pays participent à l’utilisation des stocks stratégiques le 1er avril 2022, à une hauteur de 120 millions de barils. Notamment, la France va libérer un peu plus de six millions de barils tandis que le Japon va en libérer 15 millions et les États-Unis un peu plus de 60 millions. En additionnant les deux libérations de 2022, on atteint un total de 240 millions de barils sur les six prochains mois, soit 1,5 million de barils par jour ou près de 2% de la demande mondiale.

Une utilisation politique qui le détourne de sa fonction première

D’un point de vue institutionnel, seul le président des États-Unis est habilité à autoriser l’utilisation des stocks stratégiques américains. En effet, historiquement, le but était de faire face à une pénurie physique de pétrole et non pas de lutter contre une hausse des cours. Or, aujourd’hui, il apparaît qu’il y a clairement une dimension politique dans cette décision. La notion d’urgence, même si elle est inscrite dans The Energy Policy and Conservation Act de 1975, semble avoir été quelque peu détournée de son sens premier au cours du temps. L’objectif actuel est donc de montrer aux ménages et aux entreprises que le président agit pour lutter contre la hausse des prix des produits énergétiques. Au-delà de la dimension communicationnelle et domestique, il faut s’interroger sur l’efficacité d’une telle mesure et donc de son impact sur le prix au niveau mondial.

En effet, l’outil a initialement été conçu pour faire face à des difficultés techniques comme, par exemple, permettre au marché d’être approvisionné le temps de réparer des infrastructures endommagées. Dès lors, le détourner de sa fonction initiale pour en faire un outil de pilotage des cours peut se révéler inefficace.

De plus, pour optimiser l’impact sur les cours, il est nécessaire de réunir deux conditions: le volume et la surprise. Sans la libération d’un volume conséquent de pétrole, les investisseurs vont considérer que cela n’aura pas d’impact sur l’équilibre entre l’offre et la demande. Il y a évidemment une dimension psychologique dans le fait de considérer si le niveau est suffisant ou non, et c’est là où l’effet de surprise est essentiel. Or, l’administration Biden a jusqu’à présent toujours communiqué très en avance sur la possibilité d’utiliser les stocks stratégiques, limitant ainsi l’effet sur les prix du brut.

Un «track record» historique décevant

Avant 2022, le SPR a été utilisé quatre fois avec des résultats mitigés. La première fois, lors de la première guerre du Golfe en 1991, par le président George Bush, juste après le début des frappes américaines. Le prix a alors baissé passant de 33 dollars par baril à moins de 20 dollars. Toutefois, il est difficile de savoir si c’est l’utilisation des stocks stratégiques qui a fait baisser les cours ou bien la perspective que la guerre soit courte. Historiquement, on observe que les cours peuvent être très volatils avant un conflit, mais qu’ils peuvent se stabiliser lors de son déclenchement. La deuxième utilisation a eu lieu en 2005, suite aux destructions causées par l’ouragan Katrina qui avait endommagé des raffineries. Le Président George W. Bush avait décidé de libérer 60 millions de barils, le temps de remettre en état les installations. L’annonce avait provoqué une baisse des cours de quelques dollars avant de retrouver son niveau d’avant annonce un mois plus tard. Le troisième épisode est celui de la guerre en Libye où l’utilisation des stocks stratégiques n’a pas empêché l’accroissement des cours: si l’on peut argumenter que les cours auraient pu augmenter davantage, c’est toutefois invérifiable. Enfin, le 23 novembre dernier le président Biden et d’autres pays dont l’Inde et la Chine ont décidé d’agir, mais sans résultats, le prix du pétrole ayant continué sa progression.

2022: nouvelles utilisations, mêmes résultats

Les annonces faites récemment semblent avoir surtout généré de la volatilité sur le marché sans permettre de dessiner une tendance baissière. Il apparaît donc que l’utilisation des réserves stratégiques est un outil peu efficace pour influer sur les cours et qu’il est plus adéquat pour répondre à des difficultés d’approvisionnement physique. Malgré cette inadéquation, l’optimisation de l’effet sur le marché ne peut se faire qu’en déterminant le «bon» niveau de libération, qui lui dépend d’autres éléments du marché comme l’attitude des producteurs, les anticipations sur la demande, le niveau des stocks, etc. Dès lors, il est important de trouver la fenêtre d’opportunité qui permet de maximiser l’effet en fonction de tous ces éléments. Enfin, pour que l’effet soit maximal, il est nécessaire de surprendre les acteurs du marché, cela ne peut se faire qu’en réduisant la communication. Or nous avons jusqu’ici observé le contraire.

Ainsi, l’utilisation approximative d’un outil inadéquat à des fins politiques, sans une fenêtre d’opportunité, amène à des effets limités qui se caractérisent par plus de volatilité sur le marché, une légère baisse du prix de l’or noir à court terme avant une reprise des cours.

Tant que l’outil et ses conditions d’utilisation ne seront pas repensés, l’impact sur le prix du pétrole ne pourra qu’être anecdotique.