En mars dernier, le jeune (38 ans) prenait la succession de l’«historique» , celui-ci quittant ses fonctions à 62 ans et après 14 ans de service. Une révolution à l’échelle de l’Horesca (1.350 membres), et un discours résolument offensif face aux dossiers chauds qui attendaient sur la table, entre inflation et main-d’œuvre manquante, disparition des cafés et petits hôtels en souffrance…
Onze mois plus tard, et auréolé d’une récente victoire obtenue face aux contrôles jugés trop répressifs de l’Inspection du travail et des mines (ITM), il s’estime sur la bonne voie.
Elle est passée vite, cette première année?
Steve Martellini. – «D’autant plus vite que les dossiers n’ont pas manqué en interne. Le bureau de l’Horesca a changé, on s’est attaché à installer le secrétariat. On a également instauré pour nos membres la possibilité de prendre rendez-vous sur place. Cela n’existait pas auparavant. 64 rendez-vous de ce genre ont eu lieu l’année dernière. Autre nouveauté: l’organisation de ‘Meet the Members’, ces visites que l’Horesca programme elle-même auprès de ses membres. Un travail de terrain qui permet d’engager un vrai dialogue. 17 déplacements ont déjà été faits. Dernier point: la création d’un groupe de travail réunissant l’hôtellerie, la restauration et les cafés, ce qui crée une vraie dynamique. Chacun évoque ses problématiques. L’occasion d’échanger des best practices et de confronter des points de vue.
On comprend de ces premières initiatives que vous souhaitez vous rapprocher des professionnels. Vous trouvez que l’Horesca ne travaillait pas suffisamment en proximité jusqu’ici?
«Il faut être honnête, c’est quelque chose qui faisait défaut. On a toujours bien travaillé, et notamment pendant le Covid, mais il manquait cet aspect de proximité. Le secteur nous le reprochait. La nouvelle formule du magazine est un autre exemple de ce lien avec nos membres. Ils se retrouvent dans nos pages, c’est une contrepartie appréciée. C’est le bon chemin pour l’avenir.
Comment parler d’une seule voix quand, du petit patron de bistrot au gérant d’un grand restaurant, on exerce des métiers très différents?
«On ne peut pas être sur une seule ligne sur tous les sujets, mais il y a des thématiques communes. L’attractivité en est une. Prenons l’exemple de la pénurie de personnel. Beaucoup de restaurants ont décidé de fermeture durant deux ou trois jours dans la semaine pour faire face à cette difficulté. Ils ont su s’adapter, et ça fonctionne plutôt bien. Ce sont des sources d’inspiration possibles.
On a toujours eu un bon dialogue avec nos ministres de tutelle. Mais on ne parlait pas forcément avec les autres.
Vous parliez du magazine. Dans l’édito que vous signez en ouverture du dernier numéro, vous insistez beaucoup sur la notion de dialogue avec les décideurs politiques et les administrations. Ce dialogue-là aussi, vous estimez qu’il était absent?
«On a toujours eu un bon dialogue avec nos ministres de tutelle. Mais on ne parlait pas forcément avec les autres. Ça aussi, on l’a changé. Des rendez-vous ont été pris avec les partis politiques, y compris les plus jeunes partis. On doit faire savoir ce qu’est notre branche, et en quoi elle est parfois différente d’autres branches. On a même un rendez-vous avec l’OGBL, ce qui n’était jamais arrivé. Je ne veux pas me fermer. Pour avancer, il faut parler ensemble.
L’actualité, c’est le ministre du Travail, qui demande à l’ITM de changer son fusil d’épaule dans ses rapports avec l’hôtellerie-restauration, en privilégiant la prévention à la répression. Cette revendication, vous la portiez depuis longtemps. Que se passait-il? Vous en aviez marre de vous faire sans arrêt taper sur les doigts?
«On a eu un dialogue constructif pour aboutir à cette décision. Pour le nourrir, on avait mené une enquête auprès de nos membres leur demandant la fréquence des contrôles, les points sur lesquels portaient ces contrôles, les problèmes qui avaient été relevés… On s’est aperçu que l’on n’était pas les plus mauvais élèves. J’ai pourtant dans mon bureau plusieurs dossiers délicats. Le ministre du Travail s’est montré à l’écoute. En contrepartie, on a édité une brochure de sensibilisation pour informer nos membres de l’ensemble des règles en vigueur. Les choses sont claires.
Chaque secteur d’activité a des spécificités et les problèmes qui vont avec en matière de respect des règles. N’avez-vous pas le sentiment de bénéficier d’un traitement de faveur?
«Faveur, je ne crois pas. Il est faux de dire que l’Horesca ne veut plus de contrôles. En revanche, on veut plus de flexibilité. Je vous donne un exemple. Un restaurateur fermé le dimanche qui fonctionne avec 90% de salariés français. Ces salariés demandent tous à être en congé le mercredi, car l’école est fermée en France. Le patron est d’accord, les employés le sont. Gagnant-gagnant. Lors d’un contrôle, l’ITM a pourtant sanctionné le restaurateur parce qu’il ne donne pas deux jours de repos consécutifs à ses collaborateurs… Autre cas: une dame titulaire d’une carte de séjour en Belgique et ayant reçu au Luxembourg une carte de sécurité sociale. Après un an de travail dans un établissement, on s’est aperçu qu’elle était en situation illégale au Luxembourg. 10.000 euros d’amende. Ce n’est pas normal. Il n’y a aucune instance au Luxembourg où l’on peut demander si tout est en ordre concernant les personnes que l’on embauche. C’est une demande que l’on porte. Dernier point: les contrôles de l’ITM en plein service. Arriver à huit personnes, tout bloquer… Vis-à-vis de la clientèle, cela donne une image très négative.
Figurer sur la liste des métiers en pénurie [de l’Adem], j’en rêve.
La pénurie de personnel reste un défi majeur. Quelles sont les initiatives de l’Horesca pour attirer et fidéliser les talents?
«On sensibilise nos membres à déclarer leurs offres d’emploi. Cela a beau être obligatoire, seuls 63% des entreprises le font. Un taux insuffisant pour nous permettre de figurer sur la liste des métiers en pénurie. J’en rêve pourtant! Autre aspect: la formation. Des discussions ont lieu avec la House of Training et l’école hôtelière de Diekirch. On peut imaginer un employeur y envoyer, pendant une semaine ou deux, deux ou trois salariés non qualifiés afin qu’ils apprennent les bases du métier. On emploie beaucoup de non-qualifiés, mais on est l’un des rares secteurs où quand vous commencez plongeur vous pouvez finir gérant de restaurant ou directeur d’hôtel. Il faut le faire savoir. Et communiquer sur les salaires également. On n’a pas à rougir. Ils sont certes au minimum pour les employés non qualifiés, mais dans les tranches supérieures la moyenne est de 3.800 euros brut et 4.600 euros brut. Les échanges avec l’école hôtelière portent aussi sur les élèves à la fin de leurs études. Beaucoup d’entre eux partent prendre de l’expérience à l’étranger. Comment faire pour les retenir et les introduire dans notre circuit?
Dans l’hôtellerie, les ouvertures en cours ou à venir s’orientent majoritairement vers des établissements d’envergure, orientés tourisme d’affaires. Un changement de paradigme?
«On est content que les grands groupes viennent, cela montre que le Luxembourg est intéressant. Mais c’est une concurrence pour les petites structures. La question est de savoir comment les aider. En fait, on a deux problèmes dans le secteur. D’une part, les cafés, dont le nombre d’établissements diminue. Même avec la bière, on ne gagne plus autant qu’avant. Les gens boivent moins, les habitudes ont changé. L’autre problème, ce sont les hôtels. Là, c’est un problème de financement. Imaginez-vous sortir de l’école et avoir en tête de construire un hôtel d’une vingtaine de millions… Aucune banque ne sera d’accord! Se pose aussi la problématique de la succession dans les entreprises familiales. Quand il y a deux ou trois héritiers, il y en a toujours un ou deux qui ne travaillent plus dans l’hôtel, mais à qui il faut donner des parts. On réfléchit à des mesures de soutien. Avec le ministère des Finances, on réfléchit, comme cela se fait à l’étranger, à une banque de tourisme qui apporterait un financement au départ et qui aurait un droit de priorité jusqu’à un certain moment.
Quand un hôtel est-il rentable et quand ne l’est-il pas?
«En ville, un minimum de 40 chambres est nécessaire. À la campagne, en dessous de 25 chambres, cela ne vaut pas le coup pour une petite structure. À ce titre, le Mullerthal nous donne des maux de tête, car là-bas il n’y a plus rien du tout. On y regarde de près.
Une enquête montre que la clientèle regrette un manque de diversité dans les restaurants.
Dans la restauration aussi les groupes sont légion, concentrant parfois un gros portefeuille d’établissements.
«On peut comprendre la logique de ces groupes comptant jusqu’à douze ou treize restaurants. Pour les problèmes avec le personnel, par exemple, c’est plus simple. S’il y a un malade à un endroit, quelqu’un d’un autre établissement peut venir le remplacer. Quant à l’aspect financier, la marge a baissé pour tout le monde, mais quand on met tout en commun dans un pot, il en ressort quand même une belle somme. Mais le revers de la médaille, c’est qu’une enquête montre que la clientèle regrette un manque de diversité dans les restaurants. Or ces tables que nous évoquons proposent souvent la même chose à la carte. Si elles en prennent conscience, cela sera à mon avis un avantage pour les petites structures. Elles peuvent y trouver un facteur différenciant. Au même titre que la personnalisation de l’accueil, que l’on ne retrouve pas ailleurs. Ça aussi, il faut le cultiver.
L’offre gastronomique actuelle au Luxembourg vous satisfait-elle?
«Avec dix étoilés, dont un ‘deux étoiles’, on est à un haut niveau par rapport à l’étranger. Nos chefs sont des ambassadeurs du Luxembourg. Maintenant, il y a deux sons de cloche. D’un côté, ceux qui disent que pour eux les choses se passent très bien, tant au niveau fréquentation que du personnel, parce qu’ils ont la possibilité de proposer un logement ou deux-trois extras par exemple. De l’autre, ceux qui sont plus en difficulté avec la clientèle et avec le personnel. On ne peut pas mettre tout le monde dans le même panier. Je note néanmoins qu’il nous manque une véritable ‘scène gastronomique luxembourgeoise’. Mettre en avant nos propositions, organiser des événements gastronomiques, défendre les produits locaux… Cette ‘scène’ permettrait de mieux valoriser notre offre.
Quel que soit le standing du restaurant, les prix affichés sont parfois dissuasifs. Vous en convenez?
«Les prix montent pour le client, mais ils montent aussi pour le secteur. Quand le coût de l’eau augmente, on est touché. Quand le coût de l’électricité augmente, on est touché… Idem pour les matières premières. Idem pour le prix des poubelles. Une campagne de sensibilisation est là aussi nécessaire pour expliquer aux gens ce que l’on gagne vraiment. J’ai en tête un exemple avec la bière où sur un prix de vente de 3,50 euros, il ne reste que 18 centimes. On ne travaille pas que pour le plaisir.
Après un an de fonctionnement, comment se porte le tandem que vous formez au côté du président Alain Rix. Vous le «petit nouveau», lui en poste depuis 2009…
«Il a l’expérience de ces nombreuses années et est très connecté au monde politique et à celui de l’administration. Sur certains thèmes, il peut se montrer critique et plus sec que je ne le suis. Moi, je fais les choses de manière un peu plus diplomatique. On est complémentaire, on a trouvé une très bonne entente. Il est très ouvert, y compris avec les jeunes.
Son mandat s’achève en 2026. Vous préparez sa succession?
«Je ne mets pas de pression. On n’en a pas parlé de manière spécifique encore. On a beaucoup de dossiers, on reste concentré. C’est un sujet qui sera évoqué en fin d’année, j’imagine.»