La stagflation est classiquement définie comme une période de taux d’inflation élevés accompagnée d’une croissance économique ralentie, voire négative, et d’un taux de chômage élevé. Elle est considérée comme une catastrophe pour l’économie et les investisseurs. De plus en plus souvent, la comparaison entre l’âge d’or de la stagflation – les années 1970 – et la situation économique actuelle est évoquée.
À tort ou à raison? Chez Pictet comme chez Ethenea, on reste prudent sur ce terrain.
Frédéric Rollin, senior investment adviser chez Pictet, relève cette conjonction entre plus d’inflation et moins de croissance.
Le mot ‘stagflation’ n’a jamais été aussi présent sur les moteurs de recherche.
«La confusion règne dans les chaînes de production et d’approvisionnement. D’un côté, les prix du cuivre se sont stabilisés et le coût du transport maritime recule. Mais les prix agricoles remontent fortement, et la Chine vient d’annoncer de nouvelles restrictions. La production industrielle souffre de pénurie, la croissance ralentit et les craintes d’inflation durent plus longtemps que prévu. Le mot ‘stagflation' n’a jamais été aussi présent sur les moteurs de recherche.»
Mais, pour lui, le cycle économique devrait rester «solide» grâce aux effets conjugués de la situation financière très favorable des ménages des deux côtés de l’Atlantique, d’une demande solide et d’une reconstitution des stocks tandis que la possibilité d’une inflation galopante «reste faible». Frédéric Rollin parle d’ailleurs plutôt d’une inflation «trottinante».
«Aux États-Unis, les salaires grimpent par manque de main-d’œuvre, mais les enquêtes montrent que la plupart de ceux qui manquent aujourd’hui à l’appel pensent rechercher un emploi dans les 12 prochains mois, lorsqu’ils pourront remettre leurs enfants à l’école, qu’ils auront moins peur d’être malades ou qu’ils ne bénéficieront plus d’aides. Toutefois, si on tient compte de la lenteur du recul de l’épidémie et de la force de la demande, l’inflation américaine restera plutôt élevée en 2022.»
Bref, on est plus dans une période de surchauffe que dans une période de stagflation.
Comparaison n’est pas raison
Pour Andrea Siviero, investment strategist chez Ethenea, «certains signes laissent à penser que l’économie mondiale pourrait prochainement entrer dans une phase de stagflation semblable à celle des années 1970».
«On peut affirmer sans l’ombre d’un doute que l’environnement actuel, caractérisé par une croissance modérée et une inflation durablement élevée, fait peser des risques considérables sur la croissance mondiale tout en plaçant les dirigeants politiques dans une situation inconfortable. L’inflation durablement élevée peut entraîner un durcissement des conditions financières et un ralentissement de la dynamique de croissance en limitant la production et en ébranlant la confiance des consommateurs. Toutefois, un durcissement préventif injustifié de la politique monétaire pourrait étouffer la reprise économique sans parvenir à enrayer efficacement l’inflation par les coûts.»
Pour autant, «sans minimiser les défis posés par l’environnement actuel, une inflation durablement élevée devrait être considérée comme un risque résiduel», estime l’analyste, pour qui on ne peut comparer la situation actuelle à celle des années 1970. Et ce pour au moins trois raisons.
Globalement, rien ne laisse présager un retour de la grande inflation des années 1970.
D’abord, si la phase d’adaptation fait suite à une reprise aussi brusque que l’a été l’arrêt de l’activité pour cause de pandémie, la croissance reste solide. «Malgré les corrections récentes, les analystes estiment que les taux de croissance resteront soutenus en 2021 et 2022 et dépasseront la croissance tendancielle des dernières années.»
Ensuite, la crédibilité des banques centrales aujourd’hui est sans commune mesure avec celle des années 1970 et 1980 où elles n’ont pu empêcher ni le choc inflationniste des années 70 ni la récession des années 80. «L’ancrage de la politique monétaire autour d’une cible d’inflation et les mesures des banques centrales des 30 dernières années ont significativement contribué à asseoir la crédibilité des banques centrales et à enrayer l’inflation.»
Enfin, l’origine des pressions inflationnistes est différente. Dans la décennie 70, l’origine était une combinaison de mauvaises décisions politiques, de la retenue de la Réserve fédérale et d’un bouleversement historique du système monétaire international qui s’est accompagné de deux crises pétrolières.
«Aujourd’hui, les récents moteurs inflationnistes reflètent le dynamisme de l’activité économique, la flambée des prix de l’énergie et les déséquilibres exceptionnels et vraisemblablement provisoires entre l’offre et la demande induits par la pandémie.» Andrea Siviero voit les deux derniers facteurs se résorber rapidement et relève que les hausses de salaire demeurent limitées, restent concentrées dans les secteurs touchés par la pandémie et concernent surtout les faibles revenus.
«Globalement, rien ne laisse présager un retour de la grande inflation des années 1970», estime-t-il. En restant attentif aux risques liés à l’augmentation des anticipations d’inflations, qui pourrait précipiter la normalisation de la politique monétaire dans les économies avancées et donc nuire à la reprise. Il ne faudrait pas que le déséquilibre entre l’offre et la demande dure plus longtemps que prévu…