«Spring Awakenings» est la chronique d’un groupe d’adolescents qui découvrent les tumultes de la sexualité et luttent pour naviguer dans un monde déchiré entre la surabondance de l’information et le désir croissant de structuration. Pour cette création multilingue, la metteuse en scène Anne Simon et l’auteur-dramaturge Antoine Pohu se basent sur la pièce «Frühlingserwachen» de Frank Wedekind, qu’ils réinvestissent de nouveaux éléments tirés d’entretiens et élaborés dans le cadre d’ateliers avec des adolescents. Le matériel de base de la pièce audacieuse, écrite en 1891 mais qui résonne de manière troublante avec des sujets brûlants actuels, est ainsi complété et remis en question, reflété et contesté par les réalités et les voix des jeunes d’aujourd’hui.
Anne Simon et Antoine Pohu en disent plus.
Quel est le point d’origine de cette nouvelle création?
Anne Simon. – «Il s’agit d’une commande pour le focus adolescent des Théâtres de la Ville de Luxembourg pour lesquels je suis artiste invitée. , le directeur, m’a suggéré ce texte de Frank Wedekind, ‘Frühlingserwachen’ qui date de la fin du 19e siècle. J’ai proposé à Antoine Pohu de se joindre à la création pour retravailler le texte qui parle de la sexualité chez les jeunes. Ce sujet est à la fois différent d’il y a plus d’un siècle et en même temps pas si différent. Ce sujet est en même temps diamétralement opposé, car tabouisé à l’époque et surexposé aujourd’hui, mais ce qui en résulte, le fait de ne rien savoir ou de trop savoir, revient au même, c’est-à-dire que c’est toujours aussi difficile de trouver son chemin dans le chaos de la construction de son identité.
Et c’est comme cela que vous avez choisi de faire un mélange entre le texte existant et un nouveau texte?
Antoine Pohu. – «Ce qui reste très présent entre le texte d’autrefois et aujourd’hui, c’est qu’on a beau savoir comment fonctionne la sexualité, ou plutôt la reproduction, car c’est plutôt cela qu’on apprend, cela ne veut pas dire qu’à cet âge de l’adolescence on a appris à gérer ses émotions, comment on traite les gens qu’on aime ou qu’on n’aime pas, comment comprendre qui on est et toute la violence qu’on produit envers soi-même ou envers les autres si on ne comprend pas. C’est très présent, souvent sous d’autres angles que ce qui est dans le texte, et le texte nous sert finalement de filtre qui à la fois tord et illumine le sujet. Il donne un cadre et permet de faire des pas de côté, de travailler avec des métaphores ou des échos.
Vous avez mené des ateliers avec des jeunes pour cette création. Qu’avez-vous travaillé avec eux? A. P. – «Nous avions un groupe de neuf adolescents volontaires. Nous avions préparé des questions par thématiques. Nous n’avions pas prévu de lire le texte, ni de faire des cours de théâtre, mais de créer plutôt un espace de parole. D’un niveau théâtral, nous avons pu observer comment se comportent les adolescents, leur gestuelle, leurs interactions en groupe, et pour l’écriture nous avons pu découvrir la texture et la couleur de leur langue, les mots qu’ils utilisent, leurs manières de parler. J’aime beaucoup ces ateliers participatifs en écriture de théâtre, car la couche la plus délicate d’une écriture est ce dernier pointillé de couleurs, la façon dont parle quelqu’un. Et dans un projet comme celui-ci, c’est ce qui est donné dès le début. On écrit avec les paroles, les manières d’être des gens.
Est-ce que les ajouts contemporains sont venus facilement?
A. P. – «Cela a été un long métabolisme plutôt. Il est sorti un fil narratif très léger au départ, que nous avons travaillé avec Anne. Puis, nous avons commencé à travailler avec le groupe de comédiens autour d’un texte qui n’était volontairement pas fini. Avec leur apport, j’ai retravaillé le texte qui a continué à évoluer.

Cette pièce aborde la question de la sexualité des adolescents, mais aussi la construction de son identité. (Photo: Bohumil Kostohryz)
La musique joue un rôle important également. Vous avez travaillé avec Edsun. Pourquoi?
A. S. – «La musique est un moyen d’expression qui est très présent dans la vie des jeunes. Edsun a été intégré dès le début, est venu avec nous dans les workshops, pour qu’il puisse aussi s’inspirer de la parole des jeunes pour faire les chansons.
A. P. – «La musique chez les ados que nous avons rencontrés est souvent utilisée pour dire des choses, mais sans la parole. C’est un lieu de fuite, quand on n’arrive pas à verbaliser quelque chose. Du coup, c’était vraiment précieux d’avoir Edsun dans l’équipe et sur scène où il interprète ses chansons.
Le moment de l’adolescence est un sujet qui vous intéresse particulièrement?
A. S. – «C’est surtout la question de l’identité qui m’intéresse, plus que la question de la sexualité, qui est d’ailleurs un sujet qui est beaucoup plus enseigné aujourd’hui. La problématique se déplace d’ailleurs plutôt sur la nécessité de performance et la pression qui va avec. Et ça découle aussi sur la question du corps, qui est très dominante chez les jeunes et qui est un sujet qui m’intéresse beaucoup, car elle se reflète aussi dans l’imagerie des adultes.
La présence des réseaux sociaux est aussi très importante dans la pièce. Expliquez-nous.
A. S. – «Forcément puisqu’ils sont très présents dans nos vies. Ils augmentent et accélèrent ce qui était déjà présent avant, mais en moins visible. Les idéaux qui y sont promulgués, avec cette accélération, sont difficiles à gérer, aussi bien pour les adolescents que pour les adultes. On y voit en même temps une sexualité plus exposée et le retour d’un traditionalisme, mais qui est très hypocrite, car reste très sexualisé.
Suite à ce travail, est-ce que vous avez pu tirer des grandes lignes directrices de comportement ou est-ce que cela reste multiple?
A. S. – «Cela reste multiple. Mais les jeunes ont cette force par rapport aux réseaux sociaux d’avoir un certain recul. Ils savent très bien que ce qu’ils voient n’est pas le reflet exact de la réalité, mais ils se laissent quand même impressionner. Et ce phénomène est aussi valable chez les adultes. La force des adolescents est qu’ils savent prendre ce qu’ils voient avec une forme d’humour qui met une distance entre ce contenu des réseaux et leur vie. Ils s’amusent avec.
A. P. – «Ce qui a changé entre les réseaux sociaux que moi je connais et les réseaux que regardent les adolescents est que le contenu qu’ils regardent est moins centré sur des personnes. C’est plus anonymisé. Ça relève moins de la mise en scène de sa vie que du partage d’actions qui n’ont rien de particulier. Ce sont des vidéos de danse par exemple. La trend n’est plus une personne, mais une gestuelle.

Anne Simon et Antoine Pohu, pendant les répétitions. (photo: Bohumil Kostohryz)
Est-ce que les habitudes de consommation des réseaux sociaux ont aussi influencé votre écriture et votre mise en scène?
A. S. – «Oui, on retrouve cette multitude, cette diversité de sources d’informations dans la mise en scène et la narration qui est construite en plusieurs couches qui viennent se rencontrer, comme dans nos mondes caléidoscopiques. Comme dans le flux des réseaux, on a parfois du mal à s’y retrouver, mais on s’agrippe à ce que l’on peut et on fait avec. Nous ne sommes pas dans une narration linéaire, car les jeunes ne se retrouvent plus du tout dans ce type de récit. Avec cette remix culture, leur compréhension du monde est beaucoup plus rayonnante. C’est aussi une approche plus associative, multiformelle.»
A. P. – «La pièce se déroule dans une salle de classe où le groupe lit le texte de Wedekind et l’histoire va faire écho à leurs histoires personnelles. À partir de là, il y a des parties qui sont le texte original, puis mes parties de texte qui sont multilingues. En général, on a gardé une même langue par scène, à part certaines parties plus performatives, proches du slam ou du témoignage où les langues peuvent se mélanger, les textes s’imbriquer… On a aussi travaillé en vignette, par association, ou avec des chansons qui mettent une lumière différente sur une scène qu’on vient de voir.»
. Première vendredi 25 avril. Puis le 27, 29 avril et les 4, 7, 8, 10 et 11 mai. Les représentations ont lieu en allemand, anglais, luxembourgeois et français. Surtitres en allemand et français.