L'avenir des activités de Spire, y compris sa présence au Luxembourg, reste tributaire de décisions stratégiques et de l'environnement économique général, déclare un porte-parole de la société.  (Photo: Sylvain Barrette/Maison Moderne)

L'avenir des activités de Spire, y compris sa présence au Luxembourg, reste tributaire de décisions stratégiques et de l'environnement économique général, déclare un porte-parole de la société.  (Photo: Sylvain Barrette/Maison Moderne)

« La récente vente des activités maritimes de Spire Global à Kpler pour 241 millions de dollars a permis de répondre à des pressions financières urgentes. Toutefois, l’entreprise continue de faire face à des faiblesses matérielles récurrentes dans ses contrôles internes, ainsi qu’à des pertes persistantes et à des flux de trésorerie négatifs dans ses activités restantes. Ces éléments pourraient compromettre la poursuite de ses opérations au Luxembourg.

La finalisation de l’acquisition des activités maritimes de Spire par Kpler – une société technologique belge spécialisée dans les données et analyses pour le commerce mondial – pour un montant de 233,5 millions de dollars, auxquels s’ajoutent 7,5 millions pour les services, a permis de résoudre une menace immédiate sur la survie de Spire. Un porte-parole de Spire a déclaré à Paperjam que cette opération permettra à l’entreprise « de rembourser toutes les dettes en cours. Avec le reste du produit, nous prévoyons d’investir dans des opportunités de croissance à court terme et de continuer à construire l’avenir. »

Basée aux États-Unis, mais disposant d’opérations de R&D et de génération de revenus au Luxembourg, Spire Global – fondée en 2012 – est un fournisseur de données et d’analyses spatiales. Elle s’appuie sur une constellation propriétaire de nanosatellites polyvalents et un réseau de stations au sol pour collecter des données et proposer des solutions de bout en bout. Ses services couvrent les domaines de la navigation maritime, de l’aviation, des données météorologiques et climatiques, ainsi que des services spatiaux. Les activités luxembourgeoises sont qualifiées de «stratégiques» plutôt que «essentielles» par la direction – une nuance que les marchés financiers interprètent souvent comme un engagement limité à l’égard d’une filiale.

Vente de l'activité maritime: pas sans heurts

Avant d’annoncer la finalisation de la transaction, Spire a traversé une série d’épisodes mouvementés. Après l’annonce de la vente en novembre 2024, Spire – déficitaire depuis plusieurs années – a levé 40 millions de dollars le 13 mars 2025 via un placement privé, destiné à financer son fonds de roulement et ses besoins généraux. Cette levée est intervenue peu après la révélation, dans un dépôt auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC) le 11 février 2025, que Kpler «n’avait pas réussi à conclure la transaction» et avait invoqué «diverses raisons» pour s’y soustraire – des arguments que Spire a rejetés.

La finalisation de l’opération, initialement prévue pour le premier trimestre 2025, semblait alors compromise, accentuant un sentiment d’urgence au sein de Spire.

Avertissements de PwC

La série d’événements défavorables s’est poursuivie lorsque Spire a omis un paragraphe essentiel concernant sa capacité à poursuivre ses activités, en déposant de manière inappropriée son rapport annuel (formulaire 10-K) auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC) le 31 mars 2025. Ce dépôt est intervenu alors que son auditeur, PwC, n’avait pas approuvé l’inclusion de son rapport d’audit relatif à l’exercice clos le 31 décembre 2024 dans le rapport annuel, ni consenti à son incorporation par référence dans certaines déclarations d’enregistrement. En conséquence, Spire a été contrainte de déposer un formulaire 10-K/A modifié, dans lequel elle a ajouté un avertissement substantiel émis par PwC: «Doute substantiel quant à la capacité de l’entreprise à poursuivre son activité».

Le document amendé soulignait que Spire présente «un historique de pertes d’exploitation et de flux de trésorerie négatifs depuis sa création, ce qui soulève un doute substantiel quant à sa capacité à poursuivre ses activités». Les préoccupations de PwC paraissaient d’autant plus fondées que, au 31 décembre 2024, Spire ne respectait ni son ratio d’endettement, ni ses obligations de liquidité minimale, ni même ses engagements non financiers liés aux obligations de dépôt périodique auprès de la SEC, tels que stipulés dans l’accord de financement Blue Torch (prêt de 98,4 millions de dollars). À cette date, Spire ne disposait que de 19 millions de dollars en trésorerie et équivalents de trésorerie.

Nombre récurrent et croissant de faiblesses matérielles dans les contrôles

Les manquements relatifs au dépôt du rapport annuel sur le formulaire 10-K évoqués ci-dessus ne sont que le dernier épisode d’une série de défaillances en matière de contrôle. Le rapport modifié 10-K/A fait état de l’évaluation menée par la société concernant ses dispositifs de contrôle et de communication de l’information, ainsi que son contrôle interne sur l’information financière. Bien que la direction ait estimé que les états financiers reflétaient fidèlement la situation de l’entreprise en dépit des lacunes relevées, l’évaluation a mis en lumière, au 31 décembre 2024, d’importantes faiblesses dans les deux systèmes de contrôle.

Parmi celles-ci figurent une dotation insuffisante en personnel qualifié, un processus d’évaluation des risques déficient, une séparation des tâches inadéquate, des difficultés liées à la comptabilisation d’opérations complexes, ainsi que des problèmes spécifiques à la reconnaissance des revenus issus de contrats de services spatiaux et de recherche et développement. Le rapport détaille également les mesures correctrices mises en œuvre par l’entreprise pour pallier ces faiblesses, tout en soulignant les limites inhérentes à tout système de contrôle interne, incapable de garantir à lui seul l’élimination totale des erreurs ou des fraudes.

Spire est-elle sortie d'affaire?

En novembre 2024, Spire a officialisé la cession de son activité maritime, précisant qu’une fois sa dette apurée, elle disposerait de plus de 110 millions de dollars pour renforcer son bilan. L’entreprise a également affirmé son intention d’investir davantage dans des missions stratégiques telles que la lutte contre le changement climatique et la sécurité mondiale. À cette enveloppe peuvent s’ajouter une partie des 40 millions de dollars issus du placement privé. Il est toutefois probable que les 19 millions de dollars de trésorerie disponibles au 31 décembre 2024 aient été entièrement consommés. Bien que le chiffre d’affaires ait progressé par rapport à 2023, les pertes se sont encore creusées en 2024.

Sur un revenu annuel de 110 millions de dollars, Spire a enregistré une perte nette de 103 millions de dollars, principalement en raison du poids structurel du coût des revenus et des charges d’exploitation (180 millions de dollars), mais aussi d’une lourde charge d’intérêts (20 millions de dollars), laquelle devrait être réduite de 16 millions de dollars après remboursement de la dette. L’activité maritime a généré à elle seule quelque 43,5 millions de dollars de revenus en 2024, soit 39,4% du chiffre d’affaires total. Si sa rentabilité opérationnelle n’a pas été communiquée, il est permis de penser que Spire a cédé son actif le plus précieux à un prix équivalant à 5,8 fois les revenus des douze derniers mois (241 millions de dollars). À titre de comparaison, les activités restantes — représentant 60,6 % des revenus — ne sont aujourd’hui valorisées qu’environ 300 millions de dollars, sur la base de la capitalisation boursière actuelle.

Les gouvernements ont apprécié le partenariat de Spire et sa volonté de fournir ses technologies et son infrastructure satellitaire opérationnelle pour soutenir les priorités régionales et nationales essentielles.
Theresa Condor

Theresa CondorCEOSpire Global

Interrogée sur la répartition du chiffre d’affaires et du résultat opérationnel entre les différentes branches d’activité — une information non divulguée depuis la clôture de l’exercice 2024 — la CEO de Spire Global, Theresa Condor, a éludé les précisions chiffrées. Elle a souligné que l’entreprise se concentrait sur des solutions répondant aux défis posés par les phénomènes météorologiques extrêmes et les enjeux de sécurité mondiale, tout en offrant des capacités orbitales éprouvées aux entreprises et aux gouvernements désireux de s’engager dans l’économie spatiale en pleine expansion «des deux côtés de l’Atlantique». Selon elle, cette orientation stratégique positionnerait Spire de manière avantageuse pour la croissance à venir.

Malgré l’insistance de Paperjam pour obtenir des détails sur le profil des clients et l’impact potentiel de l’amélioration de la situation financière de l’entreprise — notamment dans le cadre de contrats avec les agences gouvernementales — Theresa Condor s’est contentée d’indiquer que Spire desservait des secteurs variés tels que le commerce des matières premières, l’énergie, l’aviation, la logistique, ou encore l’agriculture, tout en affirmant que ses solutions de renseignement spatial demeureraient un moteur essentiel de croissance. Elle a ajouté qu’en cette période d’incertitude géopolitique, les gouvernements appréciaient le partenariat établi avec Spire et sa capacité à mettre ses technologies satellitaires au service de priorités régionales et nationales critiques. Pour autant, aucun élément concret ne permet pour l’instant d’identifier clairement ce que la transaction récente apportera en termes de croissance ou de rentabilité, qui restent plus que jamais nécessaires.

Étant donné le rôle déterminant des agences gouvernementales dans la santé du secteur spatial, l’évolution des dépenses de la Nasa mérite attention. Non seulement le «coût net» associé à ses objectifs stratégiques s’est stabilisé ces deux dernières années (26,2 milliards de dollars en 2023, 26,5 milliards en 2024), mais les budgets demandés pour 2025 et 2026 sont en léger repli (25,4 et 25,9 milliards).

Par ailleurs, l’administration Trump a réorienté les priorités budgétaires pour «battre la Chine sur la Lune et envoyer le premier humain sur Mars», allouant sept milliards à l’exploration lunaire et un milliard à de nouveaux projets martiens. Dans une logique de rigueur budgétaire, la Nasa a annoncé la fin de plusieurs «missions inabordables» et une réduction des «recherches moins prioritaires», ce qui pourrait compromettre certaines missions axées sur la surveillance terrestre ou les communications satellitaires.

Les doutes du marché

Nos demandes d’entretien auprès d’analystes de sociétés de courtage sont restées sans réponse. À l’exception de Sadif Investment (« sell ») et de Baird, qui adopte une position neutre avec un objectif de cours de 11 dollars, l’ensemble des analystes suivant Spire affichent un avis haussier accompagné d’une recommandation d’achat, avec des objectifs de prix compris entre 15 et 18 dollars. Plusieurs d’entre eux ont confirmé leur position après la finalisation de la transaction.

À l’annonce de celle-ci, le 13 novembre 2024, l’action est passée de 11,79 dollars à 13,45 dollars à la clôture. Elle a toutefois chuté jusqu’à 7,48 dollars le 7 avril, plombée par un climat de marché défavorable lié aux tensions tarifaires, mais aussi par les difficultés financières persistantes de Spire. Au prix actuel de 9,80 dollars, correspondant à une capitalisation d’environ 320 millions de dollars, le marché semble exprimer des doutes persistants quant à la capacité de l’entreprise à surmonter ses problèmes de contrôle, à générer des gains significatifs avec ses activités résiduelles, et à préserver une trésorerie qui risque de s’éroder rapidement.

Qu'en est-il du 33 rue Ste Zithe? Comme Kpler n'a pas répondu à notre demande d'interview, on ne sait pas à ce stade s'il maintiendra les activités de Spire au Luxembourg. En outre, la CEO de Spire n'a pas pu accorder d'interviews car elle doit respecter une «période de silence», conformément à la réglementation.

Cet article a été rédigé initialement en anglais et traduit et édité en français.