L’intelligence artificielle, «nourrie» avec des mammographies, pourrait aider les radiologues à rendre leur pronostic plus juste. (Photo: Shutterstock)

L’intelligence artificielle, «nourrie» avec des mammographies, pourrait aider les radiologues à rendre leur pronostic plus juste. (Photo: Shutterstock)

Première cause de mortalité liée au cancer chez les femmes au Luxembourg, le cancer du sein pourrait être mieux détecté, et plus tôt. Mercredi, la Société luxembourgeoise de radiologie organisera un speed dating unique en son genre afin de bénéficier de l’intelligence artificielle la plus efficace.

L’histoire est inédite. Avant l’été, normalement, le ministère de la Santé devrait avoir remplacé la technologie mise à la disposition, depuis une quinzaine d’années, de la dizaine de radiologues qui traitent presque exclusivement des mammographies.

Le CAD, pour «computer assisted diagnosis», mis à jour régulièrement, comme l’appellent les radiologues, ou le Birads, pour «breast imaging reporting and data system», pour le ministère de la Santé, est efficace… mais l’intelligence artificielle pourrait apporter un supplément de «sensibilité» – c’est le terme scientifique – à la détection d’anomalies.

En moyenne, chaque année, 37.700 mammographies se déroulent au Luxembourg, dont la moitié (18.300) dans le cadre du programme de dépistage entre 50 et 69 ans, sur environ 20.000 femmes qui sont invitées à participer à cette opération gratuite. Près de 80% des cancers du sein se développent après 50 ans; c’est pour cela que les femmes devraient renouveler leur participation tous les deux ans, frontalières couvertes par la Caisse nationale de santé comprises.

30 minutes pour convaincre

Outre sa gratuité, le programme assure, à la différence des États-Unis, par exemple, une double lecture des clichés. La première par le radiologue, et la seconde par le radiologue-sénologue du ministère de la Santé, pour augmenter les chances de ne pas passer à côté d’une anomalie.

400 à 500 cancers du sein sont dépistés au Luxembourg chaque année.

Au lieu d’attendre que le ministre publie l’appel d’offres d’un marché d’environ 300.000 à 400.000 euros pour un nouveau logiciel d’analyse d’images, la Société luxembourgeoise de radiologie (SLR) a décidé d’inviter une poignée de sociétés, une américaine et trois européennes, à un speed dating, mercredi soir, à House 17.

Au terme de ces quatre fois 30 minutes de pitch et de questions-réponses, la dizaine d’experts de la SLR et du ministère invités à l’événement seront capables d’émettre un avis scientifique qui pourra guider politiques et fonctionnaires dans l’établissement du cahier des charges, assure le trésorier de la SLR, également en charge de l’innovation dans cette petite asbl de 70 membres, Jean-Baptiste Niedercorn.

Des secrets de fabrication… intéressants

«Il faut les détecter le plus vite possible», explique ce spécialiste, «parce qu’on ne peut pas l’empêcher». On n’a aucune influence sur la majorité des facteurs de risque, qui vont de l’âge aux antécédents personnels ou familiaux, aux prédispositions génétiques, en passant par ceux qui sont liés aux modes de vie (tabagisme, alcool, surpoids, sédentarité), .

Comment expliquer simplement l’intérêt de l’intelligence artificielle dans ce contexte? Les experts – des data scientists – vont construire un algorithme mathématique capable, à partir d’une radio, d’une image, de «voir» le premier stade de développement d’un cancer du sein, à partir de l’analyse d’images de femmes qui en ont un. Plus l’intelligence artificielle est «nourrie» correctement, plus la probabilité qu’elle soit efficace augmente. «Nourrie», ça ne veut pas dire que plus d’images aboutissent à un meilleur résultat.

«Le nombre de patients est un des secrets de fabrication de ces sociétés», explique le Dr Niedercorn. «On ignore si c’est un million de cas ou 6.000 cas, mais ça dépend aussi de la prévalence du cancer du sein dans la population étudiée par ces images.»

Une chose est sûre, ajoute-t-il avec diplomatie: le règlement européen sur la protection des données a sérieusement compliqué l’évolution des technologies de santé, ces fameuses healthtech. Mais la situation va forcément s’adapter. L’Europe avance aussi, comme en témoigne l’adhésion de 21 États membres au projet «1+ Million Genomes», qui met en lien un certain nombre de bases de données européennes pour avancer sur les thérapies géniques.

Par exemple, même si vous preniez les clichés d’un million de femmes indiennes pour nourrir une intelligence artificielle, il n’est pas certain que les caractéristiques de la population européenne soient les mêmes.

«Pour le Luxembourg, c’est même passer à côté d’une opportunité», explique celui qui avait choisi la radiologie pour être dans la spécialité qui utilisait le plus de technologies. «Avec une population résidente à 50% étrangère, dont 80% de caucasiens, alimenter une intelligence artificielle pourrait même avoir un intérêt européen!»

Le sujet est tellement brûlant d’actualité qu’à Singapour, une société a installé son centre de recherche au cœur d’une université pour avoir accès aux données. Une autre société, israélienne, vendrait même sa solution pour des prix défiant toute concurrence…

Début janvier, Google a fait le buzz , qui ne parle pas tout à fait de détection, mais de correction des faux négatifs – une femme sur cinq ne serait pas atteinte, alors qu’elle développe un cancer – et des faux positifs – une femme sur deux serait diagnostiquée positive sur 10 ans, alors qu’elle n’a rien –, l’étude étant uniquement menée sur des Américaines et des Britanniques.