Plus gros lanceur. Satellites plus efficaces. Lancements plus fréquents. L’Europe, qui aimerait bien prendre ses distances des frasques d’Elon Musk, n’en a pas les moyens. (Photo: Shutterstock)

Plus gros lanceur. Satellites plus efficaces. Lancements plus fréquents. L’Europe, qui aimerait bien prendre ses distances des frasques d’Elon Musk, n’en a pas les moyens. (Photo: Shutterstock)

L’ingérence d’Elon Musk dans la vie politique européenne via X est un problème que les Européens auront du mal à régler en dehors du Digital Services Act. Si Tesla reste le numéro 1 mondial des voitures électriques face au boom chinois, l’Europe a besoin de SpaceX pour renforcer sa souveraineté spatiale… alors que Starlink s’apprête à connaître une croissance fulgurante.

Toute la bêtise européenne est résumée dans les moqueries, passées, des ingénieurs d’Arianespace sur le projet SpaceX: aujourd’hui, le lanceur du milliardaire américain s’apprête à décoller 400 fois entre 2025 et 2029, avec Starship, le vaisseau amiral qui va emporter beaucoup plus de matériel que les précédents et va faire oublier le Falcon 9 qu’ont connu les Luxembourgeois, SES ou État, tandis qu’on espère toujours, en Europe, qu’Ariane 6 pourra décoller une fois tous les trois mois…

Tout le problème européen est résumé dans un autre fait: là où les Américains décident de soutenir un ou deux gros projets et d’y mettre le paquet, vite et fort – parce que SpaceX a largement été financé sur fonds publics via la Nasa, les Européens doivent discuter pendant des mois pour trouver un compromis et arroser tous les États membres d’un bout du business ou de la présence d’une institution, en assurant le même retour sur investissement.

Le V3, facteur de changement pour Starlink

Et le problème va encore s’accentuer, malgré la nouvelle politique de l’Agence spatiale européenne autour des lanceurs. Selon une étude du cabinet Enders, parue la semaine dernière, Starlink, la filiale de SpaceX qui veut connecter la planète depuis le ciel, a annoncé la mise à jour de son satellite de base, le V2, en un V3 «qui multiplie par dix la capacité de connectivité» du V2.

Et parmi les 400 lancements annoncés en quatre ans, 25 en 2025 s’appuieront sur Starship, qui permettra de lancer 60 satellites de nouvelle génération en même temps, soit un boost de 6 terabytes par seconde ou cinq fois et demi plus que son concurrent à basse orbite OneWeb et ses 600 satellites. La comparaison avec les huit O3Bmpower est plus compliquée parce que la technologie de Boeing repose autant sur la capacité que sur la possibilité, à partir de 5.000 «récepteurs» par satellite, de reconfigurer en permanence leur positionnement pour répondre aux besoins des clients.

SES n’est même pas dans le viseur des analystes. «Nous avons généralement abordé le secteur des communications par satellite du point de vue des opérateurs télécoms britanniques, où, en général, la nouvelle génération d’acteurs en orbite terrestre basse (LEO), tels que Starlink et OneWeb, s’est avérée plus pertinente», commente l’auteur de l’étude, Hamish Low, à la demande de Paperjam. «Les constellations LEO offrent une latence bien plus attrayante pour un produit de connectivité internet destiné au grand public par rapport aux opérateurs géostationnaires plus anciens, tels que SES et Intelsat. SES et ses pairs en orbite géostationnaire ou moyenne (MEO) occupent désormais une position plus statique, la majorité de la croissance du marché étant capturée par Starlink et cette nouvelle génération de mégaconstellations LEO. En termes de ‘principaux’ acteurs, les revenus prévus de SES/Intelsat pour 2024, avoisinant 3,8 milliards d’euros, ont presque certainement été dépassés par les revenus estimés de Starlink, qui se situent entre 6 et 7 milliards de dollars. Cela sans compter qu’une part substantielle des revenus de SES provient de la diffusion vidéo, un secteur largement distinct de la connectivité.»

Une question de capex, entre autres

Des arguments régulièrement et poliment balayés par SES dans sa stratégie. D’un côté, le positionnement à multi-orbites offre toutes les palettes des possibilités et toutes les offres pourraient trouver de la place sur le marché; de l’autre – et l’étude d’Enders le souligne aussi en creux –, il y a une question de capex. Selon les auteurs de l’étude, le V2 valait autour de 800.000 dollars pièce, alors que le V3 devrait coûter de 4 à 5 millions de dollars. Pour offrir des vitesses en gigabit à ses utilisateurs de services internet, bien au-delà des vitesses actuelles qui varient entre 100 et 200Mbps selon les marchés et les moments, Starlink va être obligé d’investir des milliards de dollars en capex. Et pour des satellites dont on ignore tout à la fois en termes de cybersécurité et de durée de vie.

Selon le dossier du V3 auprès du régulateur américain des communications, Starlink a aussi besoin d’utiliser d’autres fréquences que les bandes Ku et Ka actuellement utilisées, en l’occurrence les V et E qui sont beaucoup plus élevées et permettent de diffuser beaucoup plus de données en utilisant une largeur de bande plus grande, avec beaucoup moins d'interférences par rapport aux bandes Ku et Ka, qui sont déjà très encombrées. Cela ne devrait pas poser de problèmes particuliers: le nouveau président de la Federal Communications Commission (FCC) est Brendan Carr. Nommé par le président élu Donald Trump en novembre 2024, le républicain le plus ancien au sein de la FCC avait précédemment occupé le poste de conseiller juridique général de l’agence.

Elon Musk devrait obtenir satisfaction sur deux autres points centraux, dit encore l’étude: que ses satellites soient mis en orbite plus près de la Terre, ce qui réduirait la latence pour les utilisateurs; et que soit modifié l’angle d’inclinaison auquel les antennes paraboliques se connectent aux satellites, dans le but de garantir des transitions plus fluides et une utilisation accrue, car les antennes pourront suivre les satellites plus loin dans le ciel.

2025 sera une année particulière pour Starlink. Pour les lancements de SpaceX. Pour les Européens qui cherchent à assoir leur souveraineté dans le ciel via le lanceur américain en même temps qu’il leur faudrait rompre avec celui qui va de salut nazi à participation à un meeting de campagne de l’extrême droite allemande. Pour SES aussi, dont le partenariat avec l’indienne Jio, pour 100 millions de dollars, va beaucoup plus loin que le transfert de 70 personnes en Inde… Le ministère luxembourgeois de la Défense a également un contrat avec SpaceX pour la mise en orbite du satellite du système d’observation de la Terre LUXEOSys au premier semestre 2025. Pas le choix. Si nous avions choisi l’autre lanceur, a répondu la ministre, «des coûts supplémentaires élevés et beaucoup d’incertitude concernant l’assurance et le lancement».