Six experts dans leurs domaines, en plus du Premier ministre , étaient présents sur la scène du Paperjam+Delano Business Club, mardi soir à l’Athénée de Luxembourg.
Les dirigeants de Circu Li-ion (), de Luxinnovation (), de Luxembourg for Finance (), de Fischer (), d’IMS () et de Maison Moderne () ont participé à la table ronde animée par le head of programming de Maison Moderne,
Chacun dans leur spécialité, ces fins connaisseurs des enjeux du pays ont mis en lumière les grandes tendances qui marqueront l’année 2024, devant un public composé d’environ 300 personnes, en majorité des dirigeants d’entreprises.
Après un premier aperçu des tendances phares de 2024 dans le domaine de la marcom, , focus cette fois-ci sur ces tendances dans un contexte plus large, à l’échelle de tout le pays.
Durabilité, plus que jamais
Nous avons délibérément choisi de placer la durabilité en tête de ce panorama de tendances, car elle est bien le prisme à travers lequel toute action devrait être envisagée demain. Comme l’a souligné la CEO d’Inspiring More Sustainability (IMS), Nancy Thomas, «on doit regarder chacune des activités au niveau national sous cet angle de la durabilité».
Après un constat aussi alarmant que réaliste, et quelques chiffres sur l’état de la biodiversité, et une phrase parlante: «dans 100 ans, il n’y aura plus aucun insecte», Nancy Thomas a évoqué ces enjeux et tendances qui marqueront 2024 et l’après. Car elle l’affirme: «Le Luxembourg a un rôle à jouer.» Une transformation des organisations et de la société est impérative pour éviter les pénuries d’eau, de nourriture et d’autres ressources, a-t-elle détaillé.
Parmi ces enjeux, la mobilité restera un sujet fort pour le pays, qui compte le plus grand nombre de voitures par habitant (700/1.000). «Des solutions commencent à être développées comme le covoiturage, le télétravail sur lequel il va falloir se pencher. Il y a de nombreux sujets qui vont commencer à être amorcés, mais il va falloir proposer des solutions concrètes pour les entreprises», prévient Nancy Thomas.
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La durabilité appliquée au monde de l’entreprise sera aussi un sujet plus d’actualité que jamais. «ESG, CSRD... Il y a beaucoup de thématiques qui circulent dans les entreprises, je crois qu’il y a une vraie opportunité pour engager une transformation et poser des bases plus durables. Je vous invite à mobiliser vos ressources vives. Dans le rapport Gallup sur le monde du travail, nous sommes au Luxembourg les derniers au niveau européen sur l’engagement des salariés, avec seulement 10% des salariés engagés. Il y a quelque chose à faire pour réimpliquer les collaborateurs, par le salaire, la transparence, la formation…», est intervenue Nancy Thomas.
Dans les entreprises
2024 sera-t-elle l’année qui marquera un grand changement dans les entreprises? Pour la présidente de la Luxembourg Confederation et CEO de Fischer, Carole Muller, la flexibilité du temps de travail devra en tout cas être regardée de près. «On a 460.000 salariés aujourd’hui. Il va nous en falloir 300.000 de plus dans les dix prochaines années. Nous devons voir comment rendre nos entreprises plus intéressantes et plus flexibles pour répondre aux aspirations de la génération Z. Nos clients ont des demandes de plus en plus personnalisées, nos employés aussi. Aujourd’hui, malheureusement, on a une réponse qui est trop ‘one size fits all.’»
La CEO de Luxinnovation, Sasha Baillie, a cité l’exemple des hackathons comme un moyen à la fois d’innover, mais aussi de réunir des collaborateurs autour d’objectifs et de valeurs communes. «Je pense qu’il y a vraiment quelques exemples de ce type-là, sur lesquels d’autres sociétés peuvent certainement s’inspirer.»
Le Luxembourg a perdu six places dans le ranking international sur la compétitivité.
Autre tendance dans les entreprises en 2024, l’intégration pas-à-pas mais grandissante de l’IA. Le head of data & AI de Circu Li-ion, Maxime Allard, annonce un «progrès exponentiel, parce que l’utilisateur commence à comprendre comment utiliser ces tools, comme ChatGPT ou d’autres. Tous ces outils, basés sur du texte, ou dans la biotechnologie ou même le coding, vont être de plus en plus utilisés dans les entreprises et aussi dans d’autres applications», a-t-il déclaré, sous-entendant qu’à terme, les gens utiliseront ChatGPT aussi naturellement qu’ils utilisent actuellement une calculatrice!
Mais globalement, dans les entreprises, le sujet majeur restera celui de la compétitivité. «Le Luxembourg a perdu six places dans le ranking international sur la compétitivité. Et il est important aujourd’hui, dans un monde globalisé, où les entreprises et les personnes sont de plus en plus mobiles, qu’on devienne vraiment une terre d’attraction pour les entreprises, qu’on crée un cadre propice pour favoriser nos entreprises nationales, mais aussi pour attirer des entreprises étrangères. Les facteurs qui créent cette problématique sont le coût de la main-d’œuvre, la pénurie des talents et une inflation immobilière. Donc, ce seront aussi des challenges à résoudre dans les prochaines années», a rappelé Carole Muller.
Compétitivité et finance
La compétitivité, en effet, a été maintes fois citée lors de la table ronde, cette thématique apparaît ainsi comme un enjeu majeur pour le pays en 2024. Plus qu’une simple tendance, la recherche d’une meilleure compétitivité sera le leitmotiv des dirigeants, qu’ils soient politiques ou actifs dans les entreprises. «Je retiendrai surtout la compétitivité, que ce soit au Luxembourg ou au niveau européen, comme un sujet dont on entendra beaucoup plus parler en 2024», a appuyé le visage de la place financière à l’international, le CEO de Luxembourg for Finance, Nicolas Mackel.
Liée à la compétitivité, l’attraction des talents deviendra un besoin de plus en plus fort, dans les entreprises comme sur la place financière. «Dans tous les domaines, que ce soit l’innovation, la finance, la durabilité, ce qu’il nous faut, c’est attirer des cerveaux. Une des grandes clés pour déverrouiller le problème est évidemment le logement. Je crois qu’il y a autre chose que l’on peut faire, c’est investir massivement dans la formation», a proposé Nicolas Mackel. Il a cité comme autre exemple, inspiré du modèle français, le régime d’impatrié qui permet, selon les conditions, de défiscaliser à 50% pendant huit ans le salaire des personnes qui viennent travailler en France. Bien que cette mesure ne soit pas forcément transposable au Luxembourg, elle pourrait donner des idées sur lesquelles plancher en 2024.
Plus globalement, cette place financière – parfois qualifiée de vache à lait – est confrontée à des défis multiples: entre évolutions technologiques, intelligence artificielle, finance durable, «mais aussi d’autres développements comme la tokénisation et les apports digitaux. Ce sont des sujets qui nous intéressent directement», a complété le CEO de Luxembourg for Finance.
Innovation, IA et nouvelles technologies
Le terme «innovation» a été prononcé plus d’une trentaine de fois. L’avènement de l’IA depuis l’année dernière devrait fortement catalyser ce mouvement, dans une logique de renforcement de la productivité. En 2024, les efforts des divers acteurs pour construire un écosystème vertueux autour de l’IA et des technologies se poursuivront donc.
«Au Luxembourg, on a les bonnes ressources comme les informaticiens et de bonnes technologies qui sont de gros atouts. Il faut juste les utiliser correctement. Un bon écosystème repose sur trois piliers: les talents, la rapidité et la régulation si elle n’entrave pas l’innovation», a souligné Maxime Allard, qui soulève aussi un point. «Des questions géopolitiques vont se poser: est-ce qu’on veut laisser aux Américains tout le pouvoir ou est ce qu’on veut que l’Europe aussi ait du pouvoir sur toutes ces nouvelles technologies?»
L’Union européenne prend en tout cas le sujet au sérieux, en témoigne . Une bonne avancée selon la CEO de Luxinnovation: «C’est très important d’avoir un cadre clair, qui soit aussi un équilibre entre l’État de droit et l’innovation. Puis, au Luxembourg, on a trois facteurs qui sont vraiment clés pour l’innovation autour de l’IA: l’accès aux données, et ; une puissance de calcul, et nous avons Meluxina; puis de la recherche, et nous avons 500 chercheurs au SnT», a détaillé Sasha Baillie. Des capacités qui laissent présager des avancées en 2024.
Dans les médias
Mais selon le CEO de Maison Moderne, Mike Koedinger, également président de l’European Magazine Media Association depuis juillet, cet AI Act nécessitera encore quelques ajustements. «Ce papier-là n’est pas ce que le métier veut en Europe. Ce papier exclut le fait que les modèles de langage ont besoin de contenu produit par des gens qui ont été payés, et qui ne perçoivent rien là-dessus. Donc c’est une catastrophe pour les journalistes, les créateurs de contenu.» Ce qui pose problème est directement lié au contenu généré. Il explique: «Les contenus sur lesquels l’IA apprend doivent être tracés. Le projet sera seulement finalisé courant janvier, donc il reste quelques semaines pour opérer ce twist dans la directive.»
Autre enjeu qui marquera la presse à l’échelle de toute l’Europe: «Un conflit par rapport aux radios de service public, qui ont, au départ, la mission de faire de la radio, et on est heureux qu’ils soient là, et qui, avec le temps, se tournent vers internet et commencent à faire des sites web avec de l’information écrite.
Enfin, en 2024, la loi sur les aides de l’État à la presse et pour le pluralisme adoptée en 2021 devrait revenir au centre des discussions. Le précédent gouvernement avait promis de dresser un bilan deux ans après. Après les échéances électorales qui ont bousculé le calendrier, elle devrait faire l’objet de quelques discussions. «En apparence, cette loi traite la presse quotidienne imprimée et la presse quotidienne numérique de la même façon, mais uniquement en apparence, car un quotidien numérique est plafonné à un tiers par rapport à un quotidien imprimé», a dénoncé Mike Koedinger.
Et dans le monde…
Parce que le Luxembourg, si ouvert sur le monde, est forcément impacté par les événements internationaux, le contexte géopolitique continuera de semer le trouble sur l’économie. Et s’il est difficile de définir ce fait comme une «tendance», c’est bien une donnée à prendre en compte avant de se projeter en 2024. «Que ce soit en raison de la géopolitique et des tensions qu’elle envoie, ou en raison d’autres facteurs, on assiste à une véritable fragmentation géo-économique des marchés. C’est quelque chose qui nous inquiète», a confié le CEO de Luxembourg for Finance, Nicolas Mackel.
Un constat conforté par la CEO de Luxinnovation, Sasha Baillie: «Les rapports de forces économiques changent fondamentalement, ce qui nous rend plus vulnérables dans les chaînes d’approvisionnement, face au risque des ressources, ou en matière de défense.» Mais elle tempère: «Nous avons aussi la capacité de développer des technologies en matière de défense et de sécurité qui nous permettent de mieux nous protéger contre des agressions brutales», a-t-elle cité en exemple.